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École des chartes » thèses » 2006

La Reine Margot de Patrice Chéreau

Genèse et réalisation d’un film historique


Introduction

La Bibliothèque du Film (BiFi) conserve parmi ses fonds d’auteurs-réalisateurs les archives cinématographiques de Patrice Chéreau. Le metteur en scène s’est lancé dans le septième art dès 1974, parallèlement à son activité scénique, et a depuis réalisé neuf films qui lui ont valu la reconnaissance progressive de la critique et du public. Le fonds, déposé en 1996, est particulièrement riche concernant La Reine Margot, sorti en France en 1994, et dont Patrice Chéreau a été à la fois le scénariste, avec Danièle Thompson, et le réalisateur. Des documents variés (manuscrits, photographies, plans, dessins...) permettent de reconstituer le processus de création du film, depuis l’écriture du scénario jusqu’à la sortie en salles et la promotion en France et à l’étranger.

Le roman d’Alexandre Dumas dont le film s’inspire, véritable succès de la presse, de l’édition et du théâtre au xixe siècle, a exercé une influence considérable sur la représentation de Marguerite de Valois et de son temps, notamment au cinéma. Après deux versions muettes signées Camille de Morlhon (1910) et Henri Desfontaines (1914), il faut attendre une quarantaine d’années pour visionner le film de Jean Dréville plaçant Jeanne Moreau dans le rôle-titre (1954) et, si l’on excepte l’opus télévisé de René Lucot (1961), encore quatre décennies avant la dernière réalisation en date : celle de Patrice Chéreau.

Retracer l’élaboration de cette Reine Margot en recourant aux archives du réalisateur constitue une démarche novatrice au cinéma, à la différence de la critique génétique en littérature, active dès les années 1960. Peut-être faut-il voir là la conséquence d’un paradoxe ? Les cinéphiles refusent souvent de considérer dans les documents produits par l’activité cinématographique autre chose qu’une étape de la réalisation de l’objet film ; à l’opposé, les historiens jugent encore juvénile ce septième art né il n’y a guère plus d’un siècle et proche à leurs yeux du divertissement. Pourtant, si les archives papier sont encore désignées négativement comme le « non-film », des travaux d’envergure ont mis au jour leur importance pour comprendre les modalités de création des films et la question des « genèses cinématographiques » semble au cœur de l’actualité de la recherche en histoire du cinéma.

Par ailleurs, Patrice Chéreau a présenté La Reine Margot comme l’antithèse du film historique traditionnel, quand la représentation cinématographique de l’Histoire s’inscrit dans une longue tradition artistique, fondée sur l’idée de reconstitution du passé. Quel sens donner au projet de réaliser, aujourd’hui, un film mettant en scène la France des guerres de Religion ? Et qu’appelle-t-on au juste un film historique ?

L’étude ne se contente pas d’une narration chronologique des étapes successives de la fabrication du film : ce bloc descriptif est entouré de deux parties synthétiques. Quatre étapes ont été distinguées, de l’écriture du film à sa réalisation et à son exploitation : la genèse du scénario, les questions de production, le tournage et le montage, la promotion et la distribution. Une contextualisation précède l’exposé, lui-même prolongé par des éléments d’analyse du film, permettant de réfléchir à la définition de La Reine Margot comme film historique, ou plutôt comme Heritage film, film en costumes contemporain.


Sources

Tous les documents contenus dans les quarante-quatre cartons d’archives de la Bibliothèque du Film cotés CHÉREAU 10, B42 à 86, ont été consultés. Tous ne présentaient cependant pas le même intérêt pour cette recherche : ont été écartés ceux qui livraient des informations redondantes ou non vérifiables. Le champ d’investigation remonte jusqu’au milieu de l’année 1988 — date à laquelle Patrice Chéreau lit pour la première fois le roman de Dumas — et s’étend jusqu’au début de l’année 1995, qui voit la réception en France et à l’étranger du film dans sa nouvelle version remontée. Les papiers personnels de l’auteur-réalisateur ont été confrontés à d’autres archives disponibles, celles de Danièle Thompson, également à la Bibliothèque du Film (THOMPSON 4, B2 à 4). Ils ont aussi servi de point de comparaison avec les témoignages oraux inédits de sept collaborateurs essentiels de Patrice Chéreau rencontrés pour évoquer le film. Différents titres de presse généraliste et spécialisée de l’époque ont été dépouillés, et visionnées quelques émissions de télévision.


Première partie
Patrice Chéreau et l’Histoire


Chapitre premier
Un artiste de son temps

Patrice Chéreau, l’enfant du siècle. — Le rapport de Patrice Chéreau à l’Histoire est au cœur de sa relation à l’art et au cinéma en particulier. De ses paroles comme de ses mises en scène émerge l’image d’un artiste profondément ancré dans son temps, dont l’œuvre reflète les grands thèmes de la société contemporaine.

Un artiste engagé ? — Son art détermine aussi pour partie ses engagements, d’abord en faveur d’un théâtre populaire, puis plus largement autour d’une vision du monde dans lequel l’artiste a un rôle à jouer en tant qu’intellectuel.

Chapitre II
Le goût de l’Histoire mise en scène

Une démarche artistique fondée sur un rapport personnel au temps. — S’il est un artiste de son temps, Chéreau répète à l’envi qu’il va de l’avant, toujours à la recherche de la nouveauté. Homme du futur, il se retourne pourtant à l’occasion vers ce ou ceux qui l’ont précédé.

À chaque expression artistique, sa temporalité ? — Plusieurs de ses mises en scène révèlent par ailleurs son intérêt pour les décors et les costumes, qui donnent à voir l’Histoire sous une forme matérialisée. S’il choisit souvent de représenter l’histoire moderne au théâtre, et l’histoire contemporaine au cinéma, une distinction aussi rigoureuse n’est pas toujours valide : de la même façon qu’il mêle théâtre, opéra et cinéma, il mélange histoire moderne et histoire contemporaine, passé et présent.

Une Histoire incarnée : la représentation de la société à travers les hommes. — Un point commun paraît rassembler les différentes mises en scène historiques de Chéreau : l’idée selon laquelle l’homme fait l’Histoire. Cette conception de l’organisation du monde est celle d’un artiste qui a lui-même interprété des personnages historiques, et dont on peut se demander s’il ne joue pas également un rôle lorsqu’il exerce son métier de directeur d’acteurs. Sa vision de l’Histoire, particulièrement violente, est construite sur les rapports de force entre les êtres.


Deuxième partie
Genèse du scénario de La Reine Margot


Chapitre premier
À l’origine du scénario de La Reine Margot

Adapter Alexandre Dumas : une proposition séduisante. — À l’origine de l’écriture, il y a d’abord l’idée de deux futurs acteurs essentiels de l’aventure : Claude Berri, producteur, et Danièle Thompson, scénariste et dialoguiste. Orienté par eux vers Dumas, Patrice Chéreau va s’approprier le sujet de La Reine Margot. Le film n’est donc pas le fruit d’un choix prémédité, mais plutôt d’une rencontre originale et provoquée entre deux scénaristes très différents.

Le syncrétisme de l’inspiration. — Dépassant largement le roman d’Alexandre Dumas, des sources d’inspiration très éclectiques se croisent. Elles convoquent aussi bien les textes d’époque que les ouvrages historiques, les classiques du film en costumes que les thrillers de gangsters de Coppola et de Scorsese, la grande peinture de la Renaissance et du xixe siècle romantique que les photographies d’actualité les plus sordides.

Chapitre II
Les avant-textes du scénario

Notes pour adapter un roman. — Une assertion développée à l’envi par les critiques veut que La Reine Margot de Chéreau n’entretienne plus qu’un lien très ténu avec le roman de Dumas. Les archives révèlent au contraire une extraordinaire entreprise de lecture du texte à adapter, visible à travers un volumineux appareil de notes. Malgré une volonté d’épure du roman (brouillage des repères spatio-temporels, simplification de l’intrigue, recentrage sur le personnage de Margot...), Patrice Chéreau et Danièle Thompson restent fortement influencés par l’univers feuilletonnesque de Dumas, qu’ils agrémentent de leurs propres références. Cette appropriation de l’œuvre originale a été complétée par une étude particulière du Roman d’Henri IV d’Heinrich Mann, dont la lecture a permis d’enrichir la conception psychologique des personnages, au premier rang desquels Henri de Navarre.

Un « synopsis » de 79 pages : récit romanesque ou futur scénario ? — Les scénaristes commencent, à la fin de l’année 1988, par rédiger un synopsis. Texte éminemment littéraire par son ampleur et son style parfois proche encore du roman de Dumas, il n’en demeure pas moins un avant-texte du futur scénario.

Chapitre III
D’une version l’autre, quelle Reine Margot ?

Les étapes d’un cheminement « extrêmement long et difficile » selon Danièle Thompson. — Dans les archives de Chéreau, il existe neuf versions complètes du scénario de La Reine Margot, la première datée de juin 1990 et la dernière d’avril 1993. Autant d’étapes d’un véritable parcours du combattant pour passer, au prix d’innombrables modifications, d’un premier jet de 248 pages à une version finale réduite à 187 pages. Leur comparaison permet également d’observer dans le détail les modalités de la collaboration entre les deux co-scénaristes. L’écriture du scénario ne s’est pas réellement faite à quatre mains, mais plutôt dans quatre directions : composition des dialogues et de certaines scènes par Danièle Thompson, écriture d’autres scènes par Patrice Chéreau, corrections par celui-ci des propositions de la première, et consultation de l’entourage proche des scénaristes.

Une rédaction parallèle : la déclaration d’intention (novembre 1991–mars 1992). — À mi-parcours, Patrice Chéreau a composé un texte intitulé « Notes sur la réalisation du film », placé en exergue au scénario publié. Il révèle une motivation principale : construire, à l’intérieur d’une épopée historique, des trajectoires individuelles, et d’abord celle de Margot.

Chapitre IV
Éléments d’analyse scénaristique

Les principales tendances de l’écriture. — L’écriture cinématographique du tandem Chéreau–Thompson a été observée selon trois données fondamentales : le cadre spatio-temporel, le système des personnages et la description de l’action. L’étude révèle une écriture de l’enfermement, une galerie de personnages hors normes au langage ordinaire et une recherche d’expressivité particulièrement visible dans la conception du massacre de la Saint-Barthélemy.

Les principales tendances de la réécriture. — Le fonds Chéreau compte de nombreuses versions préparatoires du scénario, dont aucune n’est totalement vierge d’annotations... De là l’image d’un cinéaste graphomane, écrivant partout et à tout moment sur le plus petit morceau de papier disponible (billet d’avion, relevé de banque, nappe en papier...), toujours conservé. Ses annotations peuvent être regroupées en trois ensembles : des corrections essentiellement formelles et stylistiques ; des remarques et des commentaires extérieurs à l’action, révélant des influences et des références ; enfin des modifications de la ligne directrice du scénario, concernant l’action et la description.


Troisième partie
La production de La Reine Margot :
financement, casting, décors, costumes


Chapitre premier
Le montage financier de La Reine Margot

Des débuts compliqués : la présence de plusieurs intervenants. — Les archives mettent en évidence l’intervention précoce du Théâtre des Amandiers de Nanterre, dont Patrice Chéreau est directeur jusqu’à la fin de l’année 1989, ainsi que celui, inconnu à ce jour, d’une société de production de taille moyenne, les Films du Losange. Les deux sociétés ont contribué à financer l’écriture du scénario et les premiers repérages, avant que Claude Berri, à la tête de Renn Productions, ne reprenne pleinement la direction du projet.

Deux grands types de coproducteurs. — D’autres coproducteurs sont mentionnés au générique du film : ils se divisent en deux catégories, révélant un apport français et un apport étranger. Mais si l’Allemagne et l’Italie ont largement participé à la coproduction, La Reine Margot reste un film financé majoritairement par les diffuseurs et les distributeurs français.

Le lent établissement du budget du film. — Le souci de la production a été de réduire toujours davantage les coûts, notamment techniques, même si le budget final s’élève à 120 millions de francs. L’analyse détaillée du devis montre que le poste le plus coûteux tient à la rétribution des moyens humains, alors qu’on aurait pu attendre de cette imposante production historique un effort financier centré sur les décors et les costumes, qui restent tout de même un pôle primordial de dépense.

Chapitre II
Le personnel technique et artistique

La constitution progressive d’une équipe de production importante et bigarrée. — À l’origine du choix des principaux collaborateurs, l’univers du producteur Claude Berri, habitué à travailler avec certains techniciens, semble déterminant. Mais le système relationnel de Patrice Chéreau fournit également de nombreux participants.

Un casting à plusieurs niveaux. — Par sa rémunération comme par ses conditions d’engagement, la figure d’Isabelle Adjani émerge du reste du personnel artistique, véritable star sur laquelle s’est bâti le film. Cependant, le nombre d’acteurs principaux et secondaires, choisis après de multiples rencontres et auditions, tend à renforcer le caractère de « troupe » de l’ensemble. La présence de proches du metteur en scène y contribue également.

Chapitre III
La conception des décors et des costumes

La mise en œuvre de décors mélangés. — Une équipe nombreuse a été réunie autour du décorateur Richard Peduzzi, fidèle collaborateur de Patrice Chéreau. Il s’est plutôt occupé de la construction des intérieurs. Son assistant Olivier Radot a supervisé la conception des extérieurs, trouvés après de longues campagnes de repérages. Rarement des éléments d’époque ont été utilisés ; il s’est plutôt agi d’approcher une certaine authenticité du xvie siècle, fruit d’une abondante documentation historique autant que de la sensibilité des décorateurs.

Des costumes épurés et vraisemblables. — L’une des dernières étapes de la préparation, la conception des costumes, a mobilisé elle aussi des techniciens spécialisés : le travail de la créatrice de costumes Moidele Bickel, qui a déterminé la fabrication des vêtements, a consisté à définir un style particulier de représentation de l’Histoire, constituant peut-être l’une des originalités majeures du film de Patrice Chéreau.


Quatrième partie
Du tournage à la postproduction


Chapitre premier
Chronique d’un tournage annoncé

La phase de conception : une préparation très minutieuse. — Deux phases se succèdent : une « pré-préparation », qui voit un comité restreint de personnes réfléchir aux besoins du film, mener des repérages et concevoir le programme du tournage ; puis la préparation proprement dite, montée en puissance des forces matérielles. Ultime temps de réflexion, l’immédiat avant-tournage a été marqué par la tenue de répétitions avec les comédiens et d’essais vidéo, une pratique assez peu utilisée en France.

À l’épreuve des faits : 117 jours de tournage (10 mai–3 décembre 1993). — La durée d’ensemble du tournage a été considérablement étirée, rendant le quotidien souvent long et difficile. Ces modifications ont pu exercer une influence non négligeable sur le travail de Patrice Chéreau et de son équipe, laissant l’imprévu et la spontanéité prendre peu à peu le dessus sur une mécanique précisément réglée en amont.

Principales caractéristiques du tournage. — Parmi les traits essentiels de ce tournage, on constate une atmosphère de troupe exaltante quoique tendue, des moyens humains et techniques extraordinaires et une mise en scène serrée et soignée, à la recherche d’un certain réalisme. Les séquences de la chasse font la synthèse de ces différents éléments.

Chapitre II
Une postproduction précipitée

Un montage difficile. — D’abord seul, peu après le début du tournage, puis conjointement avec le réalisateur, le chef monteur François Gédigier a réalisé un « bout à bout » du film en sept mois environ, une durée réduite pour un film de cette ampleur. Il a en effet fallu mettre un terme aux opérations de montage pour permettre à la postproduction de s’achever dans les temps, approximativement entre décembre 1993 et mai 1994.

Les différentes étapes de la postproduction. — Après le montage, différentes étapes ont conduit à achever une œuvre de plus de cinq ans : les opérations relatives au son, notamment le choix de la musique du film, confiée à Goran Bregovic, et l’établissement final de la copie.


Cinquième partie
Promotion et distribution :
les différentes versions de La Reine Margot


Chapitre premier
La sortie officielle à Cannes :
aboutissement ou nouveau départ ?

Un battage médiatique exceptionnel. — La rencontre du film et de son public a été longuement préparée. Bénéficiant d’une couverture médiatique exceptionnelle, conçue selon des stratégies publicitaires étudiées, le film de Patrice Chéreau s’offre le Festival de Cannes pour écrin de sortie le 13 mai 1994 ; il est en même temps projeté dans toute la France.

Les réactions mitigées à Cannes : succès ou échec ? — L’œuvre tant attendue soulève l’enthousiasme, obtient le Prix du jury et le Prix d’interprétation féminine pour Virna Lisi, mais ne rencontre pas le succès populaire escompté. Le public plébiscite la beauté et l’intelligence de la mise en scène, le jeu intense des acteurs et l’esthétique sophistiquée des décors et des costumes ; il condamne en revanche la longueur du film (2 h 39), sa confusion et sa violence baroque faite de mort et de sang.

Les débuts encourageants de l’exploitation française. — Ce spectacle grandiose dénué d’émotion, pourrait-on résumer, est pourtant dopé par la sortie cannoise et draine un grand nombre de spectateurs dès les premières semaines, pour aboutir à un total d’environ deux millions pendant la période d’exclusivité.

Chapitre II
La version américaine détermine
la carrière internationale et l’avenir de La Reine Margot

Enjeux et conditions de distribution du film aux États-Unis. — La Reine Margot a été pensé comme un produit à exporter à l’étranger, en particulier aux États-Unis. Devançant un accueil probablement mitigé, le distributeur Miramax lance dès avril 1994 l’idée de sneak previews, projections-tests destinées à soumettre le film de Chéreau à l’avis des spectateurs américains. Il faudra deux séances pour obtenir les résultats attendus, et plusieurs mois de négociations entre le réalisateur et le distributeur, exceptionnellement bien documentées dans les archives, pour aboutir à la création d’une version écourtée et différente.

L’avenir de la nouvelle Reine Margot. — La nouvelle version raccourcie à 2 h 23 connaît bientôt une extraordinaire carrière à l’étranger et sort en France en décembre 1994, où elle suscite des réactions moins contrastées qu’à ses débuts.


Sixième partie
La Reine Margot : film historique ou Heritage film ?


Chapitre premier
La Reine Margot« ne sera pas un film historique » (Patrice Chéreau)

Le film historique, à l’opposé de la modernité cinématographique ? — Film historique et modernité semblent deux notions incompatibles : le premier dépeint des personnages ou des événements attestés par l’Histoire et impose au réalisateur des contraintes matérielles considérables pour créer l’illusion de l’époque représentée. Les principaux classiques du genre se caractérisent par un budget considérable affecté à la reconstitution et par une narration linéaire, fondée sur des héros-types.

La Reine Margot ou le refus du film historique traditionnel. — La volonté de rupture de Patrice Chéreau avec le genre historique est ferme. Son écart par rapport à la norme se traduit par un renouvellement des codes et par une mise en scène qu’on pourrait qualifier de moderne.

Chapitre II
Images du temps des Valois

L’histoire de Margot, et non celle de Marguerite de Valois. — En décidant d’adapter Dumas, Chéreau a fait le choix d’une certaine vision du personnage de Marguerite de Valois : une héroïne romanesque, grande amoureuse voire nymphomane, incapable d’agir sur son destin. Mais le cinéaste s’est fait également moraliste pour présenter une Margot en évolution, incarnation du bien et de la responsabilité morale.

Une vision ambivalente des autres personnages. — Qu’il s’agisse de Catherine de Médicis, encore largement engluée dans sa légende noire, de Charles IX, monarque à demi fou et incapable, d’Anjou, fils préféré malgré ses mœurs dissolues et sa violence sanguinaire, ou enfin d’Henri de Navarre, roi en puissance derrière son apparence fruste et apeurée, Patrice Chéreau propose une image sombre de ces grandes figures historiques, assez conforme à celle véhiculée par la légende. L’originalité des personnages tient pour beaucoup à l’apparence physique outrée et au jeu paroxystique des acteurs.

Une vision du massacre conforme à l’historiographie contemporaine ? — La lecture de la Saint-Barthélemy, sujet moins représenté au cinéma que les personnages cités, révèle davantage une implication personnelle du metteur en scène qui, en respectant l’opinion aujourd’hui admise par les historiens sur l’événement, donne sur le massacre une leçon d’Histoire en images, aux résonances contemporaines.

Chapitre III
La Reine Margot, entre Heritage film et film d’auteur

Un nouveau cinéma historique : le Heritage film. — La Reine Margot s’inscrit dans un contexte de résurgence d’une réflexion sur l’Histoire au cinéma, présente dans les Heritage films (fictions patrimoniales). Le concept, mis en évidence par les Anglo-Saxons, s’applique à des films contemporains populaires, réunissant un budget important, un casting de stars, une reconstitution soignée au service d’une mise en scène du passé renouvelée.

Le Heritage film de Patrice Chéreau ? — La Reine Margot répond à plusieurs éléments de la définition des Heritage films, mais ne remplit pas certaines conditions ontologiques du genre, notamment en ce qui concerne les moyens de la représentation : ainsi les décors sont absents, et les costumes malmenés.


Conclusion

Artiste de son temps, au goût prononcé pour la représentation du passé dans ce qu’il peut avoir d’actuel, Patrice Chéreau s’est intéressé, de manière moins surprenante qu’il n’y paraît, au personnage mythique de la Reine Margot créé par Alexandre Dumas, à une période critique de son existence : les guerres de Religion. L’écriture avec Danièle Thompson des neuf versions du scénario a été la pierre angulaire de la genèse du film. La Reine Margot se présente comme une ample coproduction franco-germano-italienne, au budget considérable de 120 millions de francs. Ces moyens importants sont contrebalancés par un casting semblable à celui d’une troupe réunie autour d’une vedette et par l’épure des décors et des costumes. Surtout, l’interminable préparation du film s’oppose à un tournage et à une postproduction précipités par la volonté de sortir le film au Festival de Cannes en mai 1994. Le remontage, écourté et dynamisé par de multiples coupes pour sa distribution aux États-Unis, est une réponse au demi-succès rencontré en France et l’expression de la volonté du réalisateur de revenir sur un ouvrage qu’il avait été contraint de livrer à temps.

Suivant son désir, Patrice Chéreau n’a pas réalisé un film historique au sens classique du terme et sa démarche s’inscrit davantage dans la vague des Heritage films actuels. Ultime paradoxe, on ne saurait trancher entre le film de genre et le film d’auteur. Objet singulier que La Reine Margot, qui échappe à la catégorisation, tout en ayant force d’exemple : l’analyse montre qu’il serait vain d’opposer création et production, auteur et genre, art et industrie, puisque cette longue aventure accouche d’une œuvre à la fois personnelle et en adéquation avec les moyens qui l’ont vue naître. Selon Jean-Pierre Berthomé, « un petit nombre de films sont des enfants de l’amour, portés par le désir de création d’un auteur et l’enthousiasme d’un groupe assemblé autour de lui pour l’aider à matérialiser son rêve. » La Reine Margot semble être de ceux-là.


Pièces justificatives

La première scène du film au fil des étapes de l’écriture. — Contrat de production. — Déclaration d’intention de Patrice Chéreau. — Planning de repérages. — Séquence 5 du dépouillement général de La Reine Margot. — Feuille de service du 18 e jour de tournage. — Dernier plan de travail de La Reine Margot. — Résultats des sneak previews de La Reine Margotà New York. — Programme de la promotion de La Reine Margot en Russie.


Planches

Planches de storyboard. — Dessins de costumes et de maquillages. — Dossier iconographique sur les décors. — Photographies de repérages. — Quelques affiches de La Reine Margot.


Annexes

Générique artistique et technique. — Entretiens inédits réalisés auprès de sept collaborateurs essentiels de Patrice Chéreau sur La Reine Margot (fichiers MP3 gravés sur CD et inventaire) : le storyboarder Maxime Rebière, l’ingénieur du son Guillaume Sciama, le producteur exécutif Pierre Grunstein, le premier assistant réalisateur Jérôme Enrico, la scénariste Danièle Thomspon, le chef maquilleur Kuno Schlegelmilch, le chef costumier Jean-Daniel Vuillermoz et le directeur de la photographie Philippe Rousselot. — Index des œuvres et des noms.