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École des chartes » thèses » 2000

Louis Le Vau : les débuts d’un architecte parisien (1612-1654)


Introduction

Louis Le Vau est loin d’être un artiste méconnu, mais on n’a généralement de lui qu’une image fragmentaire, à la faveur d’analyses ponctuelles de telle ou telle de ses œuvres, ou en négatif, grâce à l’étude de ses contemporains et de ses proches, comme François Le Vau ou François d’Orbay. Un travail à caractère biographique permet non seulement de remédier à ces lacunes, mais ouvre aussi de nouvelles perspectives de recherches en découvrant à l’architecte des ouvrages inédits et en révélant l’évolution logique de sa brillante carrière. Cependant, même en choisissant de privilégier systématiquement l’étude de l’architecte à celle de son art, il n’est guère possible d’envisager tous les aspects de l’activité de Louis Le Vau à la fois. Se fixer pour terme chronologique son accession à la tête des bâtiments du roi met en valeur la cohérence de sa première carrière, entre 1634 et 1654, entièrement consacrée à la clientèle privée parisienne.

L’abondance et la diversité des sources, presque exclusivement tirées du fonds du Minutier central des notaires de Paris, aux Archives nationales, conduit à accorder un traitement particulier aux devis d’ouvrages, édités et commentés en seconde partie.


Première partie
Une demi-biographie (1612-1654)


Chapitre premier
Les débuts (1612-1639)

Origines  — L’humble milieu social et familial dont est issu Louis Le Vau explique la rareté des sources à son sujet jusqu’au milieu des années 1630. La condition de son grand-père maternel, maréchal-ferrant à Montagny-en-Vexin, témoigne d’ailleurs d’attaches rurales encore récentes. Son père, domicilié rue Saint-Jean-en-Grève de 1622 à 1637, appartenait bien aux métiers du bâtiment, mais il était alors seulement tailleur de pierre, et non architecte ou entrepreneur comme on l’a souvent affirmé.

Une carrière personnelle  — C’est sans doute auprès de grands entrepreneurs, sur les chantiers, et à la lecture des traités d’architecture que Le Vau trouva la formation que sa famille ne pouvait lui fournir. En effet, l’important maître maçon Michel Villedo eut un rôle majeur dans les premiers chantiers d’envergure de l’architecte (l’hôtel de Guillaume de Bautru en 1634 et celui de François Petit, rue de Turenne en 1638), et l’on peut discerner dans la conception de ces demeures l’influence, librement interprétée, de la Manière de bastir de Pierre Le Muet. L’intervention de Le Vau sur le chantier de l’hôtel de La Vrillière en 1639 marque une véritable prise d’autonomie professionnelle et artistique, symbolisée par la probable création de la première chambre à alcôve couverte en plafond à voussure de Paris. La même année, il fut probablement responsable de la chambre ´ “ à l’italienne ” de la résidence de campagne de Louis Hesselin, à Chantemesle.

La collaboration avec son père  — Louis Le Veau (c’est ainsi qu’il convient d’orthographier le nom du père de l’architecte) abandonna le métier de tailleur de pierre en 1634 pour s’essayer à l’entreprise de maçonnerie. A partir de 1635, il porta le titre de maître maçon, et son fils lui fournit régulièrement dessins et devis pour des ouvrages en général très modestes. C’est pourtant grâce à cette collaboration que le jeune architecte put s’introduire sur le vaste chantier qu’était alors l’île Saint-Louis, par la contruction de maisons, ordinaires mais nombreuses : trois pour Nicolas Pontheron (1635), deux pour Guillaume Véniat et Denis Postel (1637), trois pour Pierre Chomel et sept pour Antoine Le Marier (1638). Seul l’“ hôtel de Gillier ”, sur le quai d’Anjou (1637-1639), se distingue par une architecture soignée ; cependant, il ne s’agit en rien d’un véritable hôtel, mais de deux maisons indépendantes habilement jointes pour former un ensemble factice.

Chapitre II
Le temps des succès (1639-1646)

Famille et fortune  — Après avoir logé pendant deux ans sur le quai des Célestins, la famille Le Veau s’installa rue Saint-Louis-en-1’Ile en 1639, où elle prospéra rapidement, de baptêmes en mariages. Louis, qui s’était depuis 1638 donné le nom de “ Le Vau ”, en était désormais la figure dominante. Son père cessant dès 1642 toute activité professionnelle, ses deux nouveaux beaux-frères ­ un maître maçon et un maître charpentier ­ furent désormais pour lui des collaborateurs usuels. En revanche, son frère François, qui était né vers 1623 et non en 1613 comme on l’a longtemps cru, ne participa pas directement à l’activité familiale pendant ces années de prospérité. Le Vau, marié en 1639, multiplia les investissements personnels, grâce à la protection de Jean-Baptiste Lambert, son principal client. En 1640, il se fit bâtir une belle maison sur le quai d’Anjou, puis lotit dans les années suivantes deux terrains rue Saint-Louis-en-1’Ile à son profit. En 1642, il fit l’acquisition d’une grande demeure de campagne à Brévannes, en Brie, et, deux ans plus tard, il se dota d’un office de secrétaire du roi.

Ouvrages sur l’île Saint-Louis  — La carrière de Louis Le Vau ne commença certes pas sur l’île Saint-Louis, mais elle y prit toute son ampleur. Il convient en particulier de mettre en valeur le rôle fondateur que joua la conception de l’hôtel ambert en 1640, signe de la maturité artistique de l’architecte. Il y inaugurait une manière personnelle, à laquelle il devait rester fidèle jusqu’au milieu des années 1660, traduisant tout autant sa culture théorique limitée que sa liberté créatrice. Avec la construction, sur le quai de Béthune, des hôtels Hesselin et Sainctot, mais aussi des quatre maisons voisines et, sans doute, de l’hôtel Viole (1640-1642), Le Vau renouvela la formule de la belle demeure faisant face sur rue. Cette série d’expérimentations distributives et ornementales aboutit à la création de l’hôtel de Comans d’Astry (1644-1647), qui peut désormais être rendu à son auteur. Enfin, Le Vau s’associa à deux entrepreneurs pour l’édification du pont de la Tournelle, des maisons du pont Marie, et l’achèvement des quais de l’île (1643-1646).

Hors de l’île  — Jacques Bordier, propriétaire de maisons sur l’île et le pont Marie, confia à Le Vau la construction de son château du Raincy (1643-1650) et l’agrandissement de l’hôtel de Vigny, rue du Parc-Royal (1645-1648). A cette occasion, l’architecte intervint également dans l’hôtel de Croisilles voisin, pour le compte du secrétaire de Bordier, Etienne Macquard (1647-1648). Au faubourg Saint-Germain, la protection du président Jean Tambonneau lui valut non seulement de concevoir le grand hôtel de la rue de l’Université en 1642, mais aussi son pendant, le “ Petit Tambonneau ” (1644), puis les maisons de François Luillier et des orphelins de la famille Boyer (1645-1646).

Chapitre III
Méandres d’une carrière  (1646-1654)

Des temps plus difficiles  — Alors qu’il y avait famille et biens, Louis Le Vau choisit en 1646 de quitter l’île Saint-Louis. Il fit l’acquisition d’une grande maison rue du Roi-de-Sicile, où il engagea aussitôt d’importants travaux de réfection et d’agrandissement, tandis qu’il se faisait encore bâtir trois maisons de rapport rue Saint-Louis-en-1’Ile. Ces investissements mirent à mal ses finances au moment où les commandes se faisaient moins nombreuses, avant de cesser presque complètement pendant la Fronde. La prise en main d’une manufacture de fer blanc en Normandie, en 1650, correspond en effet à l’interruption de son activité architecturale pendant près de trois ans. Avec plus de 225 000 livres de dettes et plusieurs procédures de saisie à l’encontre de ses biens, Louis Le Vau était en 1654 au bord de la ruine.

Evolution d’une clientèle  — On retient généralement de la carrière de Louis Le Vau pendant les années 1640 les grands programmes réalisés pour des financiers parisiens, dans les quartiers neufs de l’île Saint-Louis ou du faubourg Saint-Germain. Tout aussi importante pour sa réussite fut cependant la création d’intérieurs “ à la moderne ”. Depuis son intervention sur le chantier de l’hôtel de La Vrillière en 1639, il s’était fait une spécialité des appartements couverts de plafonds lambrissés, des chambres à alcôves et, surtout, des pièces “ à l’italienne ”. Sur la place Royale, les embellissements qu’il conduisit dans les hôtels de Villequier (1641-1646) et de Nouveau (1646-1653) furent pour beaucoup dans sa renommée auprès d’une clientèle plus aristocratique. Au début de la Fronde, il fut de nouveau employé par Antoine de Villequier pour l’aménagement de ses appartements neufs dans l’hôtel de Michel-Antoine Scarron, futur hôtel d’Aumont (1649-1650). Au même moment, le maréchal de Gramont lui confiait la création d’une alcôve dans sa chambre de l’hôtel de Clèves, à proximité du Louvre.

Le service du roi  — Après les années d’apparente inactivité de la Fronde, l’arrivée de Louis Le Vau à la tête des bâtiments du roi dès le décès de Jacques Lemercier peut paraître surprenante. Elle s’explique moins par le choix personnel du cardinal Mazarin, qui lui confia alors le projet du château neuf de Vincennes, que par sa réputation de créateur d’intérieurs fastueux, introduite à la cour par ses clients, Louis Hesselin et les maréchaux de Gramont et d’Aumont. Il convient de définir précisément la nature de la charge qu’il fut appelé à remplir au service du roi, car le titre de “ premier architecte ” était encore tout informel. La personnalité même de Louis Le Vau, ambitieux et avide d’honneurs, eut une influence directe sur l’évolution de cette fonction alors en concurrence avec la surintendance des bâtiments.

Chapitre final
Conclusion

L’étude des vingt premières années d’activité de Louis Le Vau révèle le véritable effet de mode dont il fut l’objet à partir de 1639 auprès de la clientèle parisienne, qui devait le conduire au service du roi et de la cour. Ce succès aussi rapide que brillant met en valeur la singularité de son art aux yeux mêmes de ses contemporains. Cette spécificité s’explique surtout par sa formation, plus pratique que théorique, et par sa culture architecturale exclusivement civile et urbaine. Elle se traduit dans son œuvre par un dialogue permanent entre les diverses formes de l’habitat parisien, de la simple maison à l’hôtel particulier, par la création d’une manière très personnelle, érigée en système, et par une grande sensibilité aux attentes nouvelles de la clientèle en matière de commodités et de grand décor.


Seconde partie
Édition des devis d’ouvrages de Louis Le Vau



Conclusion

Le nombre important des devis d’ouvrages autographes de Louis Le Vau conservés dans les archives notariales conduit à reconsidérer la valeur de ces actes, souvent négligés du fait d’un contenu plus technique qu’artistique. Leur édition fournit l’occasion de revenir plus précisément sur les méthodes de travail de Louis Le Vau, sur son rôle de conducteur de chantier et sur les rapports complexes qu’il entretint avec les professionnels du bâtiment. Ils représentent un témoignage précieux pour la connaissance du métier d’architecte, à une époque où ce dernier se définit de plus en plus par opposition à celui d’entrepreneur.


Édition

Sont édités intégralement les trente-deux devis et marchés retrouvés concernant les ouvrages de Louis Le Vau avant son accession au poste de premier architecte du roi, ce qui exclut les marchés notariaux seuls. Les quittances portées à la suite des marchés font l’objet de simples notices.


Pièces justificatives

Inventaires après décès des mère (1648) et père (1661) de Louis Le Vau. ­ Inventaire après décès de Louis Le Vau (1670), à l’exception de l’inventaire de sa bibliothèque.


Annexes

Arbre généalogique de la famille Le Vau. ­ Etat des sources sur 1’“ hôtel de Gillier ” (1637-1646). ­ Tableau chronologique des chantiers et collaborateurs de Louis Le Vau (1634-1654). ­ Tableau chronologique des constitutions de rente et obligations de Louis Le Vau (1639-1654). ­ Tables et index des noms de personne et des noms de lieu.


Illustrations

Autographes de l’architecte ; reproduction de documents graphiques concernant les bâtiments conduits par Le Vau jusqu’en 1654 (estampes de J. Marot et I. Silvestre, comparaisons avec des modèles publiés par A. Palladio et P. Le Muet, plans du cadastre Vasserot, etc.) ; plan restitué de l’hôtel Petit ; photographies des plans et élévations de la maison Boyer, annexés à la minute du marché ; photographies de bâtiments en place.