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École des chartes » thèses » 2006

Georges Ribemont-Dessaigneset la vie artistique (1884-1974)


Introduction

Le nom de Georges Ribemont-Dessaignes demeure, trente ans après sa mort, largement ignoré. De ce relatif oubli, l’attitude de l’écrivain et peintre est sans doute la première responsable. Son rejet des « grands hommes », son mépris du statut de l’intellectuel professionnel, maintes fois manifesté à l’encontre d’André Breton notamment, ou encore une indifférence toute dadaïste à l’égard de sa propre production littéraire ou picturale, comme à l’idée même d’une construction artistique, le poussent à se démarquer par un refus délibéré de faire carrière, de promouvoir ou simplement défendre la valeur et la place réelles de son œuvre, plastique et littéraire, dans son temps. La singularité de son parcours, son indépendance par rapport aux grands mouvements intellectuels du xxe siècle sont également une cause de cette méconnaissance. Seule une histoire en marge des histoires officielles, c’est-à-dire en marge de l’histoire des avant-gardes, pouvait trouver de l’intérêt dans ce personnage à part.

Au vu des antécédents bibliographiques, à la fois très peu nombreux et incomplets, nous avons pu déterminer les lacunes que nous nous proposons de combler. Le premier objectif part de la constatation qu’aucune des recherches précédemment menées n’a cherché à fixer, de façon précise, l’arrière-plan biographique pour l’ensemble de sa vie, de 1884 à 1974. Il est pourtant indispensable à nos yeux de cerner l’évolution du personnage, et notamment ses différentes pérégrinations, pour comprendre l’évolution d’une œuvre qui les répercute de façon directe. En outre, cette approche permettra de mettre en lumière le personnage de Georges Ribemont-Dessaignes dans sa singularité, avec l’idée que seule une étude particulière de son parcours peut donner les clefs de ses processus créatifs et de ses choix artistiques, qui ne cadrent pas toujours, on l’a dit, avec les histoires officielles de l’art au xxe siècle. Nos recherches se donnent pour second objectif de nuancer l’image de Ribemont-Dessaignes écrivain, en rappelant que l’homme était profondément, mais sans dimension négative, un dilettante, aux talents divers, sans que cette diversité nuise à la qualité de son œuvre ; et que l’on ne peut donc prétendre avoir une image exacte de lui sans avoir envisagé cet aspect. Dans ce domaine tout était à faire – car peu de choses, et peu de choses pertinentes, ont été écrites sur ses travaux de peintre, dessinateur, illustrateur, de critique d’art, de musicien et critique musical, et en somme sur sa relation au monde de l’art, par laquelle Georges Ribemont-Dessaignes a pourtant débuté.


Sources

La grande difficulté du sujet réside dans l’extrême dispersion de tous les types de sources (archives, iconographie) qui le concernent.

C’est à la bibliothèque littéraire Jacques Doucet qu’a été versé l’essentiel des archives que Ribemont-Dessaignes conservait à la fin de sa vie. Le fonds attend encore d’être traité intégralement. L’ensemble se rapporte presque exclusivement à la période d’après 1945 ; les documents les plus anciens datent des années 1930. De l’aveu de Ribemont-Dessaignes lui-même, toutes les archives dada ont été perdues. D’autre part, la plus grande partie du fond concerne ses activités littéraires : poèmes inédits, pièces pour la radio,…, et ne sont donc pas de notre ressort.

Il s’avère qu’une partie des archives, ouvrages et œuvres plastiques que possédait Georges Ribemont-Dessaignes a été dispersée par des dons à des amis avant sa mort, puis par sa femme Suzanne, enfin à la mort de celle-ci en 1991, si bien que l’on ne peut pas se contenter du fonds de la bibliothèque littéraire Jacques Doucet, représentatif mais incomplet, pour appréhender le sujet. Le fonds Jacques-Élie Moreau, lui-même mis en vente récemment à la librairie Les Argonautes, à Paris, est le plus important ensemble issu de ce démembrement.

D’autre part, étant donné le caractère lacunaire des archives conservées par Ribemont-Dessaignes, il nous a également fallu procéder de façon inverse, en consultant les archives de tous ses interlocuteurs : à la bibliothèque littéraire Jacques Doucet, celles de ses amis dadaïstes et surréalistes ; à la Bibliothèque nationale de France, celles des époux Autant-Lara ; à la bibliothèque municipale de Marseille, celles de Jean Ballard.

D’autres trouvailles sont venues enrichir ponctuellement nos recherches, par exemple la consultation des archives des expositions qui ont été consacrées à Georges Ribemont-Dessaignes à la galerie Chave à Vence et à la Villa Arson à Nice.

La dispersion des sources iconographiques (dessins, tableaux) soutient aisément la comparaison avec celle des archives, et a été tout aussi problématique pour la constitution du corpus d’œuvres cohérent et propre au commentaire que nous évoquons en troisième partie.


Première partie
Biographie


La biographie de Georges Ribemont-Dessaignes n’a jamais été faite que de façon parcellaire ou orientée. C’est sans doute à ce flou que l’homme doit d’être tombé dans l’oubli. La connaissance plus précise du personnage aurait sans doute permis qu’il passât d’un statut et d’une consistance d’ombre, à ceux d’un réel acteur. Cette étude préliminaire semble d’autant plus importante que la carrière de Ribemont-Dessaignes se place d’emblée sous – le terme est choisi à dessein – le signe de la vie. C’est un poncif, plus ou moins pertinent au demeurant, que d’affirmer que l’œuvre d’un homme est influencée par son environnement ; chez Ribemont-Dessaignes la réflexion est poussée jusqu’à l’amalgame de l’art et de la vie.

Quel que soit l’intérêt de l’étude, la tâche est ardue, étant donné l’état des archives de Ribemont-Dessaignes. C’est en examinant les documents d’état civil, les correspondances, etc., qu’on a pu établir des bornes chronologiques. Mais au-delà de ces supports traditionnels, il faut indiquer l’importance qu’ont pris certains ouvrages, semi-autobiographiques, dans la compréhension du parcours de Ribemont-Dessaignes : Déjà Jadis, ou du mouvement dada à l’espace abstrait, essai de 1958, mais également les romans Adolescence, Mémoires et voyages imaginaires, Smeterling et Le Temps des catastrophes ont été très utiles. Le parti que nous avons pris de les exploiter, étant donné la pauvreté des sources directes pour une biographie, ne doit pas faire oublier la dimension fortement subjective qu’ils comportent. Tous les romans participent d’une mythologie personnelle que l’auteur a forgée à partir de sa propre existence, chacun est le témoin d’une entreprise de construction mentale d’un sens de sa vie.

La période 1884-1918, celle des années de jeunesse, de formation et d’initiation, cède le pas, pour l’intervalle 1918-1934, à une pleine implication dans la vie intellectuelle du temps, dans le dadaïsme puis, avec plus de distance, le surréalisme ; le regroupement des années 1934-1974 peut paraître abusif : mais ces quarante années trouvent leur cohérence dans une même logique de retraite de Ribemont-Dessaignes, loin du devant de la scène littéraire, qu’il observera désormais plus qu’il n’y contribuera. Dada évidemment aura une place très importante dans ce récit. Mais il s’agit, non pas de diminuer l’importance des autres périodes par rapport à un noyau survalorisé, mais de respecter la logique interne que Ribemont-Dessaignes a lui-même énoncée : « Ma vie entière est en effet attachée à Dada, avant, pendant et après le mot même. » ( Déjà Jadis…, p. 64).

Cette étude biographique que nous proposons en première partie, comme en préambule, n’a de sens pour nous qu’en tant qu’elle s’intègre à un projet plus vaste de mise en lumière de l’œuvre plastique de Georges Ribemont-Dessaignes. Celle-ci ne peut se faire, on le comprend, qu’une fois posé le cadre dans lequel Ribemont-Dessaignes évolue. Cet exposé permet donc à la fois d’introduire la figure peu familière de l’auteur et artiste, et d’étayer les réflexions sur son rapport à la modernité et à la création.


Deuxième partie
Georges Ribemont-Dessaignes, du mouvement Dada à l’espace abstrait :
pour une histoire non exemplaire


La place de Georges Ribemont-Dessaignes dans les grands courants intellectuels du xxe siècle est singulière, irréductible aux schémas historiques (art ou littérature) traditionnels. En retraçant sa biographie, nous avons déjà mis à jour cette particularité qui a sans doute nui à la connaissance de son œuvre – artistique surtout, trop peu conforme aux préceptes des groupes d’avant-garde et par trop multiforme.

Car le parcours de Ribemont-Dessaignes apparaît véritablement comme une histoire « non exemplaire », au sens latin du mot, exemplum signifiant modèle. L’historiographie a longtemps méprisé, méprise encore, les hommes et les trajectoires qui font fi des dogmes de la modernité, et ne cadrent pas avec une vision progressiste de la culture, largement répandue depuis la fin du XIX e siècle et la montée en puissance des avant-gardes, malgré les tentatives dadaïstes ultérieures –Ribemont-Dessaignes y prend part – de démontrer l’équivalence de toutes les idées et de toutes les valeurs.

En réalité l’œuvre de Ribemont-Dessaignes transcende le traditionnel raisonnement dichotomique : avant / arrière-garde dans le domaine des arts, et permet à la fois de mettre en lumière les « hors-champ » qu’implique une telle vision de l’histoire, et d’en dénoncer le manque de relief. Il nous importe peu de promouvoir Ribemont-Dessaignes comme une figure avant-gardiste oubliée ; pas davantage de le qualifier de tenant de l’arrière-garde. Lui-même ne s’en souciait pas. C’est encore dans Dada qu’il faut chercher les racines de son étonnante indifférence à l’égard de la modernité, valeur montante de l’art du début du xxe siècle.

Georges Ribemont-Dessaignes post-moderne ? Bien plutôt fidèle à ce refus des conventions prôné depuis Dada ; refus des règles, fissent-elles partie du jeu des avant-gardes, auxquelles il reproche plus ou moins explicitement – on se souvient de son attitude face à Breton – d’être des académismes en devenir. Cette liberté – il faut l’écrire pour lui sans effet grandiloquent, avec un petit l– est la marque de fabrique et le lien de toute son œuvre, qui s’autorise, parfois se plie, à toutes les digressions hors du parcours des avant-gardes et donc du discours des historiens de l’art.

Chapitre premier
L’avant-garde… et ses marges

Ce n’est pas la preuve d’une certaine modernité de Georges Ribemont-Dessaignes, calculée par addition du nombre d’expériences et de camarades novateurs connus, qui nous pousse à poser le problème de sa participation aux mouvements d’avant-garde. Deux raisons nous le rendent essentiel : d’une part, il nous permet de mettre en question le rôle de la sociabilité culturelle dans la création dessaignienne, et de l’autre, d’examiner un mode d’expression très important chez Ribemont-Dessaignes : la revue. Deux raisons qui, à vrai dire, se rejoignent et se complètent dans la notion de réseau, primordiale pour comprendre le fonctionnement des mouvements littéraires et artistiques, au moins jusqu’à la seconde guerre mondiale.

Chapitre II
Georges Ribemont-Dessaignes entre tradition et modernité

L’œuvre de Georges Ribemont-Dessaignes s’inscrit d’abord dans une logique d’avant-garde : il cède, de 1903 où il débute dans la peinture, à 1913, à la tentation d’un certain modernisme, qui lui sert de formation à la fois théorique et technique, tout à fait complète. Il se fait tour à tour néo-impressionniste, nabi, s’essaye au fauvisme et plus assidûment au cubisme. En musique il se tourne vers Wagner, Franck, Debussy, Vincent d’Indy puis Stravinsky. Cette succession de styles en peinture, cette recherche de la nouveauté en musique semblent attester une foi en un possible dépassement de chacun : ce terme même ressortit du discours novateur de l’avant-garde

Avec Dada, Ribemont-Dessaignes dépasse finalement ce schéma linéaire du temps, introduisant une équivalence entre toutes les époques, et au lieu d’un sens de l’histoire, un temps cyclique ou circulaire, qui n’est pas soumis au progrès. La première guerre mondiale a sapé la crédibilité de cette notion même : la civilisation occidentale sûre de sa supériorité et fière de ses découvertes, notamment scientifiques, n’a pas su empêcher ses plus bas instincts de se manifester dans une vulgaire boucherie. Les dadaïstes en prennent acte et veulent mettre en place, non une nouvelle révolution, mais une joyeuse anarchie qui accompagne la fin de la marche de l’Histoire.

De ce refus d’une idée de progrès découle l’idée que toutes les civilisations, dispersées dans le temps ou l’espace, se valent strictement. Le temps présent et la civilisation occidentale n’ont aucun droit à revendiquer une quelconque préséance.

Néanmoins la pensée de Ribemont-Dessaignes n’est pas dénuée d’empreintes, d’emprunts à son milieu d’origine, la bourgeoisie, ce qui permet de nuancer son discours fortement opposé à tout le système de valeurs, à toute la société qu’elle incarne, et de mettre en place, en lieu et place d’une attitude intégrale de rejet revendiquée par l’auteur dans ses romans, la notion d’héritage.

De ces constatations, quelles conclusions tirer ? Les origines de Georges Ribemont-Dessaignes, son éducation, son milieu le tirent du côté de la tradition, qui fait partie de lui, comme un limon. Mais sur celui-ci, l’homme construit une pensée artistique qui est, sinon moderne (le mot est une sorte de repoussoir pour les dadaïstes et pour Ribemont-Dessaignes), du moins résolument novatrice. En réalité Ribemont-Dessaignes continue d’échapper, selon nous, à l’éventualité d’une classification : il n’est pas à l’arrière-garde, mais il dépasse aussi la notion de modernisme ou d’avant-garde, qui sont par essence constructives. L’art de Ribemont-Dessaignes se dérobe à son propre sens. Peut-être serait-il plus pertinent de penser pour lui au qualificatif d’art postmoderne, qui, désengagé de tout idéal, prône sa liberté d’être, en dehors de la dialectique avant et arrière-garde, en dehors des querelles esthétiques, un simple souffle de vie ?

Chapitre III
De l’autre côté de la création

D’une part, l’œuvre de Georges Ribemont-Dessaignes se départage en différents domaines, littérature, peinture, musique, etc. D’autre part, elle se divise encore entre création et critique, action et observation.

La production de Ribemont-Dessaignes se fait donc dans sa globalité sous le signe de l’ambiguïté. Elle oscille entre la voie négative qu’elle se propose de suivre depuis l’époque Dada, et une forme d’affirmation pourtant indissociable de toute création. Il est paradoxal au premier abord que, refusant obstinément de « faire œuvre », Ribemont-Dessaignes ait été un artiste et un écrivain d’une si étonnante prolixité, dans tous les domaines, et même parfois d’un franc lyrisme. C’est que cette création était en fait perçue par lui comme un constant épanchement de l’esprit, une activité naturelle, un geste créatif non dissocié de la vie.

Elle est partagée ensuite entre tradition et modernité. L’étude de sa contribution à certains groupes d’avant-garde, jusqu’à Dada, puis sa participation à de nombreuses revues, parmi lesquelles on trouve les plus novatrices de son temps, ne doit pas faire illusion sur ses ambitions. De la même façon, la tradition qui est largement représentée dans les formes que prend la création chez Ribemont-Dessaignes, ne permet pas de l’exclure des courants modernes : il est dilettante et touche-à-tout, il est vrai, tributaire de son éducation bourgeoise, mais rebelle à cet héritage qu’il attaque et sape de l’intérieur par une remise en question de toutes ses certitudes, qu’il remplace par ses propres interrogations, ses propres obsessions qui sont fixées depuis Dada et constituent le fil directeur de son œuvre. En somme, ni attaché aux formules artistiques du passé – sa mélancolie n’est pas de cet ordre-là – ni intéressé dans une entreprise de progrès en laquelle il ne croit plus, il évolue en funambule sur la ligne de partage entre avant et arrière-garde, ou plutôt au-delà de ce problème, en post-moderne.

Même ambiguïté dans une division de son œuvre entre travail original et travail de critique, qui le montre encore partagé entre deux rôles, celui de l’acteur et celui du spectateur. Et dans son travail de critique même, la révélation d’un dernier paradoxe : un regard passéiste, réactionnaire presque, une peur de l’avenir, palpable, mais qui n’empêche pas un courage résigné, et un intérêt toujours en éveil, quoique désillusionné, pour tout le monde qui l’entoure et dont il comprend parfaitement les enjeux. Un regard critique vers le passé qui n’empêche pas non plus la prolongation, jusqu’à la fin, d’une production personnelle unie dans les thèmes qu’elle aborde, mais toujours en renouvellement dans ses formes.


Troisième partie
Production artistique de Georges Ribemont-Dessaignes :
une poétique du désœuvrement


La production artistique de Georges Ribemont-Dessaignes, peu connue en dehors des dessins et toiles dada, n’a jamais fait l’objet d’une étude globale. Le but est double ici. Dans un premier temps, donner simplement à voir, par une longue liste d’œuvres, l’ensemble de la production de Ribemont-Dessaignes. La connaissance et la promotion de son œuvre souffrent visiblement, non pas de la qualité de celle-ci, mais d’un réel « déficit d’image ». En d’autres termes, il est impossible d’apprécier ou non ce qui n’est pas accessible au regard, sinon par bribes, par pièces disséminées dans différents musées ou différents catalogues collectifs, dont le rassemblement demande un effort considérable.

La tâche est ardue, car ces œuvres sont extrêmement dispersées, on l’a dit. La galerie Chave à Vence conserve sans nul doute la collection la plus importante, mais elle n’est évidemment pas complète. Les institutions publiques sont minoritaires parmi les propriétaires, et la présence de tableaux ou de dessins de Ribemont-Dessaignes y est comme accidentelle : elles possèdent parfois une ou deux œuvres, mais aucune initiative de constitution d’un ensemble cohérent n’apparaît réellement. C’est donc auprès des collectionneurs qu’il faut enquêter, mais cette démarche implique une plus grande difficulté de repérage et d’approche, car ils s’affichent rarement et souvent même ignorent la valeur de ce qu’ils possèdent, et par conséquent nécessite beaucoup plus de temps.

Nous avons choisi, sans abandonner le projet d’un catalogue raisonné complet de ses œuvres, qui n’a pu être réalisé ici faute de temps, de privilégier une sélection d’œuvres (près de 200) que nous espérons représentative et sur laquelle est bâti notre commentaire.

Car dans un second temps, il a paru important de proposer un commentaire de cette œuvre difficile d’accès : la succession rapide des styles, ainsi qu’un véritable fossé entre les formes qu’elle revêt, la rendent au premier abord déroutante,

Nous avons abordée celle-ci en plusieurs étapes, selon une logique chronologique qui répond encore aux grandes phases de sa vie, mais correspond également plus particulièrement à la partition des styles.

Le premier chapitre est consacré à sa production picturale et graphique entre 1903 et 1914, soit « avant Dada » ; le second à « Dada » et aux formules anti-artistiques que Ribemont-Dessaignes développe alors, jusqu’au second abandon de la peinture au début des années 1920. Ce n’est qu’après la seconde guerre mondiale que Ribemont-Dessaignes reprend sa production artistique, qui sera désormais uniquement graphique : c’est donc à partir de là que reprend notre commentaire, avec une étude d’œuvres qui relèvent d’un « Nouveau réalisme », de 1945 à 1950, puis la série des « Arbres » (vers 1950-1965) ; et enfin un commentaire des dessins rassemblés sous le nom de « Cryptogrammes  », qui occupent l’artiste jusqu’à sa mort en 1974.

En suivant le cours de sa vie nous avons été confrontée à une succession de styles déroutante, passant du néo-impressionnisme, au cubisme, à Dada iconoclaste, au réalisme des « Arbres », au style inclassable enfin des « Cryptogrammes ». Néanmoins, malgré la variété apparente de cette œuvre, nous avons montré que Ribemont-Dessaignes s’en tenait, d’abord à des préoccupations et donc des thèmes tout à fait constants, presque obsessionnels, mais aussi, du point de vue de l’attitude à avoir envers l’art lui-même, à un appareil théorique très stable et très limité, ce qui permet une marge de manœuvre assez large pour la manière qu’il adopte.

Cette structure théorique est, on s’en doute, tournée vers, puis héritée de Dada. Elle consiste à notre avis en une logique de désœuvrement, qui se lit en filigrane de 1910 au moins à 1974. Le désœuvrement est à entendre ici sous ses multiples sens : d’abord destruction de l’œuvre, qui commence timidement et presque à son insu, lors de la période d’expérimentations (de 1904 à 1914) qui le mène, avec les autres artistes de l’avant-garde, à faire éclater la notion d’absolu en art, puis à renier l’art lui-même. Cette œuvre destructrice devient quelques années plus tard violemment iconoclaste, revendicatrice, cruelle : c’est le temps de Dada. Pour la période d’après-guerre, après 1945, on a bien sûr une forme de repentir dans l’adoption d’un nouveau style, le plus réaliste qui soit, le moins avant-gardiste qui puisse être. Mais c’est alors, paradoxalement, que Ribemont-Dessaignes suit peut-être le mieux l’enseignement de Dada, en s’éloignant de toute recherche esthétique pompeuse, en cultivant sa propre production absolument hors des débats avant / arrière-garde, en affectant à l’art sa position vraie : non pas une activité supérieure aux autres, mais une activité parmi les autres, au cœur de la vie, délassement à la fois de la main et de l’esprit, activité des heures désœuvrées : c’est l’autre sens du mot désœuvrement qui apparaît ici.

En n’acceptant pas les règles du jeu artistique, ni en amont (recherches esthétiques, discussions d’artistes professionnels qu’il avait en horreur), ni en aval (publicité et commerce de l’art), Ribemont-Dessaignes condamnait son œuvre graphique et picturale à une certaine forme d’isolement. Il livre cependant une œuvre subtile et riche, qui s’apprécie malheureusement encore à l’abri des regards du plus grand nombre.


Conclusion

Qu’ajouter en conclusion de cette étude déjà longue ? Souhaitons simplement qu’elle contribuera à rétablir une vision juste de la position de Ribemont-Dessaignes dans la vie artistique de son temps, et à réaliser le souhait de Philippe Soupault : « Bientôt – mais il sera trop tard – on (qui on ?) lui rendra hommage. Il sera bien temps. » ( Écrits sur l’art du XX e siècle, p. 345).


Annexes

Édition de l’ensemble des lettres de Georges Ribemont-Dessaignes à Tristan Tzara, conservée à la bibliothèque littéraire Jacques Doucet. — Autres extraits de correspondance, à Frantz Jourdain et André Breton. — Liste des œuvres de Ribemont-Dessaignes exposées au salon d’Automne, au salon des Indépendants et à l’exposition de la Section d’Or. — Photographies documentaires.


Planches

Le second tome de la thèse est consacré entièrement à la publication de ses œuvres picturales et graphiques, de 1903 à 1974, avec près de 200 reproductions.