Le chartrier de la cathédrale de Coutances (XIe-XIVe siècle)
Étude et édition
Introduction
L’histoire de la cathédrale de Coutances et de son clergé au Moyen Age n’a guère été explorée depuis les travaux érudits du XIX e siècle. Cette situation s’explique moins par le désintérêt des chercheurs que par l’absence de sources facilement exploitables après la destruction d’une grande partie du chartrier lors du bombardement des archives départementales de la Manche, à Saint-Lô, le 6 juin 1944.
Cependant, de nombreuses copies et inventaires sont encore conservés dans les archives diocésaines. Parmi les documents les plus précieux du fonds capitulaire, l’un des trois cartulaires médiévaux du chapitre, coté B au xviiie siècle, pouvait faire l’objet d’une édition complète à partir de copies du xixe siècle. Cette édition, enrichie d’autres documents provenant de la cathédrale, a permis de restituer une partie du chartrier et d’apporter des renseignements utiles sur l’histoire de la cathédrale et sur le patrimoine du chapitre. Cette étude, portant non seulement sur la ville cathédrale, mais aussi sur tout le diocèse de Coutances, s’étend du xie siècle, date du retour des chanoines à Coutances sous le règne du duc Guillaume, jusqu’à la fin du XIV e siècle, durant les années troublées de la guerre de Cent Ans.
Sources
Seuls trois actes originaux sont encore conservés aux archives diocésaines de Coutances et aux archives départementales du Calvados. Les actes manquants ont pu être reconstitués grâce aux copies du xixe siècle du cartulaire B. Ces copies se trouvent aux archives diocésaines, sous les cotes M 27, M 28 et M 40, ainsi que dans le fonds Mancel du musée des Beaux-Arts de Caen (ms 300) et à la Bibliothèque nationale de France (nouv. acq. lat. 1018 et 1019) ; seul le recueil M 40 des archives diocésaines est complet. C’est donc cette copie, réalisée par Fleury, qui a servi de référence pour établir le texte. Les autres documents les plus précieux du chartrier de la cathédrale, les pouillés épiscopaux, ont fait l’objet d’éditions, en particulier par Auguste Longnon (1903). Enfin, ces sources ont été complétées par l’inventaire de 1781 des archives diocésaines, par plusieurs copies prises sur des pièces du chartrier avant le XX e siècle, par des manuscrits d’érudits et par les autres cartulaires du diocèse de Coutances, édités ou non.
Première partieLe chartrier de la cathédrale
Chapitre premierL’histoire et la composition du chartrier
Les archives capitulaires et les archives diocésaines étaient deux fonds distincts, les archives capitulaires étant conservées au Moyen Age dans une salle de la cathédrale attenante à la salle capitulaire. Une grande partie de la documentation fut perdue dès la fin du Moyen Age, lors de la guerre de Cent Ans, puis à la suite des guerres de religion. A la fin du xvie siècle, ce chartrier ne conservait déjà plus d’originaux antérieurs à la fin du xive siècle et les chanoines conservaient la mémoire des siècles antérieurs grâce aux pouillés et aux cartulaires.
Les pouillés de la cathédrale ont une tradition très complexe. Le plus précieux, le Livre noir du chapitre, n’était pas seulement voué à la conservation des titres, mais aussi à la propagande et à l’exaltation du prestige de la cathédrale. Comme le cartulaire de Robert de Torigni, il fut recopié à la fin du xiiie siècle avec deux textes narratifs, dont les fameuses Gesta Gaufridi qui retraçaient l’histoire de la cathédrale jusqu’à la fin du xie siècle en s’inspirant largement d’un acte de Guillaume le Conquérant compilé dans le cartulaire B.
Les trois cartulaires du chapitre, nommés A, B, et C, ont été rédigés dans la seconde moitié du xive siècle, les cartulaires A et B étant très proches l’un de l’autre.
Les archives capitulaires, déménagées de la cathédrale dans les communs de l’évêché, furent classées une première fois par le vicaire général Delamare vers 1840. C’est à l’occasion de ce déménagement que le cartulaire B fut retrouvé en 1837, avant de disparaître définitivement en 1944. Les archives capitulaires furent ensuite réunies au fonds épiscopal en 1863. Elles ne comportaient déjà plus les cartulaire A et C, disparus à la Révolution, ni le Livre noir du chapitre, perdu dans les années 1820.
Chapitre IILe cartulaire B
Le cartulaire était recouvert de vélin blanc orné de rouge, ces décorations ayant disparu au xixe siècle. Les premières lettres de chaque acte avaient été laissées en blanc par le copiste, en attendant l’ajout d’une lettrine qui ne fut pas toujours réalisée. Les trois cent soixante actes étaient précédés de titres qui indiquaient le plus souvent la paroisse concernée. En effet, le rédacteur a suivi dans sa compilation une logique géographique, recopiant d’abord les actes du nord du diocèse, puis ceux du sud, avec une préférence donnée aux actes concernant le nord. Le cartulaire a été rédigé, dans sa plus grande partie, à la fin des années 1370. Les actes datent en majorité de la seconde moitié du xiiie siècle et, dans une moindre mesure, de la première moitié du xive siècle. On trouve malgré tout un grand nombre d’actes rédigés avant la conquête de 1204, l’acte le plus ancien étant un privilège concédé à la cathédrale par Guillaume le Bâtard. Après cette première période de rédaction, achevée par un acte de 1377, un second copiste a ajouté à la fin du registre onze actes allant de 1497 à 1514.
Chapitre IIICaractéristiques diplomatiques des actes
La langue vernaculaire apparaît pour la première fois dans un acte de 1279 (n. st.) et domine dans la première moitié du XIV e siècle. La majorité des actes ont été rédigés par des laïcs, le plus souvent l’origine sociale assez modeste, ou passés auprès des officiaux, surtout dans la seconde moitié du xiiie siècle, et des vicomtes à partir du début du XIV e siècle. Le vocabulaire est teinté d’influences locales, en particulier dans les ternies de la vie rurale. De même, on trouve des formes diplomatiques typiquement normandes, comme l’attestation des actes coram parrochia.
Seconde partieL’histoire du chapitre
Chapitre premierL’évolution institutionnelle du chapitre
Après les invasions vikings et l’installation du chapitre dans le prieuré Saint-Lô de Rouen, les chanoines retournèrent à Coutances vers 1056 à l’instigation du duc Guillaume le Bâtard et s’installèrent dans une cathédrale tout juste consacrée. Ils étaient quatorze à cette époque et vingt-six en 1250 lors d’une visite d’Eudes Rigaud. Les prébendes étaient surtout concentrées autour de la cité épiscopale et de Saint-Lô, à l’exception de trois d’entre elles : Huberville, fondée en 1174 (n. st.), Yvetot, dont la date de création est inconnue, et Cherbourg, née de la réunion à la cathédrale en 1209 des prébendes de la chapelle de Cherbourg. Une particularité institutionnelle du chapitre était l’absence de doyen, le dignitaire le plus important étant le chantre. Quatre abbés ou prieurs étaient membres de droit du chapitre : le prieur de Brewton, remplacé en 1269 par l’abbé de Troarn, l’abbé de Lessay, le prieur de Saint-Lô, et l’abbé de Saint-Taurin d’Evreux.
Après la période de prospérité du xiiie siècle, la ville souffrit durement de la guerre de Cent Ans, alors que tout le Cotentin était aux mains de Charles de Navarre à partir de 1354. L’enceinte construite à partir de 1294 autour du quartier canonial joua à la fois un rôle religieux et militaire. Elle servit de refuge aux habitants lors du siège de la ville par les Anglo-Navarrais en 1356. Après la destruction partielle de cette enceinte, Charles V ordonna la construction d’une nouvelle fortification en 1366, entourant cette fois toute la ville.
Chapitre IILe personnel cartulaire
Les chanoines étaient à la collation de l’évêque. Leur recrutement était très local et teinté de népotisme, bien que l’influence pontificale commençât à se faire sentir au xiiie siècle, avec l’arrivée dans le chapitre de plusieurs Italiens, dont Julien de Zancato, le seul d’entre eux à avoir résidé. Malgré la modestie de ce chapitre, plusieurs chanoines eurent une belle carrière ecclésiastique, comme Gautier de Chambly devenu évêque de Senlis. Un proche de la cathédrale, Raoul Grosparmi, devint même cardinal, alors que son frère restait chanoine de Coutances.
Immédiatement inférieurs aux chanoines, les vicaires du grand autel étaient nommés par le chapitre. Les chapelains, tous prêtres, desservaient vingt-cinq chapelles, les principes de collation ayant été établis en 1308 (n. st.). Les clercs du chœur étaient vingt-quatre en 1338, dont six clercs « six deniers », établis par Robert d’Harcourt en 1314, et huit clercs « cinq deniers ». Si des enfants de chœur se trouvaient déjà dans la cathédrale au xiiie siècle, la maîtrise fut véritablement fondée par Geoffroy Herbert entre 1500 et 1504, ses revenus étant assis sur le fief d’Anneville-en-Saire. Enfin, plusieurs petits officiers étaient établis dans le chapitre, dont un officiai du chapitre attesté en 1274.
Les chanoines de Coutances devaient surveiller les chapelains et rendre compte de l’activité de ces derniers durant le chapitre général de l’Assomption. Ils avaient également la charge de l’entretien de la cathédrale. Leur comportement et leur travail n’étaient pas toujours irréprochables à en croire les registres d’Eudes Rigaud. Ils étaient théoriquement les électeurs de l’évêque, privilège qui leur fut confisqué par les ducs-rois Plantagenêts et qui leur fut rendu après la conquête de 1204. Au xiiie siècle, deux évêques, Jean d’Essey et Robert d’Harcourt, sont issus du chapitre. Puis, après 1346, tous les évêques furent nommés par le pape. Les chanoines et les archidiacres, dans certaines limites, étaient confessés et jugés par leurs pairs et les chanoines prébendes disposaient de leur propre tribunal pour les affaires relatives à leurs prébendes. Les archidiacres tentèrent à la fin du XIII e siècle d’exercer la justice sur leurs archidiaconés, sans succès. En cas de vacance du pouvoir épiscopal les archidiacres et les évêques se partageaient le jugement des affaires selon des règles arrêtées en 1274. Le chapitre ne pouvait pas jeter l’interdit sur la cathédrale, bien qu’il le tentât à plusieurs reprises au xiiie siècle.
Troisième partieLe patrimoine du chapitre
Chapitre premierLe patrimoine du chapitre avant 1204
Un acte de confirmation générale, délivré par le duc Guillaume le Bâtard en 1056, et deux privilèges pontificaux délivrés par Eugène III en 1146 décrivent le patrimoine épiscopal et capitulaire. En effet, l’acte de Guillaume énumère les biens constitutifs d’abord de la mense capitulaire, puis de la mense épiscopale et cette description est reprise presque à l’identique par le pape dans les bulles adressées au chapitre et à l’évêque.
Alors que le chapitre possédait à l’origine des biens donnés par l’évêque Geoffroy de Montbray et par le duc Guillaume et regroupés à proximité de Coutances, il acquit au cours du xiie siècle des dîmes au nord du diocèse, comme à Clitourps ou à Sainte-Marie-du-Mont. Il entra alors en concurrence avec la chapelle de Cherbourg pour la possession de l’église d’Aurigny et avec l’abbaye Notre-Dame-du-Vœu pour les patronages de Gatteville et Barfleur.
Chapitre IILe patrimoine du chapitre aux xiiie et xive siècles
Le chapitre continua aux xiiie et xive siècles à étendre ses possessions au nord du diocèse. Il acheta de nombreuses rentes mais aussi des dîmes, ces rachats étant autorisés par une bulle du pape Jean XXI. Il reçut également des dons, surtout grâce à la fondation d’obits par des proches de la cathédrale, évoques ou chanoines, les laïcs préférant sans doute fonder des messes dans leurs églises paroissiales. De nombreux arbitrages ou accords à l’amiable concernèrent les dîmes des novales de la forêt de Brix : l’attribution de ces dîmes au chapitre en 1235 allait en effet à l’encontre des intérêts des prêtres des paroisses voisines ou des monastères qui disposaient de droits sur les clairières qu’ils avaient défrichées. En dernier ressort, le pouvoir royal avait compétence en matière de patronage depuis une ordonnance de Philippe Auguste en 1207.
Si les sources insistent particulièrement sur les acquisitions de rentes dans le nord du diocèse, par exemple à Hauteville-Bocage et Orglandes, le chapitre reçut pourtant des dîmes sur tout le Cotentin, souvent grâce aux dons de Jean d’Essey et Hugues de Morville. Lorsque les dîmes étaient très éloignées de Coutances, les chanoines les affermaient, parfois au curé de la paroisse, ou ils les engrangeaient, par exemple dans la grange de Jean de Pirou à Orglandes. Enfin, le chapitre percevait les procurations et les déports en l’absence de l’évêque et jouissait de nombreux privilèges, comme celui de l’exemption des droits de foire.
Chapitre IIILa situation à la fin du Moyen Age
Les cartulaires du chapitre donnent une vision juste des dîmes possédées par le chapitre, comme le démontre une comparaison avec les pouillés. Le chapitre prélevait des dîmes sur tout le territoire du diocèse, excepté dans certains doyennés où la concurrence avec d’autres décimateurs était trop forte. Ainsi, l’abbaye de Lessay possédait presque tous les patronages du doyenné de la Haye-du-Puits et le patronage laïc contrôlait encore plus de la moitié des paroisses dans les doyennés du sud-est du diocèse.
Même si le chapitre acheta une très grande quantité de rentes au nord du diocèse, ses possessions, composées également de plusieurs seigneuries et de forêts, restaient majoritairement concentrées dans les environs de la ville cathédrale et le chapitre tirait l’essentiel de ses revenus de la vicomte de Coutances. Les cartulaires offrent donc une vision biaisée des revenus non ecclésiastiques du chapitre car ils insistent plus sur les acquisitions que sur les possessions anciennes. Outre les revenus de la commune, les chanoines possédaient des biens en propre au titre de leurs prébendes. Si ces revenus étaient nettement inférieurs à ceux des chapitres de Bayeux et Lisieux, on peut noter une moins grande inégalité entre les différentes prébendes.
Conclusion
Malgré sa modestie, le chapitre de Coutances jouissait de prérogatives importantes et d’une certaine indépendance vis-à-vis de l’évêque, en particulier dans la gestion de ses biens et de ses archives, ou dans la correction et le jugement de ses membres. Son influence s’étendait bien au-delà de la cité de Coutances grâce à des possessions dispersées dans tout le diocèse. Ses patronages, en particulier, lui permettaient de jouer un rôle dans l’encadrement religieux des fidèles. Le cartulaire du chapitre nous permet donc de connaître l’histoire de la cathédrale, mais il pourrait aussi servir à d’autres études, par exemple sur la vie rurale du diocèse.
Édition
Les actes ont été édités dans l’ordre du cartulaire. Tous les actes n’ont pas été édités : quatre vingt-sept d’entre eux ont seulement fait l’objet d’une analyse détaillée accompagnée d’un tableau de la tradition. Le choix des actes édités s’est fait selon leur intérêt du point de vue historique et diplomatique. Le texte a été établi à partir du ms M 40 des archives diocésaines et corrigé grâce aux autres copies.
Annexes
Répartition chronologique des actes du cartulaire. — Le personnel capitulaire des origines à la fin du xive siècle. — Les dîmes perçues par le chapitre. — Les chapelles de la cathédrale. — Le fonds de Troarn et les actes originaux. — Index nominum et index rerum.