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École des chartes » thèses » 2006

Mettre au monde. Sages-femmes et accouchées en Corrèze au xixe siècle


Introduction

Le xviii e siècle éclairé s’est ému du « grand massacre des innocents » perpétré par des matrones sans principe. À partir des années 1760 et tout au long du siècle suivant, l’État s’attache, sans solution de continuité, à offrir au pays un nombre croissant de sages-femmes formées selon les références de l’obstétrique contemporaine. La création en 1802 de l’Hospice de la Maternité de Paris sous l’égide de Chaptal, ministre de l’Intérieur, s’insère dans le mouvement de réforme complète des études médicales entrepris par Napoléon. Néanmoins cette étape primordiale de fondation d’un établissement prestigieux mais parisien ne constitue que la base d’un édifice démultiplié à des échelles inférieures.

Les écoles départementales d’accouchement, qui naissent de maternités ou en déterminent la mise en place, se développent pendant le premier tiers du xix e siècle. L’exemple de l’école d’accouchement de Tulle, fondée en 1834 à une date où les créations se raréfient, permet d’aborder par l’angle provincial les modalités de la formation des sages-femmes françaises à cette période. La maternité qui s’inscrit au cœur même de cet établissement souligne l’imbrication forte des structures théorique et pratique dans la pédagogie obstétricale. L’étude de cette institution se place à la croisée de plusieurs recherches, à mi-chemin d’une historiographie foisonnante et de champs à défricher. L’histoire de la naissance, l’histoire des femmes ou l’histoire de la médicalisation ont déjà donné lieu à de multiples travaux. Il n’est pas question ici d’en faire la synthèse, mais de s’appuyer sur les acquis de nos prédécesseurs pour éclairer une profession et son cadre d’exercice qui dépasse largement les domaines évoqués. La Corrèze, archétype du département rural, pauvre et enclavé, se révèle, pour toutes ces raisons, un espace particulièrement intéressant. Étudier un symbole de modernité en pays d’arriération constitue à ce titre un stimulant paradoxe à la base de notre recherche.


Sources

Le principal fonds d’archives sur lequel s’appuie cette étude se compose de deux ensembles. D’un point de vue strictement archivistique, il s’agit en fait de deux fonds, l’un émanant de la préfecture de la Corrèze, l’autre de la maternité départementale de Tulle. Leur classement au sein de la série X, Assistance et Prévoyance sociale, les a rapprochés, en les présentant sous l’intitulé Fonds de la Maternité départementale. Ces documents mettent en lumière l’organisation de l’enseignement obstétrical, sous ses différentes modalités (envoi d’élèves dans des écoles extra-départementales, cours départementaux, école départementale), et le fonctionnement de la maternité qui prend officiellement forme dans les années 1840. Ces archives ont représenté la source essentielle de ce travail, grâce à leur abondance et leur variété.

Néanmoins, d’autres sources ont été mises à contribution. La période antérieure à 1800 ne pouvait être mise à l’écart de cette recherche et on a pour cela eu recours aux séries C des archives départementales de la Corrèze et de la Haute-Vienne pour mieux comprendre la continuité entre les cours de chirurgiens-démonstrateurs du xviii e siècle et l’enseignement du siècle suivant. De même, l’enquête sur les sages-femmes ordonnée en 1786 par le contrôle général des finances, conservée à la Bibliothèque de l’Académie de médecine, fut d’une valeur inestimable pour cette étude. Pour le xix e siècle, les archives issues de la préfecture de la Corrèze, en dehors de la série X, Assistance et prévoyance sociale, ont aussi été largement exploitées. Elles se présentent sous la forme de sources manuscrites (série M, Administration générale et économie du département ; série N, Conseil général ; série Z, Sous-préfectures) et imprimées (Série K, Lois et ordonnances ; Série des Rapport du préfet et délibérations du conseil général). Enfin, la dimension nécessairement prosopographique de ce travail a impliqué le maniement de l’état civil et des archives notariales pour mieux cerner les parcours des acteurs de la vie de l’établissement.


Première partie
Les sages-femmes en Corrèze :
présence et formation avant 1834


La figure d’Angélique du Coudray a valeur de symbole. Sa venue en Bas-Limousin en 1763, au tout début de son tour de France, inscrit ce pays parmi les régions pionnières dans le royaume. Certes, un autre personnage clé de cette seconde moitié du xviii e siècle est à l’origine de ce passage : Turgot. Cette rencontre pose la première pierre d’un édifice pédagogique jamais totalement délaissé par la suite. L’exemple corrézien, parce que Tulle est l’une des dernières écoles créées, est un point d’observation intéressant pour la compréhension des étapes qui jalonnent la fondation d’une cinquantaine d’écoles de maternité pendant les trois premières décennies du xix e siècle.

Chapitre premier
Les sages-femmes en Corrèze à la fin du xviii e siècle

Parler des sages-femmes corréziennes à la fin du xviii e siècle pose le problème de la réalité que recouvre ce terme. Les enquêteurs de 1786 se heurtent à cet obstacle et livrent une vision polymorphe de cette profession. Près d’une sage-femme recensée sur deux a reçu un enseignement, elles exercent prioritairement dans des villes ou de gros bourgs et sont âgées au minimum d’une quarantaine d’années au moment de l’enquête. Des différences entre accoucheuses instruites et matrones ignares se font cependant jour. Ces dernières sont dans l’ensemble sous-représentées dans les résultats de l’enquête, elles sont généralement un peu plus âgées que les sages-femmes formées et il est quasiment impossible de déterminer les débuts de leur activité professionnelle. En revanche, les accoucheuses qui ont reçu un enseignement ont généralement commencé à pratiquer leur métier autour de 30 ans, voire bien plus tôt, preuve d’une évolution des mentalités qui voient d’un meilleur œil la présence de sages-femmes jeunes. Les appréciations qui sont portées sur ces femmes montrent la lente constitution d’un topos opposant la sage-femme éclairée à la matrone criminelle, qui n’est pas encore arrivé à maturité. Les communautés ont trop besoin de leur matrone pour que l’administration se permette de les condamner ouvertement. Le besoin de faire évoluer cette profession vers une réelle formation se ressent pourtant, exprimant une unanimité sans faille devant l’urgence d’instaurer des cours d’obstétrique.

Chapitre II
Les débuts de la formation

La période qui va de la fin du règne de Louis xvau Consulat s’inscrit sans innovation dans la tradition du cours inaugural d’Angélique du Coudray. De 1775 à l’an ix, des démonstrateurs d’un même milieu professent selon des méthodes identiques, ce sont parfois les mêmes que l’on retrouve de part et d’autre du siècle, de part et d’autre de la Révolution. La véritable rupture s’opère au début du xix e siècle quand pour deux décennies s’installe la pratique d’expatrier les élèves sages-femmes à la capitale ou dans un centre régional comme Bourges pour les former. Pendant cette période, une quarantaine de Corréziennes reçoivent un enseignement obstétrical, pour l’immense majorité d’entre elles à l’Hospice de la Maternité de Paris, et pour quatre jeunes femmes à Bourges. Ce chiffre, relativement réduit, montre néanmoins la constance de l’administration préfectorale. Les bourses d’études pour les élèves sages-femmes ne sont jamais supprimées et elles suscitent des candidatures toujours plus nombreuses. Ce succès de la formation de sage-femme et la conscience de besoins non satisfaits dans l’encadrement départemental en personnel de santé entraînent en 1827 le retour à des cours de démonstration répartis dans les trois arrondissements de la Corrèze. Un pas est cependant franchi puisque ce sont les anciennes élèves de Paris qui professent désormais l’obstétrique, transférant la qualité de l’enseignement national au cadre local. On assiste aussi à un saut quantitatif puisque plus de cinquante sages-femmes sont diplômées à l’issue de six années de cours à Tulle, Meymac et Brive.


Deuxième partie
L’école d’accouchement et la maternité de Tulle :
aspects institutionnels


La question du statut de l’école, public et non privé à la différence de la Haute-Vienne, joue un rôle essentiel dans l’appréhension de son rayonnement et des contraintes qui pèsent sur l’établissement. Il permet de mesurer le degré d’intégration de l’établissement dans le paysage départemental et urbain.

Chapitre premier
Une institution départementale :
création, tutelle et finances

L’école départementale d’accouchement de Tulle est fondée en 1834, en remplacement des trois cours d’accouchements déjà existant. À la fin des années 1830, l’importance de la dimension pratique de l’enseignement obstétrical pousse l’établissement à recevoir de manière plus structurée des femmes en couches. L’hospice de la maternité naît au tournant des deux décennies, sans qu’il soit possible de définir précisément sa date de création. La nécessité pour les futures sages-femmes de pouvoir observer des accouchements et de participer sous la houlette de la sage-femme en chef pousse l’administration départementale à encourager l’admission de femmes ou de filles enceintes dans l’établissement. Cet accueil se double de considérations morales et sociales : il s’agit de ramener dans le droit chemin des filles-mères en prévenant le crime de l’infanticide et en réduisant l’abandon.

L’école-maternité est placée sous la tutelle du préfet de la Corrèze qui s’adjoint pour la surveillance de l’institution une commission de trois à cinq membres. Ces derniers, médecins ou plus généralement notables locaux, jouent un rôle essentiel dans le fonctionnement de l’établissement. Disposant d’une réelle sphère d’influence, les membres de la commission de surveillance, où dominent durablement les médecins, tendent à noyauter les instances départementales où leur voix pèse lourdement sur les décisions du conseil général.

Les finances de l’école-maternité reposent essentiellement (avec un mince apport des pensions payées par les élèves), puis complètement à partir de 1841, sur la dotation budgétaire proposée par le préfet et votée par le conseil général. L’évolution de ces budgets en constante augmentation souligne l’attachement de ces institutions à l’école d’accouchement et à l’hospice de la maternité.

Chapitre II
Direction et personnel

L’étude institutionnelle examine aussi l’évolution de la direction interne de l’école et de la maternité, pour mettre en valeur la répartition des responsabilités. La succession de quatre sages-femmes en chef pendant la durée d’existence de l’école-maternité, c’est-à-dire entre 1834 et 1895, montre l’importance de cette fonction et révèle aussi les profondes différences d’attribution entre ces quatre femmes. De la création de l’école jusqu’en 1848, Jeanne Fournial, épouse Bondet, exerce les fonctions de maîtresse sage-femme tout en assurant la direction de l’établissement. Son départ ouvre la voie à une réorganisation complète de la direction de l’établissement. Au cumul des fonctions entre les mains de la sage-femme en chef qui avait été la règle des quatorze premières années d’existence de l’établissement, succède une direction bicéphale séparant nettement gestion matérielle et suivi pédagogique. L’administration préfectorale fait appel aux sœurs de la charité de Nevers pour leur confier la direction de l’école d’accouchement et de la maternité de Tulle. La précédente sous-directrice, devenue maîtresse sage-femme, supervise les études et les soins aux patientes. L’établissement est laïcisé en 1881 et six ans plus tard il connaît une nouvelle transformation de sa direction puisque c’est désormais le médecin qui prend la tête de l’administration et de l’enseignement. Au bout de cinquante-trois ans d’existence, l’école d’accouchement et l’hospice de la maternité rejoignent le modèle parisien où la sage-femme en chef se trouve subordonnée à un professeur d’accouchement assurant la direction de l’Hospice de la Maternité.

Chapitre III
Entrer à l’école et à la maternité

L’entrée à l’école d’accouchement passe par deux étapes successivement établies par l’administration préfectorale. Jusqu’en 1837, l’admission se fait sur dossier, dans la tradition des cours d’arrondissement et des envois d’élèves dans des écoles extra-départementales. À partir de cette date, les jeunes filles doivent passer un concours qui leur permet d’obtenir une bourse d’étude. Au cours de la décennie 1840 les futures sages-femmes sont toutes boursières et, même dans les années suivantes, les élèves payantes sont rares dans l’école. En échange du paiement de leurs études, les élèves s’engagent à exercer leur profession pendant dix ans dans le département de la Corrèze. Ces jeunes filles intègrent l’école entre dix-huit et vingt ans. Le système de bourse ne concerne que les futures sages-femmes originaires de la Corrèze, ce qui n’empêche pas l’école d’accouchement de rayonner pendant une dizaine d’années sur le département voisin du Cantal qui y envoie des boursières.

L’admission à l’hospice de la maternité est encadrée par des dispositions réglementaires qui se multiplient entre 1838 et 1843. Accoucher à l’hôpital constitue un ultime recours auquel les femmes ne sacrifient que contraintes et forcées, lorsque la pression familiale et morale est trop forte dans le cas des grossesses illégitimes, ou lorsque la misère est trop grande pour les femmes mariées. Ces femmes enceintes peuvent venir accoucher à la maternité si elles présentent un certificat d’identité qui se transforme rapidement en certificat de bonne vie et mœurs signé du maire de leur commune. Leur séjour à la maternité est gratuit s’il se limite à la quinzaine précédant l’accouchement et aux dix jours qui le suivent.

Chapitre IV
Étude de la population des femmes en couches

La distinction selon le statut matrimonial est au cœur de la politique d’accueil de l’hospice de la maternité. La femme mariée qui accouche à la maternité le fait pour des raisons différentes de la fille-mère. Elle est considérée avec beaucoup plus d’égards. C’est la misère qui l’amène à l’hôpital. Elle représente entre 15 et 20% des admises, pourcentage qui tend à augmenter à partir des années 1880. Les femmes mariées qui entrent à la maternité ont entre 30 et 35 ans et sont généralement déjà mères d’un ou plusieurs enfants. C’est généralement la quatrième grossesse qui emporte la décision. Dans une situation intermédiaire entre les épouses et les filles-mères, les veuves constituent une fraction très réduite (4%) de la population accueillie à la maternité. Elles sont proches de la situation des mères célibataires car ce sont souvent des femmes seules, même si la part du concubinage ne doit pas être sous-estimée. Enfin, les filles-mères forment la majorité des femmes admises dans l’établissement. Elles ont 25 ans en moyenne, sont placées comme domestiques et pour les deux tiers d’entre elles mettent au monde leur premier enfant. Près de 5% de ces femmes ne sont pas originaires de la Corrèze, mais la plupart d’entre elles viennent d’un département limitrophe. Quant aux Corréziennes, elles viennent pour la plupart des arrondissements de Tulle et Brive, mais le rayonnement de la maternité se réduit au fil du siècle. La mobilité de ces femmes est fonction de leur statut matrimonial. Les filles-mères restent très attachées à leur commune natale et leurs liens avec leurs familles restent très forts. À l’inverse, les veuves et plus encore les femmes mariées n’hésitent pas à rompre avec le lieu de leur naissance pour s’installer de préférence dans la ville-préfecture.


Troisième partie
L’école d’accouchement et la maternité de Tulle :
un lieu de vie


Cependant l’approche institutionnelle ne rend qu’imparfaitement la réalité du fonctionnement de cette école de sages-femmes et de la maternité qui la double. Se plonger dans la vie de cet établissement, prendre la mesure de son décor, s’intéresser à l’enseignement qui y est professé, se pencher sur la vie scolaire et sur la réalité quotidienne des femmes qui y résident, constituent les seuls moyens de s’approcher d’un vécu et de dépasser les grandes lignes de l’institution pour distinguer le détail humain.

Chapitre premier
Le cadre de vie

L’école d’accouchement et la maternité s’installent d’abord dans des maisons louées par le département jusqu’en 1848 et dans un bâtiment acheté sur les vœux du conseil général à partir de cette date. On observe une place de plus en plus importante de l’espace consacré à l’accueil des femmes enceintes. En parallèle la partie scolaire de l’établissement s’articule autour des pièces que sont la salle de classe, le réfectoire et le dortoir des élèves. Le mobilier s’enrichit au fil des années et en particulier les réserves de linge de l’institution. La qualité de vie peut être abordée à travers deux aspects : la nourriture qui est variée et abondante, et la propreté marquée par une attention particulière portée à la netteté du linge et un développement des pratiques d’hygiène corporelle avant l’avènement de l’asepsie en 1880.

Chapitre II
L’enseignement

Tout au long de son existence, c’est-à-dire de 1834 à 1895, l’établissement tend à former du mieux possible un nombre important d’élèves, son ambition ne s’arrêtant pas au diplôme de deuxième classe qu’il délivre mais s’étendant à la préparation de celui de première classe, présenté devant d’autres autorités. Les élèves accèdent naturellement au premier à l’issue de leurs deux puis trois années d’études. Le parcours type d’une élève sage-femme corrézienne des années 1850, lorsque ses résultats sont bons, pourrait se définir ainsi : entrée à 19 ans à l’école de Tulle, elle y fait une scolarité de trois années avant de partir se perfectionner à Paris à l’issue de cette première phase d’études. Elle intègre donc l’Hospice de la Maternité à 22 ans pour être diplômée l’année suivante. Pendant ses premières décennies d’activité, l’école d’accouchement voit certaines de ses élèves devenir institutrices, grâce aux cours d’instruction primaire qu’elle dispense.

Le contenu de l’enseignement est d’un haut niveau. En obstétrique, il suit sans retard excessif les principales publications de cette époque. Le matériel de démonstration conserve une grande importance, complété par l’observation clinique. Dans le domaine de l’instruction primaire, la variété est cependant moins présente. Les objectifs de ce cours restent limités à l’acquisition des savoirs fondamentaux (lire, écrire, compter), et l’élargissement des connaissances ne concerne qu’une part réduite des élèves car toutes ne peuvent pas aspirer au brevet de capacité de l’enseignement élémentaire.

Chapitre III
La vie des élèves dans l’établissement

Les futures sages-femmes sont internes à l’école d’accouchement. Elles y passent deux puis trois ans à partir de 1852, entrecoupés de vacances de deux mois l’été et de quinze jours de liberté pour Carnaval. L’emploi du temps est surchargé, il ne laisse qu’une durée minimale de récréation à ces jeunes filles dont toutes les occupations sont surveillées. L’école d’accouchement est, pour ainsi dire, zone d’éducation permanente. La moralité des élèves tient autant à cœur aux enseignantes que leur instruction. Le temps est donc saturé, ce qui n’est pas sans conséquence sur la santé des jeunes femmes. Certaines ne surmontent pas l’épuisement des gardes auprès des femmes enceintes et des accouchées, heures de veille qui s’ajoutent aux longues heures de cours. L’abandon des études n’est pas fréquent mais on en compte plusieurs cas pendant les six décennies d’existence de l’école. La surveillance rigoureuse de la sage-femme en chef s’exerce jour et nuit et toute infraction au règlement entraîne de sévères remontrances qui peuvent aller jusqu’à l’exclusion. Les élèves doivent, par une conduite sans reproche, préserver la réputation d’une école-maternité qui suscite rumeurs et fantasmes.

Chapitre IV
Séjour et accouchement à la maternité

L’évolution des admissions de femmes enceintes à la maternité ne suit pas une progression continue. Si la première décennie voit une augmentation constante des effectifs, ces derniers plafonnent dans les années 1850 autour d’une petite centaine annuelle. La tendance s’inverse durablement au début de la décennie suivante. Jusqu’à la fin des années 1880, le nombre d’admises ne cesse de baisser, ne dépassant guère les trente patientes par an. La part représentée par les naissances à la maternité dans les naissances de la commune de Tulle subit une évolution parallèle puisqu’elle passe d’un quart vers 1850 à 5% en 1879. Ce sont dans l’ensemble les célibataires qui sont le plus affectées par cette diminution. Cette dernière est à mettre en relation avec une baisse générale de l’illégitimité et à un développement de l’émigration féminine en direction de la capitale.

Le temps de séjour moyen à la maternité tend à s’allonger au cours de la période 1850-1880. Deux profils s’individualisent fortement : les célibataires qui bénéficient d’une durée d’hospitalisation de plus en plus longue, avant et après l’accouchement et les femmes mariées, généralement déjà mères d’un ou plusieurs enfants, à qui leur rôle de maîtresse de maison impose de rester le moins longtemps possible hors du foyer.

Mais l’accouchement hospitalier n’est pas la garantie de sécurité qu’il constitue aujourd’hui. Méconnaissance des risques de la contagion, impuissance devant certains accouchements dystociques avant la maîtrise de la césarienne, tous ces éléments, combinés au mauvais état de santé de la mère, concourent à faire s’élever les statistiques de mortalité jusqu’à des sommets effrayants. Deux types de mortalité sévissent dans ces services : celle des enfants à naître ou nés et celle de leurs mères. Le premier type s’établit en moyenne à 11,85% des naissances (mortinatalité et mortalité néonatale). La mortalité maternelle en revanche qui représente en moyenne 5% des accouchements à l’Hospice de la Maternité de Paris, s’établit à l’hospice tulliste à 1,2%, preuve de la limitation des infections par la faible fréquentation de l’établissement et l’attention portée à la propreté qui réduit les contagions.

Épilogue
Les sages-femmes : des femmes dans la société corrézienne du xix e siècle

Dans le dernier quart du xix e siècle, la couverture obstétricale de la Corrèze s’est étoffée. Le nombre de sages-femmes s’est multiplié en liaison directe avec l’institution de cours d’accouchement puis la création de l’école de Tulle en 1834. La Moyenne Corrèze autour de Tulle est la première région du département à mettre en place un réseau de sages-femmes équilibré, en parallèle du fonctionnement de la maternité départementale.

Les sages-femmes ne sont pas issues de la paysannerie. Elles viennent en général du monde de l’échoppe et de l’atelier. Leurs pères sont souvent alphabétisés et elles ont plus fréquemment que leurs compagnes, filles de cultivateurs, la possibilité d’apprendre à lire et à écrire. La nécessité pour ces jeunes filles de posséder un métier est d’autant plus vive qu’elles ne sont pas des héritières. La filiation maternelle pèse très lourd dans le cas des filles de sages-femmes.

La pratique professionnelle des sages-femmes reste peu connue. On la saisit par les marges que sont l’assistance gratuite apportée aux femmes indigentes pour laquelle les accoucheuses réclament une reconnaissance de l’administration, mais aussi la vaccination qui en fait une figure essentielle de la médicalisation des campagnes, bien plus présente en Corrèze que les médecins ou les officiers de santé. Le conflit qui les oppose aux matrones est particulièrement aigu entre 1800 et 1850, ouvrant dans la seconde moitié du siècle sur une cohabitation bancale, mais pacifique. Le temps passe et les matrones sont peu à peu remplacées par les sages-femmes, par le renouvellement naturel des générations.

La figure de la sage-femme est cependant ambivalente, par le savoir qu’elle détient et les contacts qui la lient au monde de l’illégitimité. Trafiquante d’enfants, faiseuse d’ange, le double sombre de la bonne mère perce au détour des sources judiciaires.


Conclusion

La rentrée de novembre 1895 signe la fin d’une expérience scolaire de soixante-deux années. La disparition de l’école de sages-femmes de Tulle s’inscrit dans un mouvement plus vaste de centralisation de l’enseignement médical. Le xix e siècle a expérimenté un mode spécifique de formation, à l’échelle départementale qui s’oppose à l’itinérance des cours du xviii e siècle et à la concentration universitaire du xx e siècle. Cette étape a permis la diffusion d’un enseignement de haut niveau, et s’est révélée essentielle pour l’enracinement local de l’agent médical qu’est la sage-femme. L’école parisienne a certes donné le la, mais elle n’a jamais eu la possibilité de pallier les carences de l’encadrement obstétrical français. Ce sont les écoles départementales d’accouchement qui ont assumé ce rôle.


Annexes

Projet d’établissement d’un cours d’accouchement dans la généralité de Limoges en 1786. – Règlements des écoles d’accouchement de Paris, Bourges et Tulle. – Correspondance du préfet de la Corrèze, de la direction de l’école d’accouchement de Tulle et de la commission de surveillance.