La maison Fourdinois : néo-styles et néo-Renaissance dans les arts décoratifs en France dans la seconde moitié du xixe siècle
Introduction
Longtemps dénigrée, la florissante ébénisterie française des années 1830 à 1880 fut mal connue jusqu’à l’exposition consacrée en 1979 à L’Art en France sous le Second Empire. Etudier la maison parisienne Fourdinois peut permettre de cerner le contexte et les raisons du succès des néo-styles et du néo-Renaissance, qui demeure encore trop souvent incompris. Au cœur de cette aventure familiale, il y a aussi deux personnalités riches et attachantes qu’il convient d’examiner : Alexandre-Georges Fourdinois et son fils Henri-Auguste.
Sources
L’étude de la production de la maison Fourdinois repose avant tout sur des sources iconographiques qui sont conservées, pour l’essentiel, à la bibliothèque Forney, à Paris : croquis et dessins (Fol. Rés. 5581 à 5586), photographies regroupées dans des recueils factices (Fol. Rés. 5587 à 5589). Ce corpus iconographique doit être complété par des pièces conservées dans plusieurs séries des Archives nationales, dont les plus notables sont les séries AJ19 (Inventaire et administration du Garde-Meuble), AJ64 (Agence d’architecture du Louvre), F12 (Commerce et industrie), LH (dossiers de la Légion d’honneur) et les sous-séries O4 et O5 (Maison du roi de 1830 à 1848, puis Maison de l’empereur de 1852 à 1870). En outre, ont été consultées les archives du musée des Arts décoratifs, à Paris, qui détiennent notamment les procès-verbaux des séances du conseil d’administration de l’Union centrale des arts décoratifs, des archives privées dont celles du château du Sendat (correspondance de Duban avec le baron et la baronne du Sendat) et, de manière plus ponctuelle, les archives municipales de Valenciennes et les Archives de la marine à Toulon.
Première partiePréambule typologique, lexical et historique
Chapitre premierLe fonds Fourdinois de la bibliothèque Forney
Le fonds de dessins et de photographies de la maison Fourdinois se trouvait à la bibliothèque Forney dès l’ouverture, sans que l’on connaisse précisément la date ni les circonstances de son entrée dans les collections. C’est sur une analyse détaillée, tant quantitative que qualitative, de cette collection que reposent les hypothèses de travail, les axes de recherche et la méthodologie retenus.
Chapitre IILexicologie
Il convient de relever les termes récurrents sous la plume de ceux qui ont étudié et critiqué les arts décoratifs de la période concernée et d’en donner la définition la plus claire et la plus dense possible. Il ressort de cette étude lexicale que toute étude sur la maison Fourdinois doit au préalable définir les notions de néo-styles et de néo-Renaissance, souvent attachées à leur production.
Seconde partieLes débuts de la maison Fourdinois : Le règne d’Alexandre-Georges (1835-v. 1860)
Chapitre premierUne personnalité difficile à cerner
Les renseignements sur les origines familiales d’Alexandre-Georges Fourdinois (1799-1871) sont minces : il descendrait d’une famille de sculpteurs sur bois parisiens. Il commence sa carrière dans les ateliers de Jacob-Desmalter. Sans doute y est-il sensible aux premiers pas du néo-rococo, son passage devant être contemporain de la production de la copie du bureau à cylindre de Louis XV par Riesener, exécutée à la demande du roi George IV d’Angleterre.
Chapitre IILes origines : la maison Fourdinois et Fossey
La décision d’une association entre Alexandre-Georges Fourdinois et Jules Fossey (1806-1858) n’est pas éclaircie, excepté le fait qu’elle date de l’année 1835. Le contexte de leur rencontre n’est pas plus connu.. La personnalité de Fossey est riche à bien des égards : il aspire, dès son plus jeune âge à une carrière artistique et se passionne pour le dessin pour lequel son talent fut toujours reconnu. Il est lié à une grande famille de sculpteurs et de décorateurs, les Feuchère. Son passage en Angleterre, dans les ateliers de la firme Crace, paraît décisif quant à sa décision de se consacrer au dessin d’ébénisterie et à son intérêt pour la Renaissance, les Crace ayant fait écho par la suite aux travaux de Duban et collaboré avec les Pugin. L’expérience anglaise de Fossey a dû influencer les débuts du jeune Henri-Auguste Fourdinois, dont il est, en quelque sorte, le père spirituel.
La maison Fourdinois et Fossey connaît ses premiers succès, attestés par une récompense à l’Exposition des produits de l’industrie française de 1844 et les premières acquisitions officielles. La complémentarité des deux hommes est exemplaire dans la mesure où elle permet d’associer le talent d’ornemaniste de Fossey et les capacités techniques et le sens des affaires de Fourdinois père. Ils se séparent en 1848, sans que la raison soit bien connue, peut-être par jalousie et par dissensions personnelles. Fourdinois père reste dans les ateliers de la rue Amelot, à Paris, et continue seul l’aventure.
Chapitre IIILe développement la maison Fourdinois dans le contexte des premières expositions universelles
L’idée d’exposition universelle est française et les Anglais, qu’ils l’ont reprise et matérialisée, le reconnaissent volontiers. Le rôle de sir Henry Cole, érudit pétri de l’idée de progrès, est particulièrement important dans ce domaine. Fondateur du South Kensington Muséum, il fut le premier acheteur officiel d’une œuvre de la maison Fourdinois à des fins didactiques. Les expositions universelles peuvent être analysées comme des lieux d’échange où se rencontrent créateurs, journalistes, critiques, public et clientèle. Les cérémonies, les récompenses ont une influence évidente dans la formation du goût des contemporains et l’émulation n’est pas encore trop entachée de nationalisme.
L’exposition universelle de Londres en 1851 est sans conteste le premier grand succès artistique et public de la maison Fourdinois, d’autant plus qu’à la même occasion Morel triomphe dans l’orfèvrerie avec la collaboration du jeune Fourdinois fils. L’obtention de la Grande médaille pour le grand buffet néo-Renaissance déclenche un effet de concurrence chez les autres ébénistes, tant la presse est unanime pour saluer la réussite de Fourdinois père. Ce succès lance la mode du buffet-crédence-cabinet et du style néo-Renaissance.
La participation à l’exposition universelle de Paris en 1855 marque un certain ralentissement de la créativité, que peut expliquer la mobilisation exclusive des moyens pour satisfaire l’afflux de nouvelles commandes suscité par l’exposition de Londres. Toutefois la maison Fourdinois est étroitement associée au déroulement de cette manifestation : elle fournit l’ameublement des appartements du château de Compiègne réaménagés pour la visite des souverains britanniques et vend à l’administration du South Kensington Muséum l’armoire présentée à l’Exposition.
Troisième partieL’apogée de la maison Fourdinois : La direction d’Henri-Auguste (v. 1860-1887)
Chapitre premierUne formation diversifiée
Les débuts d’Henri-Auguste Fourdinois se déroulent de 1846 à 1848 sous les auspices bienveillants de l’architecte Félix Duban, promoteur du néo-Renaissance et restaurateur du château de Blois. Les circonstances qui ont présidé à cette rencontre sont inconnues, mais Duban devait connaître Fourdinois père, à qui il commande des meubles pour les salles rénovées du Louvre. C’est sans doute sur le chantier de Blois que Fourdinois fils a secondé Duban, car, s’il fut son élève, il n’a jamais fait partie de son atelier à l’Ecole des beaux-arts. Il en garde un goût prononcé pour les formes nettement architecturées. Duban, qui le recommande par la suite à Visconti et au baron du Sendat, influence fortement ses choix esthétiques.
La Révolution de 1848 provoque l’exil d’un certain nombre d’artistes français en Angleterre, parmi lesquels Morel est le plus remarquable. C’est auprès de cet orfèvre renommé que Fourdinois fils s’installe à Londres, sans doute sur les pas de Fossey. Il lui fournit dessins et modèles et contribue ainsi au succès de la firme Morel and Co. à l’exposition universelle de Londres en 1851. Le passage à Londres lui permet de compléter sa formation et sa culture artistique.
A son retour de Londres en 1851, Fourdinois fils travaille pendant quelques années comme dessinateur chez le bronzier Victor Paillard. Son activité en la matière reste peu connue, mais elle a influencé son travail ultérieur, comme le montrent certains dessins de motifs ornementaux en bronze d’ameublement réalisés au cours de sa carrière d’ébéniste.
Chapitre IILa succession à la tête de la maison Fourdinois
La chronologie de la succession à la tête de la maison Fourdinois est très difficile à dégager en l’absence d’informations précises. La date de 1860 est généralement retenue, mais sans preuve formelle, pour l’entrée de Henri-Auguste Fourdinois dans la maison paternelle. Il succède officiellement à son père en 1867, mais les traces de sa présence sont bien antérieures. Il a dû contribuer à la diversification, dès les années 1862-1863, des activités de la maison pour pallier la rude concurrence des tapissiers, comme à l’augmentation de la production consécutive à l’engouement et à la fidélité de la clientèle. La marque indéniable et originale de sa personnalité se retrouve dans un possible séjour en Italie, les sources d’inspiration, anglaises notamment, de la production de la maison, comme dans les travaux de restauration de meubles anciens (pour le comte de Nieuwerkerke), la constitution d’une collection personnelle d’œuvres d’art et de meubles, et dans l’invention de la marqueterie en plein qui modifie profondément une certaine conception de l’ébénisterie.
Chapitre IIIDes succès manifeste mais controversés aux expositions universelles
La participation de la maison Fourdinois aux différentes expositions universelles de Londres en 1862 et de Paris en 1867 et 1878, ainsi qu’à de nombreuses autres expositions européennes, sont autant de succès remarqués par les critiques et couronnés par les récompenses officielles. Ces événements sont connus, mais il convient de les restituer dans le climat artistique et économique de l’époque. Bien documenté grâce au journal de sir Henry Cole, conservé à la National Art Library de Londres, un nouvel achat en 1867 par le South Kensington Muséum consacre définitivement la position dominante de la maison Fourdinois sur la marché. La période 1862-1880 marque l’apogée de la maison Fourdinois qui demeure pour de nombreux ébénistes, qu’ils soient français, anglais ou américains, l’exemple à suivre, voire à détrôner. Encensé par la majeure partie de la critique, Fourdinois fils est cependant la cible de certaines critiques et de controverses en France, au sujet de la paternité de la marqueterie en plein, et en Angleterre, où certains, comme Christopher Dresser, lui reprochent ses choix esthétiques et le coût de ses créations.
Quatrième partieVie et mort d’une grande maison d’ébénisterie parisienne
Chapitre premierEtude économique et sociale de la maison Fourdinois
Dans ses écrits. De l’état actuel de l’industrie du mobilier(1885) et Etude économique et sociale sur l’ameublement(1894), Henri-Auguste Fourdinois offre une vision personnelle des industries d’art et du bois et développe des idées relativement modernes sur la place à donner aux ouvriers dans l’entreprise. Il se montre notamment favorable à la création de caisses mutualistes pour les retraites et n’est pas hostile à ce que les ouvriers participent aux bénéfices. Il fut peut-être proche du milieu saint-simonien, certains indices au fil de ses écrits semblent le confirmer ; en tout cas il entretint des relations professionnelles avec les frères Pereire, Natalis Rondot et Michel Chevalier.
En l’absence d’archives comptables et commerciales, il est difficile de décrire dans le détail le fonctionnement de la maison Fourdinois. La visite de Cerfberr de Medelsheim dans les ateliers de la rue Amelot en 1867-1868 permet d’esquisser à petites touches les étapes de l’activité et la vie dans les ateliers : la rencontre avec les clients, l’élaboration de maquettes, etc.
Les répercussions des Expositions universelles ne sont, à l’évidence, pas négligeables sur l’activité commerciale de la maison, dont la publicité repose pour l’essentiel sur les médailles et les louanges. La diversification de la production est une réponse à la concurrence des tapissiers qui font augmenter les factures dans un domaine de création où les tissus et les tapisseries sont souvent la partie essentielle de l’ameublement. Le passage d’une production de luxe à une production de demi-luxe destinée aux classes moyennes marque aussi l’évolution de cette politique commerciale.
Chapitre IILa clientèle de la maison Fourdinois
II importe de mener l’étude la plus exhaustive possible de la clientèle et des commandes passées à la maison Fourdinois. La typologie établie permet de dégager différentes catégories : commandes officielles, achats institutionnels, clientèle de particuliers, française et étrangère.
Il s’avère difficile de déterminer les motivations des clients de la maison Fourdinois. La réputation de la maison, entretenue par des critiques et des articles, par le bouche-à-oreille et par l’effet de mode, doit jouer un rôle essentiel. La recommandation par une personnalité peut avoir une influence réelle, comme le prouve la correspondance de Duban avec le baron du Sendat. Les créations de la maison Fourdinois sont particulièrement bien reçues à la Cour impériale où les commandes sont nombreuses, par les Anglais et de nombreux autres nationalités (Europe, Etats-Unis, Japon), par l’aristocratie d’Ancien Régime, et surtout par le milieu florissant et entreprenant de la nouvelle aristocratie juive et protestante, au premier rang de laquelle figurent les Pereire, Rothschild, Furtado, Camondo, Hottinguer, Vernes. Les commandes à des fins commerciales sont importantes : décoration de boutiques pour Mellerio, Boucheron, ameublement pour un hôtel anglais.
Quelques exemples significatifs permettent d’illustrer les relations nouées entre la maison Fourdinois et sa clientèle. Les Sendat acceptent les conseils de Duban qui leur recommande vivement son ancien disciple pour participer au réaménagement de leur château. Les Pereire lui commandent l’ameublement quasi complet de leurs différentes résidences et ont dû influencer Fourdinois fils par leurs idées économiques et sociales. Les commandes impériales et officielles sont extrêmement importantes par leur ampleur et leur qualité, à l’exemple de l’appartement Louis XIII du château de Fontainebleau ou l’aménagement du yacht impérial L’Aigle.
Chapitre IIILe constat d’un échec
Henri-Auguste Fourdinois avoue lui-même utiliser toujours les mêmes motifs dans son œuvre et être acculé à une impasse. A ce manque de renouvellement dans la création, s’ajoute les critiques essuyées au sein de l’Union centrale des arts décoratifs, dont il est membre du conseil d’administration. Très intéressé par la question des arts industriels, Henri-Auguste Fourdinois a prêté des œuvres de sa propre collection lors des premières expositions organisées par l’Union centrale des arts décoratifs et n’a cessé d’affirmer la nécessité pour l’association professionnelle de soutenir financièrement les créateurs et fabricants contemporains. Cette prise de position est critiquée par certains administrateurs, aux préoccupations d’amateurs et de collectionneurs : une querelle l’oppose au comte de Canay, et tous deux démissionnent au grand regret d’Antonin Proust.
La fermeture de la maison Fourdinois intervient sans que les raisons en soient clairement connues. La crise économique des années 1880 compte sans doute au nombre des causes. La maison semblait pourtant florissante et ses productions restaient recherchées, comme en témoigne la commande en 1885 par la Bibliothèque nationale du mobilier de la salle des manuscrits. Peut-être découragé d’un point de vue artistique, Fourdinois fils met fin à l’activité de la maison fondée en 1835. La date exacte reste inconnue, mais une vente disperse le fonds d’atelier en 1887 à l’Hôtel-Drouot.
Malgré cet échec relatif, la maison Fourdinois a permis à la famille et à Henri-Auguste de tenir une position sociale remarquable : Henri-Auguste figure dans le Bottin mondain et meurt à Monte-Carlo. Cette reconnaissance sociale s’accompagne d’une reconnaissance artistique, celle des critiques et amateurs comme Darcel, Champier, le comte de Laborde ou Louis de Fourcaud, mais aussi celles d’architectes comme Duban, Lefuel, Vaudoyer, Viollet-le-Duc, Paul Sédille, ou de peintres comme Bonnat et Galland. Les arts majeurs saluent les arts mineurs au travers de la maison Fourdinois et les traitent enfin sur un pied d’égalité.
Chapitre IVInfluence et fortune critique de la maison Fourdinois
L’influence exercée par les créations et par l’esprit de la maison Fourdinois est grandes sur les productions d’autres ébénistes français, mais aussi anglais et américains. La maison Herter Brothers va jusqu’à copier purement et simplement des chaises dues à la plume d’Alexandre-Georges. La maison a porté au plus haut point la qualité d’exécution en ébénisterie et a donné leur légitimité esthétique et historique aux différents néo-styles, et avant tout au néo-Renaissance. Leur réception ne se fait pourtant pas sans mal, si l’on se souvient des sarcasmes des Concourt ou d’une critique plus générale portée sur l’esprit de l’époque par Musset. Le plus virulent fut Le Corbusier ; or c’est à Fourdinois que fit référence Rupert Carabin lorsque le jeune Jeanneret désira se renseigner sur l’art de la fin du xixe siècle.
Henri-Auguste Fourdinois, via Pugin, avait fait sienne la nécessité impérieuse et moderne de ne pas mentir en matière d’arts décoratifs, le devoir d’honnêteté appliqué au meuble : la marqueterie en plein dit une vérité qu’édulcore la marqueterie de surface en cachant sous ses artifices la structure et le bois. Cette pensée moderne de Fourdinois fils trouvera une oreille attentive chez Eileen Gray ou Charlotte Perriand. Discrédité par sa diffusion progressive dans les classes plus populaires, le style néo-Renaissance redevient peu à peu digne d’intérêt, après avoir fait la réussite de la maison Fourdinois.
Conclusion
Saisir les aspirations et les désirs d’une époque permet de comprendre la fortune critique des néo-styles et du néo-Renaissance, tels qu’ils se manifestent dans l’œuvre des Fourdinois, la plus originale et la plus singulière de son temps. L’idée de modernité devient paradoxalement indissociable d’une étude des néo-styles, instrument indispensable pour élaborer une archéologie de la modernité.
Pièces justificatives
Actes de naissance d’Henri-Auguste Fourdinois. Préface de Louis de Fourcaud au catalogue de la vente de Fourdinois de janvier 1887. Lettre d’Henri-Auguste Fourdinois à Antonin Proust, expliquant sa conception du rôle de l’Union centrale des arts décoratifs.
Annexes
Liste des clients de la maison Fourdinois pour la période 1860-1885, dressée à partir du recueil factice de dessins originaux (bibliothèque Forney, Fol. Rés. 5586). Index des noms de personne et des noms de lieu.
Dossier iconographique
Deux cents dessins conservés dans le fonds Fourdinois de la bibliothèque Forney. Héliogravures et photographies de meubles exécutés par la maison Fourdinois.