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École des chartes » thèses » 2005

L’élaboration des lois sous Henri II

Éléments d’une étude du pouvoir royal au milieu du xvie siècle


Introduction

Au milieu du xvie siècle, le double mouvement d’accroissement de l’importance du pouvoir législatif dans l’action royale et d’institutionnalisation des corps politiques entourant le souverain fait du processus d’élaboration des lois royales un élément clé de la compréhension du gouvernement. La description des acteurs participant aux décisions, à tous les niveaux, l’examen de l’instance suprême de réflexion qu’est le Conseil du roi, l’analyse de ses modes d’information, de fonctionnement et de travail, l’étude des modes de publicité des arrêts royaux et de leur transformation tentent d’extraire du flot des événements la réalité des relations du souverain et de ses sujets, et de définir entre ces deux moteurs la valeur historique des lois : compromis, convergence ou rapport de force ?


Sources

La matière principale de l’étude a été fournie par le Catalogue des actes de Henri II, parmi lesquels ont été retenus 1187 lois qui constituent le corpus de travail.


Première partie
Les lois sous Henri II : théorie, définition, description générale


Chapitre premier
La théorie des lois

Le milieu du xvie siècle a été, du point de vue de la théorie du pouvoir royal et de son rapport avec la loi, une période de confirmation de la tendance à l’affermissement qu’avait ouverte le règne de François Ier. Dans l’ensemble des œuvres étudiées, une étonnante homogénéité se laisse pressentir. Nulle dissonance parmi les différents traités, et seules des nuances légères font présager des divergences futures. Toutefois, celles-ci sont d’autant plus perceptibles que tous ces auteurs, quelque acquis qu’ils soient à un pouvoir royal fort, ne répondent en fait pas aux grands problèmes qui sont destinés à faire évoluer la théorie dans la seconde partie du siècle : l’obéissance aux lois iniques, les conséquences de l’origine divine du pouvoir. Pour l’heure, la doctrine est à l’unanimité parmi les théoriciens. Unanimité parmi les théoriciens, et entre eux et le pouvoir royal aussi. L’adéquation atteint en effet alors une qualité inédite et inégalée. Le pouvoir royal dispose d’une latitude doctrinale confortable pour faire des lois.

Chapitre II
Les lois du règne

La définition de la loi donnée par François Olivier-Martin : “ Toute mesure émanée du roi, inspirée par le bien du royaume ou l’intérêt public, et présentant un certain degré de généralité et de permanence, c’est-à-dire s’appliquant à une série indéterminée de personnes ” a servi de base à la constitution du corpus. Cependant, les marges d’une telle définition sont encore relativement larges, et il a fallu opérer une sélection des actes législatifs au cas par cas, après avoir constaté qu’aucun critère, diplomatique en particulier, ne permettait de dresser des cadres de choix automatiques.

Une fois le corpus établi et après avoir dessiné les contours contextuels du règne de Henri II, l’étude tente de dresser un tableau de répartition des différents domaines abordés par la loi et les préférences d’action qui semblent en ressortir. Correspondant au départ plus aux soucis militaires et financiers de la politique extérieure qu’à la prise en main des problèmes internes du royaume, la législation du règne de Henri II conduit finalement à entreprendre des réformes d’importance pour le fonctionnement global de la monarchie, principalement dans le domaine des finances et de l’“ administration ” du royaume.


Deuxième partie
Le Conseil du roi


Le Conseil du roi est l’organe de décision législative le plus visible pour l’historien. Rassemblant, en théorie sous l’égide du roi, les principaux conseillers de celui-ci, il doit informer les décisions du souverain. Sous Henri II, il connaît un début d’institutionalisation, qu’il est indispensable d’examiner en parallèle avec son fonctionnement “ quotidien ” pour cerner son apport dans la réflexion législative.

Chapitre premier
L’organisation du Conseil

Deux règlements bien connus jalonnent l’histoire du Conseil du roi en 1547 puis en 1557. Le premier distingue deux sessions du Conseil : le matin se tient le Conseil des affaires, réservé à un très petit nombre de conseillers et consacré aux matières de politique étrangère principalement ; l’après-midi est réservé au Conseil privé, plus largement ouvert et traitant de l’ensemble des questions touchant la vie du royaume. Le rôle des secrétaires des commandements et des finances y est mentionné. Il mérite cependant d’être plus précisément cerné : leur spécificité de titre étant établie à la fin du règne, il importe de savoir si elle correspond à une répartition étanche des matières mise en place plus tôt, ou si elle est issue de l’influence personnelle des bénéficiaires de la fonction.

Par ailleurs, le règlement de 1557 distingue deux activités du Conseil privé, qu’il tente de séparer clairement et d’encadrer : il réserve en effet à deux séances le traitement des affaires judiciaires parvenues au Conseil privé, laissant à tous les autres après-midi de la semaine le soin d’examiner les affaires du royaume. Ce règlement entend ainsi limiter aux séances “ pour les parties ”, c’est-à-dire judiciaires, l’entrée au Conseil privé de personnes non appelées à y siéger. Est-ce là une réelle innovation, ou cette réglementation correspond-elle à l’évolution intrinsèque de l’institution? L’étude des demandes d’avis au Grand Conseil apporte un début de réponse à cette question, permettant de saisir plus clairement l’activité judiciaire du Conseil privé avant ce règlement.

Chapitre II
Les membres du Conseil

L’un et l’autre règlements ont pour but premier de signaler explicitement quelles sont les personnes admises à entrer dans les différentes sessions du Conseil. Sans aucun doute affaire d’honneur, cette désignation peut également révéler l’habileté du souverain à s’entourer d’avis compétents, et être, finalement, un indice des choix politiques du règne.

Au-delà des textes réglementaires, il importe donc de chercher quels sont les membres actifs du Conseil, ainsi que les transformations de sa physionomie au cours de la période ; éléments grâce auxquels se dessine la figure véritable de cette première instance de décision. Cet examen permet également d’apprécier le recours à des personnels compétents, en particulier en matière de finances, qui entrent au Conseil non pour des raisons honorifiques, mais bien en tant que techniciens de questions spéciales.

Chapitre III
Le Conseil au travail

Très liée à la composition et à la réglementation du Conseil, la question de son fonctionnement effectif permet de prendre la mesure réelle des débuts de son institutionnalisation. En effet après avoir défini les cadres officiels dans lesquels se déroulent les séances, le relevé, dans les mentions hors teneur, des indications concernant le lieu, les responsables des actes, ou la date offrent un panorama plus précis de l’activité réelle du Conseil : celui-ci se révèle travailler avec remarquable constance, et il est surtout notable que les périodes d’éloignement du roi n’affectent en rien sa production.

La question de la séparation du Conseil et du roi amène à envisager deux problèmes : d’une part l’autonomie de travail du Conseil vis-à-vis de son chef naturel, d’autre part le cas particulier des “ régences d’absence ” que Catherine de Médicis a eu à assumer à plusieurs reprises. L’une et l’autre situation montrent à la fois le début de prise d’indépendance du Conseil en même temps que les limites de celle-ci.

À l’inverse, l’examen du personnel technique chargé d’assurer le bon déroulement des séances, leur secret, le rapport des dossiers, ne met pas en lumière la définition d’un groupe affecté clairement et uniquement au service du Conseil, ce qui sans doute freine sa constitution en organe autonome.

Chapitre IV
Les actes du Conseil

Le travail du Conseil se traduit matériellement par la production d’actes, expression des décisions prises durant les séances. Si tous les actes n’appartiennent pas au domaine législatif, leur rapide étude d’ensemble permet seule de cerner la part relative consacrée à l’élaboration des lois dans toute l’activité du Conseil. En outre, l’examen de la répartition de la production du Conseil entre les différentes catégories diplomatiques, lettres patentes, arrêts et lettres closes, montre la grande souplesse du mode de publication des décisions, et l’absence pour cette époque encore de structures réellement signifiantes dans leur mise par écrit.


Troisième partie
L’élaboration intellectuelle des lois


Chapitre premier
Les dossiers préparatoires

Les préliminaires des décisions prises par le roi résident dans l’étude de dossiers constitués dans le royaume et envoyés au Conseil. Le Conseil recourt très souvent aux informations que peuvent lui fournir les serviteurs de la monarchie en fonction dans le royaume. Ils sont capables de lui apporter une vision documentée de telle ou telle réalité locale, basée sur des bilans ou des états récapitulatifs. C’est dans les domaines économique et fiscal que ces enquêtes ont surtout lieu. Dans une optique générale de recensement, elles fournissent un cliché, précis et immobile, immédiatement décryptable par le Conseil, mais elles laissent de côté le facteur “ temps ” dans les données qu’elles abordent : les dossiers sont dressés à une date arrêtée et reflètent la situation à ce moment déterminé.

C’est ici la limite de ces dossiers demandés aux agents du roi : ils apportent certes au Conseil une information fiable, mais figée, et sans considération des contingences temporelles. Aucune notion statistique encore ne vient apporter les nuances temporelles requises pour l’appréhension exacte des processus, et ne permet, grâce à la confrontation de différents états, de se placer dans la dimension dynamique du mouvement, qui est celui de la vie. Les dossiers demandés par le Conseil, et constitués pour lui, révèlent un mode de réflexion qui n’est pas celui de la projection, mais seulement celui de la prospection.

Chapitre II
Personnes et influences

Quelques lois du règne de Henri II sont bien connues pour avoir été prises à l’instigation d’un proche du souverain. Les grandes figures qui l’entourent, Montmorency et les Guise entre autres, ont sans doute eu à jouer un rôle important dans la présentation, la préparation et la publication de certains textes législatifs. Les mentions hors teneur des actes, si elles permettent de dessiner à grands traits les contours des intérêts des hauts personnages proches du roi, ne sauraient cependant définir précisément leurs interventions. Il s’en faut que l’on puisse discerner des matières attribuées exclusivement à l’un ou l’autre des grands acteurs de la politique royale.

Chapitre III
L’œuvre législative : des acteurs en collaboration

En matière législative, la technicité de certaines questions d’une part, le caractère local de bien des demandes d’autre part, font que le Conseil a besoin d’être mû d’abord, informé ensuite, par des instances particulières. L’élaboration des lois se fait à l’initiative de différents acteurs, “ corps intermédiaires ” qui, de même qu’ils sont constitutifs du royaume, fournissent les éléments imbriqués nécessaires à la décision. On peut distinguer deux grandes familles d’organes aidant le roi et son Conseil à former leurs arrêts : d’un côté, les émanations de la puissance souveraine, les parlements, les différentes cours financières, monétaires principalement ; de l’autre, les échelons successifs des communautés locales, que leur aide soit sollicitée par le Conseil ou qu’elles soient elles-mêmes à l’initiative d’une réflexion.


Quatrième partie
La loi vivante : la « perlaboration »


Chapitre premier
Le Parlement de Paris, interlocuteur privilégié du roi dans l’élaboration des lois

Les rapports entre le roi et le Parlement de Paris ont été, au cours du règne de Henri II, largement positifs, si l’on fait abstraction des réticences inévitables occasionnées par les mesures bouleversant par trop l’ordre suivi par les membres de la cour parisienne. Henri II y a trouvé des juges attentifs à la portée des décisions qu’il prenait – attention qui a constamment donné lieu à des réorientations des actes dans le sens favorable à la royauté –, ainsi que des interlocuteurs compétents capables de lui signaler des modifications plus importantes sur le plan du droit.

Dans une étude plus fine des relations du Parlement de Paris et du Conseil du roi, on voit que certains actes font systématiquement l’objet de remontrances : pour les aliénations du domaine, les mutations de juridiction, les naturalisations ou les indults, le Parlement de Paris exprime automatiquement ses réticences, qui ne sont en rien censées freiner l’action du roi, mais doivent seulement, le cas échéant, préserver explicitement ses droits.

Seuls quelques thèmes, ceux de la réforme de la justice et de la question religieuse, provoquent une véritable contestation du Parlement, celui-ci restant au demeurant finalement toujours dans l’obéissance. De ces éléments ressort que la pratique des remontrances dans l’élaboration des lois est véritablement perçue comme un devoir d’“ aide et conseil ” et non comme un moyen d’opposition politique.

Chapitre II
Des sanctions pragmatiques

Les lois, en grande part, plongent leurs racines dans des décisions antérieures, développent de multiples embranchements interprétatifs, subissent des coupes et des greffes qui modifient leur portée initiale. Vu de trop près, le corpus législatif échappe, semble-t-il, à tout agencement. C’est que l’unité et la cohérence se trouvent à un niveau supérieur, et que leur expression ne craint pas les tâtonnements. Le Conseil ne cherche pas dès le départ à faire un texte absolument abouti. Il laisse à la réactivité naturelle du royaume le soin de soulever les problèmes d’application et d’apporter devant lui les modifications nécessaires. Le texte sert réellement de trame de départ, sur laquelle les entités constitutives du royaume viennent, naturellement et à leur rythme, apporter leur touche de façon à ce que, idéalement, l’œuvre terminée corresponde aux exigences et aux attentes de toutes les parties.


Conclusion

C’est finalement la place de la loi dans la construction de la monarchie absolue que la question de leur élaboration nous amène à aborder. Les lois rencontrées au cours de notre travail, quoique issues d’une collaboration vivante et réelle entre le Conseil et de l’une ou l’autre des entités constitutives du royaume, préparent en fait sans conteste la terrain de la prise en main par le pouvoir royal de toute décision. Certes, le recours à l’autorité royale assure aux requérants et, pour lors, collaborateurs, une force bien supérieure pour la mesure obtenue. Mais il sous-tend également l’abandon progressif de leur capacité à décider eux-mêmes leur mode de fonctionnement. En somme, le processus d’élaboration “ collective ” de la loi élargit le champ d’intervention motu proprio du roi en matière législative, et par là, légitime l’affermissement de son pouvoir et la construction de l’État.


Pièces justificatives

Règlements du Conseil privé (1547, 1557, 1558). – Mémoire du chancelier Olivier sur le Conseil (1559-1560). – Catégories de lettres patentes (1553-1559). – Liste des lois de l’année 1547. – Mémoire de la Chambre des comptes. – Projet de règlement des finances. – Liste des actes modifiant l’édit de Crémieu. – Édit sur les secrets des délibérations judiciaires (6 juin 1553). – Divers documents.


Annexes

Nombreux tableaux retraçant l’activité législative du roi et de son Conseil et la part prise par les différents intervenants (entourage du roi, secrétaires d’État, conseillers, maîtres des requêtes).