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École des chartes » thèses » 2002

Michel Chamillart, ministre et secrétaire d’État de la guerre de Louis XIV (1654-1721)


Introduction

Les historiens du siècle de Louis XIV n’ont pas brossé de Chamillart un portrait très flatteur. Accusé de faiblesse et de manque de caractère, sinon d’incapacité, ce ministre symboliserait la “ décadence ” des dernières années du règne, l’emprise croissante de Madame de Maintenon sur les affaires, les défaites qui ponctuèrent la guerre de Succession d’Espagne ou encore la crise financière que traversait alors le royaume. Il s’agit là de jugements hâtifs, dont aucun n’est fondé sur une connaissance approfondie du personnage. Issu d’une honorable famille de robe, Chamillart connut une brillante carrière grâce à la faveur et à l’amitié du roi : en une quinzaine d’années, celui-ci transforma le jeune conseiller au Parlement en contrôleur général des finances, avant de le nommer ministre d’État, puis secrétaire d’État de la guerre. Cette belle ascension s’acheva au mois de juin 1709 par une disgrâce inattendue, et le ministre déchu se retira de la Cour jusqu’à sa mort. Alors que l’histoire ministérielle et institutionnelle de l’Ancien Régime est marquée par un net regain d’intérêt, mais que la seconde moitié du règne de Louis XIV reste mal connue, il a paru intéressant de se pencher ­ essentiellement du point de vue du département de la guerre ­ sur ce ministre étonnant, qui ne fut ni Colbert ni Louvois, mais cumula pendant près d’une décennie la plus grande partie des attributions de ces deux figures exceptionnelles.


Sources

Les épaves du fonds privé de la famille Chamillart sont conservées aux Archives départementales de la Sarthe (sous-séries 1 E, 18 J et, pour l’essentiel, 28 J 1 à 16). Lacunaires, ces archives jusqu’ici peu connues offrent cependant de nombreuses informations sur l’ensemble de la famille. Plus complètes sont les sources parisiennes : aux Archives nationales, les études CIX (1615-1682), LXV (1677-1699) et surtout CV (1697-1721) donnent des renseignements indispensables pour retracer l’histoire des Chamillart et l’évolution de la fortune du ministre. La sous-série G7 , même si la correspondance du contrôleur général n’a pas été examinée en détail, apporte de précieuses informations, tout comme, entre autres, les séries et sous-série K et KK, O1 , V et Y. De façon parallèle, la très riche sous-série A1 du Service historique de l’armée de Terre, indispensable pour comprendre l’action ministérielle de Chamillart, a été exploitée avec le plus grand profit. Dans le même service, les dossiers de la sous-série Y a permettent de connaître le personnel des bureaux de la guerre au début du xviiie siècle. D’autres institutions, enfin, ont été mises à profit : la Bibliothèque nationale de France (Cabinet des titres, Mélanges Colbert, Papiers Noailles et différents recueils de manuscrits), la Bibliothèque Mazarine (en particulier les Mss 2626, 2301 et 2451), les Archives du ministère des affaires étrangères, les Archives de Paris (sous-série D.C6 ), ou encore les Archives départementales de l’Yonne et des Yvelines (sous-séries 3 E).


Première partie
Histoire d’un favori (1654-1709)


Chapitre premier
L’ascension des Chamillart

L’ascension de la famille Chamillart fut lente et laborieuse, marquée d’autant d’échecs que de succès. Originaires de Sens, les Chamillart apparaissent dans les archives au début du xvie siècle, en tant que marchands et petits propriétaires. Des alliances intelligentes et un sens certain des affaires leur permirent d’entrer, au cours des premières décennies du siècle, dans les rangs de la bonne bourgeoisie sénonaise. Fruit de cette ascension, Claude Chamillart épousa vers 1570 Marie Tolleron, dame de Dixmont, et s’enrichit grâce à la charge lucrative de receveur des tailles à Sens. De ses quatre enfants, un seul monta à Paris et réussit à y faire fortune : Pierre Chamillart qui, quittant le négoce, fit des études de droit et exerça le métier d’avocat au Parlement de Paris. Installé rue des Bernardins, à l’ombre du clocher de Saint-Nicolas du Chardonnet, il se lia d’amitié avec plusieurs familles de la robe parisienne, au premier rang desquelles on trouve les Chauvelin. Fort de ces soutiens, Pierre Chamillart acquit une envergure sociale sans rapport avec celle de ses aïeux, ni avec celle de son frère et de ses deux sœurs, restés dans l’ombre. Ses sept enfants connurent des carrières variées. Quatre d’entre eux rejoignirent les rangs du clergé, dont deux, les abbés Gaston et Michel Chamillart, dans la communauté des prêtres de Saint-Nicolas du Chardonnet ; hommes de grande culture, ils mirent leur talent au service de la défense des positions romaines, dans les querelles jansénistes puis gallicanes. Des trois enfants restants, seul Guy Chamillart entreprit une carrière de juriste puis d’administrateur. Avocat général au Grand Conseil, il épousa en 1648 Catherine Compaing, issue d’une famille de robe réputée, et entra peu à peu dans la clientèle de Colbert. Cette situation fit sa fortune : maître des requêtes en 1662, chargé de la réformation des forêts d’Île-de-France, puis procureur général au procès de Fouquet, Guy Chamillart se montra un serviteur dévoué et obéissant. Il fut remercié de son zèle par l’intendance de Caen, qu’il obtint en 1665 et conserva jusqu’à sa mort, en 1675. S’il laissait à ses cinq enfants une fortune honorable, il mourut trop tôt pour assurer à chacun d’eux une position stable.

Chapitre II
La carrière de Michel Chamillart

Fils aîné de Guy Chamillart, né en 1654, Michel Chamillart reçut très tôt la commende du prieuré de L’Isle-Adam. Mais il quitta la voie ecclésiastique en 1674 pour acheter un office de conseiller au Parlement de Paris. Sans appuis autres que familiaux, il épousa en 1680 sa cousine Élisabeth-Thérèse Le Rebours, et aurait probablement terminé sa carrière dans une charge parlementaire, s’il n’avait fait la connaissance du roi, sans doute à la faveur d’une partie de billard, vers l’année 1684. Une amitié solide naquit entre les deux hommes. Maître des requêtes en 1686, Chamillart fut chargé de deux tournées d’inspection fiscale à travers le royaume en 1687 et 1688, puis nommé intendant à Rouen. Il revint à Paris dès 1690 pour exercer la charge d’intendant des finances. Commença alors une décennie décisive. Mis en contact avec le monde des financiers, vers lequel ni la tradition familiale ni ses rares cousins ne le poussaient, Chamillart sut s’en faire apprécier, et, surtout, il acquit l’amitié de Madame de Maintenon, qui lui confia une partie de l’administration de Saint-Cyr. L’intendant des finances ne pouvait compter sur sa famille proche : de ses trois frères, l’un était mort dès 1689, le second était entré dans le clergé en 1674, et le troisième avait choisi la voie des armes, sans grand succès. C’est donc à la faveur royale seule qu’il dut son élévation au contrôle général en 1699, après la démission de Louis de Pontchartrain, puis sa promotion à la dignité de ministre d’État. Sans bouleverser le monde des financiers, Chamillart se contenta de châtier les moins honnêtes en organisant dès 1700 une petite chambre de justice, et s’entoura seulement de quelques hommes de confiance, parmi lesquels on trouvait deux “ directeurs des finances ”, et des hommes tels que Jacques Poulletier et François Mauricet de La Cour. L’essentiel de son action, dans les années qui suivirent, consista à trouver les moyens de soutenir l’effort militaire français dans la guerre de Succession d’Espagne. Pour cela, le contrôleur général n’avait guère d’autre choix que de jouer sur les monnaies et de multiplier les “ affaires extraordinaires ”. En janvier 1701, pour bien marquer le lien entre guerre et finances, Louis XIV choisit Chamillart pour remplacer Barbezieux comme secrétaire d’État de la guerre. Chefs des deux départements ministériels les plus importants du royaume, le ministre soutint dès lors avec courage le poids des difficultés et des défaites qui s’accumulèrent peu à peu.

Chapitre III
Les faux-semblants de la puissance

Comparé à ses prédécesseurs, Chamillart n’eut guère l’envergure qui correspondait aux charges qu’il exerçait. Manquant cruellement de confiance en lui, il souffrit de l’érosion progressive des clientèles ministérielles, sans réussir à en constituer une à son service. De caractère solitaire, il méprisait la Cour, et refusa d’appartenir à l’un ou l’autre des clans qui l’agitait. Sans rechercher autre chose que l’amitié royale, il se contenta de quelques amis, rares mais fidèles, au premier rang desquels se trouvaient le duc de Saint-Simon ou la maréchale de Noailles. Par ses enfants, pourtant, Chamillart disposait d’un atout majeur pour affermir sa position. Aussi chercha-t-il à les marier de son mieux : si sa première fille avait épousé Thomas Dreux, fils de conseiller au Parlement, les deux suivantes épousèrent successivement, en 1701 et 1702, les ducs de La Feuillade et de Lorge. Par malheur, aucun de ces deux gendres ne répondit aux projets du ministre : le premier brilla par incapacité sur les champs de bataille, en particulier devant Turin en 1706, et le second resta dans l’ombre. Restait Michel II Chamillart, fils unique du ministre : reçu survivancier de son père en 1707, rapidement initié aux arcanes du métier, il épousa l’année suivante Marie-Françoise de Rochechouart et représentait à lui seul l’espoir d’une dynastie ministérielle. Mais Chamillart avait sous-estimé le mécontentement qui s’éleva peu à peu à Versailles. Rendus furieux par les échecs militaires et les difficultés financières, les courtisans firent progressivement converger vers lui leurs critiques. Sans autre appui que la personne royale, Chamillart crut se tirer de cette position délicate par sa démission du contrôle général en février 1708, au profit de Nicolas Desmarets. Mais la prise de Lille, le grand hiver de 1709 puis l’échec des préliminaires de La Haye eurent raison du ministre. Moqué par les courtisans, attaqué par les membres de la famille royale, il ne sut pas réagir contre les critiques qui fusaient de partout. Celles-ci atteignirent finalement Louis XIV qui, signe certain d’une évolution de l’absolutisme royal, accepta à contrecœur de renvoyer son ministre en juin 1709. Voulue avant tout par l’opinion publique, et sans que nul n’ait de griefs précis contre la victime, la chute de Chamillart annonçait l’instabilité ministérielle des deux règnes suivants.


Deuxième partie
Un ministre au travail


Chapitre premier
Ministre et secrétaire d’État

Contrôleur général des finances et secrétaire d’État de la guerre, Michel Chamillart fut entre 1699 et 1709 le principal collaborateur de Louis XIV. Le poids de ces deux charges exercées avec le soutien sans faille du souverain font de lui un témoin capital pour comprendre la nature réelle du pouvoir ministériel. Ami du roi, Chamillart fut son confident de tous les instants et son compagnon de travail quotidien. Aux différentes réunions du Conseil s’ajoutaient en effet les séances de la “ liasse ”, rencontres en tête-à-tête particulièrement appréciées du ministre. Enfin, la transmission du courrier royal et l’annonce des nouvelles reçues du front obligeaient Chamillart à se présenter fréquemment à la porte des appartements royaux. Aucun des ministres n’avait un accès si régulier à la personne royale, et cette situation entraîna quelques jalousies. Chamillart n’eut jamais de relations franches avec Louis et Jérôme de Pontchartrain : le premier critiquait ses méthodes au contrôle général, et le second ne manquait pas une occasion de compliquer les relations entre les services de la marine et de la guerre. Mais le travail du secrétaire d’État de la guerre en souffrit peu : le roi accordait toute sa confiance à son ministre pour la rédaction de sa correspondance, tout en exerçant un contrôle sévère sur son contenu. Une étude attentive de cette correspondance démontre la fragilité du concept de “ stratégie de cabinet ” en matière militaire. Bien plus qu’une direction tatillonne des affaires, le roi exerçait, en étroite coopération avec ses conseillers, un rôle indispensable de coordination. Tenus d’obéir aux directives générales, les chefs de guerre disposaient pour leur exécution d’une très large liberté d’initiative. Cette façon d’agir convenait parfaitement à Chamillart : d’un naturel assez doux, souvent larmoyant, il se démarquait volontairement du souvenir de Louvois, et séparait volontiers la charge publique qu’il exerçait de sa personne privée. Conscient de sa méconnaissance des affaires militaires, il préférait donner aux chefs de guerre des conseils plutôt que des ordres, et conserver de bonnes relations avec la plupart d’entre eux, Villars et Vendôme en particulier. Prudent, il haussait rarement le ton, et ne donnait jamais son avis personnel sans de multiples précautions préalables.

Chapitre II
L’administration de la guerre

Les réformes menées par Chamillart au sein du département de la guerre ne sont pas comparables à celles qu’avaient mises en oeuvre Louvois et son père. L’époque n’était plus au grandes réorganisations, et Chamillart se contenta d’utiliser les cadres en place, en y insérant quelques nouveautés, telles qu’une direction générale des vivres, qui ne lui survécut guère. En revanche, la fin du règne de Louis XIV est une époque essentielle pour comprendre la naissance de l’administration de la guerre. Réduite jusqu’alors à quelques premiers commis choisis dans la clientèle du secrétaire d’Etat, celle-ci prit une importance nouvelle. Après plusieurs modifications importantes dans les attributions des bureaux, et la création d’un grand bureau chargé de l’ensemble des aspects matériels liés à la marche des troupes, Chamillart promulgua en mars 1708, quelques jours après sa démission du contrôle général, le premier texte officiel réglementant le fonctionnement des bureaux de la guerre. Ce texte, qui donnait à chaque premier commis des occupations précises, accordait en particulier une place prépondérante au bureau de la correspondance. Parallèlement, le temps des Chamillart est un moment important dans la définition du statut des commis de la guerre, qui annonce celui des « pré-fonctionnaires » du xviiie siècle. Au sein de chaque bureau, une hiérarchie de plus en plus nette sépare le premier commis, chef de bureau, de ses subordonnés; cette hiérarchie apparaît également dans les salaires et dans les avantages financiers dont tous bénéficient. Du point de vue social, les premiers commis se différencient également. Issus parfois de familles de robe réputées, souvent fortunées, ils peuvent obtenir des alliances très honorables. En revanche, malgré la naissance progressive d’un véritable esprit de corps, ils éprouvent encore le besoin de posséder une ou plusieurs charges qui puissent leur assurer un revenu régulier et qui soient transmissibles à leur descendance. Moins touchés par ce besoin, les simples commis étaient en revanche très attachés à la promotion de leur famille au sein des bureaux eux-mêmes : c’est ainsi que se créèrent dans les premières années du xviiie siècle de véritables dynasties de commis, comprenant parents, frères et cousins.

Chapitre III
La guerre et la politique étrangère

La guerre de Succession d’Espagne aurait dû entraîner une étroite collaboration entre les deux départements de la guerre et des affaires étrangères. Mais peu d’éléments rapprochaient leurs deux chefs, Chamillart et Torcy. Tous deux s’opposèrent d’abord au sujet des affaires intérieures de la couronne espagnole. Dès les premières années de la guerre, Chamillart s’efforça d’avoir dans la péninsule des correspondants efficaces, à même de le renseigner sans qu’il ait besoin de passer par Torcy. Mais la succession trop rapide des ambassadeurs de Versailles à Madrid l’empêcha d’établir des relations suivies, et ses relations avec Jean Orry, le plus influent des représentants français, furent orageuses. Chamillart trouva finalement un ami en la personne de l’ambassadeur Amelot, mais perdit sa confiance lorsque le roi ordonna, en 1709, le retrait des troupes françaises. Sur le théâtre des opérations, Chamillart laissa donc la conduite des affaires diplomatiques à Torcy, et se contenta de relations avec les chefs de guerre.
Aux Pays-Bas, en revanche, la situation était plus ambiguë. Dès 1706, le secrétaire d’État de la guerre, qui disposait d’innombrables informateurs sur les frontières et dans les provinces du Nord du royaume, avait tenté d’imposer des négociations en vue de la paix. La désastreuse campagne de 1708 le poussa à renouer avec ses interlocuteurs, tandis que Torcy, de son côté, faisait de même. Les deux ministres entretinrent chacun leur propre réseau d’informateurs, jusqu’à ce que, au mois de février 1709, Louis XIV décide d’entrer dans les négociations officielles par l’entremise du comte de Bergeyck, homme de Chamillart ; le souverain jouait ainsi sur la concurrence de ses deux ministres, et, préfiguration du “ secret du roi ”, se réservait le droit de choisir la voie qui lui paraissait la plus sûre. Par le réseau qu’il avait monté, Chamillart fut donc à l’origine des préliminaires de La Haye. Mais, dès que les négociations furent officielles, le roi en confia la conduite à Torcy, et Chamillart rentra dans l’ombre, se contentant désormais d’être tenu au courant, sans grandes illusions, de l’évolution des pourparlers.


Troisième partie
La fortune de Michel Chamillart


Chapitre premier
Les bases de la fortune de chamillart

La fortune de Chamillart fut-elle aussi modeste que son envergure politique Fils aîné de Guy Chamillart, le futur ministre reçut une part importante de la succession de celui-ci, et l’accrut encore par son mariage avec Élisabeth-Thérèse Le Rebours, fille unique d’un maître des comptes. Le montant de sa fortune, toutefois, ne dépassait guère la moyenne de ceux de ses confrères conseillers au Parlement de Paris. La position éminente de Chamillart lui valut de s’occuper de la succession de plusieurs des membres de sa famille : celle de son oncle Gaston Chamillart, puis celle de son frère Jean-François, évêque de Senlis, lui rapportèrent chacune quelques dizaines de milliers de livres. Enfin, des proches du ministre lui firent tout au long de sa vie des dons importants : le plus généreux d’entre eux fut le financier Nicolas-Jérôme Herlaut. Enrichi grâce à Chamillart, il légua au ministre et à son fils une fortune considérable, constituée en grande partie d’immeubles de l’actuelle place Vendôme, mais des difficultés imprévues poussèrent le ministre, alors disgracié, à se séparer de la plus grande partie de cet héritage. En réalité, la fortune de Chamillart résulte de l’exercice de ses charges successives et de la faveur royale bien plus que de ses origines familiales. L’étude des appointements du ministre au long de sa carrière montre un accroissement brutal de ses revenus à partir des années 1690, et qui connut son sommet entre 1701 et 1708. Les livres de compte de Chamillart permettent de calculer avec précision les revenus séparés du contrôleur général des finances et du secrétaire d’État de la guerre et jettent une lumière nouvelle sur la façon dont ces sommes étaient perçues. Avec un revenu annuel proche de 250 000 livres par an, Chamillart touchait des sommes tout à fait comparables à celles que recevait Colbert. Sa disgrâce, en 1709, porta un coup dur à sa fortune ; mais le roi lui accorda une pension confortable de 60 000 livres par an, qu’il put conserver jusqu’à sa mort. Si le temps des grands ministres semblait définitivement passé, il est clair que le service du roi enrichissait toujours, à la fin du règne comme au début, ceux qui s’y adonnaient.

Chapitre II
La gestion de la fortune de chamillart

Avec de tels moyens, Chamillart pouvait envisager des opérations de grande envergure. Dans les premières années de sa carrière, il se contenta d’acheter puis de revendre les charges successives qui lui furent confiées. Prudent, il prêta peu son argent, et resta généralement éloigné de la spéculation. C’est finalement la pierre et la terre qui eurent le plus de valeur à ses yeux. Après avoir quitté la rue des Bernardins, il s’était installé en 1691 dans le Marais. Locataire successif de deux hôtels différents, il fit effectuer dans l’un d’entre eux, situé rue Charlot, des travaux importants. À peine devenu ministre, il se lança dans une grande opération immobilière autour de la place des Victoires. Achetant coup sur coup de très nombreux terrains, il songea un moment à s’y faire bâtir un hôtel. Mais il emménagea finalement, en 1703, dans l’hôtel de Lorge, propriété de son gendre, qu’il modifia considérablement, tout en revendant, avec une forte plus-value, l’essentiel des terrains qu’il avait acquis. Il en conserva seulement une partie, qu’il laissa à son ami le financier Mauricet de La Cour. Celui-ci y fit bâtir, sous la direction de l’architecte Pierre Levé, un très vaste hôtel, surnommé “ hôtel de Travers ”, et probablement destiné au ministre qui, toutefois, n’y habita jamais.
Chamillart fit aussi preuve d’une intense activité foncière. Héritier par son père d’une terre en Normandie, il la revendit pour acheter le domaine de Montfermeil, plus proche de Paris. La mort subite de Barbezieux lui donna l’occasion d’acquérir la terre de l’Étang, située entre Paris et Versailles. Pendant près de dix ans, Chamillart s’adonna avec passion à l’amélioration de ce bâtiment à peine achevé, dont il fit presque une résidence principale. La démission de 1708, puis la disgrâce de 1709, mirent fin à l’ensemble de ces projets immobiliers : le ministre déchu céda une partie de l’Étang à Nicolas Desmarest, avant de revendre le château lui-même à un démolisseur. Si le bilan financier de ces multiples opérations ne fut pas négatif, elles laissent une impression d’échec, ou en tout cas, d’une activité trop désordonnée pour être efficace. Au lendemain de sa disgrâce, en effet, Chamillart ne possédait en pleine propriété ni terre ni hôtel.

Chapitre III
Le déclin (1709-1721)

Après sa disgrâce, Chamillart visa d’abord des demeures moins ambitieuses : il loua dans un premier temps un hôtel quai Malaquais, et acquit finalement, en 1712, un hôtel proche de Saint-Eustache, dans lequel il vécut jusqu’à sa mort. Désireux de s’installer en province, il jeta son dévolu sur la terre de Courcelles, entre Le Mans et La Flèche. Le château avait été rebâti au milieu du XVII e siècle, et offrait toutes les commodités nécessaires au ministre renvoyé. Celui-ci y passa désormais toute la belle saison, s’attachant à agrandir ses terres par une politique soutenue d’acquisitions, entretenant quelques relations parmi la noblesse locale, et recevant régulièrement, pour tromper l’ennui, de vieux amis parisiens. Les occupations quotidiennes de Chamillart sont mal connues. Peu poussé vers les exercices intellectuels, le ministre avait un goût certain pour l’art de la reliure, et ce goût fut ensuite repris par sa femme, dont le nom est célèbre parmi les bibliophiles. Mais plusieurs documents inédits montrent que Madame Chamillart fit relier les livres de son mari bien plus que les siens propres, et nous apprennent le nom de son relieur, l’artiste Louis-Joseph Dubois. Persona non grataà Versailles dans les premières années de sa disgrâce, le ministre retrouva la faveur officielle du souverain en 1712. Sans reprendre la vie de courtisan, il put exercer à nouveau sa charge de grand trésorier de l’Ordre du Saint-Esprit, mais la revendit dès 1713. Malade, épuisé physiquement, il eut la douleur de perdre en l’espace de deux ans trois de ses quatre enfants. Son fils, le marquis de Cany, doté de la charge de grand maréchal des logis de la Maison du roi, et sur qui reposaient tous les espoirs du ministre, mourut en 1716, ne laissant que des enfants en bas âge. La duchesse de Lorge et la duchesse de La Feuillade moururent au même moment. La fin de la vie de Chamillart fut consacrée au règlement compliqué de sa succession puisque, dès son vivant, le ministre avait laissé l’essentiel de ses biens à ses enfants et petits-enfants. Il mourut au printemps de l’année 1721, oublié de son temps, et fut inhumé auprès de ses aïeux, dans l’église Saint-Nicolas du Chardonnet. Sa fortune, partagée plus de vingt ans après sa mort par ses héritiers, et qui atteignait à peine 350 000 livres, n’était plus que le lointain reflet de la brillante carrière qu’il avait menée.


Conclusion

La seule faveur du roi fit de Chamillart, modeste héritier d’un lignage mal assuré, un ministre chargé pendant presque une décennie des deux départements ministériels les plus importants du royaume. Il est donc possible de regarder ce mal aimé de l’histoire comme le type même de ministre apprécié de Louis XIV. Certes, il ne fit jamais preuve d’une très forte personnalité, et beaucoup de ses entreprises, tant dans le domaine privé que public, furent des échecs apparents. Mais ce caractère même de grand commis, administrateur dévoué et compétent, en même temps qu’homme effacé, fait de lui un modèle de ministre beaucoup plus crédible que celui qu’offrent Colbert ou Louvois. Capable et intelligent, placé à une période essentielle qui voyait l’administration prendre le pas sur les clientèles, et la France passer du Grand siècle au siècle des Lumières, il sut faire face avec pragmatisme aux situations difficiles auxquelles il était confronté. Par son absence de rayonnement, par son action ministérielle marquée par d’importantes mesures administratives plutôt que par des grands bouleversements, et, surtout, par la façon dont il considéra et exerça ses fonctions, en relation avec les autres secrétaires d’État, Michel Chamillart illustre mieux que tout autre les profondes transformations de l’État royal à l’aube du xviiie  siècle.


Pièces justificatives

Inventaire de la bibliothèque des Chamillart. ­ Correspondance échangée entre Chamillart et la maréchale de Noailles. ­ Déclaration relative à l’hôtel de Travers. ­ Règlement sur l’organisation des bureaux de la guerre de mars 1708 et différents documents relatifs aux commis des bureaux de la guerre.


Annexes

Dictionnaire prosopographique des commis des bureaux de la guerre au temps de Chamillart (soixante-trois notices). ­ Portraits. ­ Illustrations.