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École des chartes » thèses » 2007

L’iconographie de saint Antoine de Padoue

Sources et représentations (XIIIe-XVIe siècle)


Introduction

Si la spiritualité, la vie et les sermons de saint Antoine de Padoue (1195-1231) ont fait l’objet de nombreuses études érudites, son iconographie, elle, a été assez peu prise en considération. Quelques travaux et expositions lui ont été consacrés à l’occasion des célébrations qui ont marqué les sept cent et sept cent cinquantième anniversaires de sa mort en 1931 et 1981, ainsi que le huit centième anniversaire de sa naissance en 1995. Mais ces travaux paraissent aujourd’hui datés, limités géographiquement ou thématiquement. Face à une telle historiographie, il a paru intéressant de proposer un travail qui offrirait à la fois une synthèse des travaux anciens et de nouvelles pistes, à la lumière des transformations récentes de la discipline iconographique. Cette recherche se place dans des limites géographiques et chronologiques assez restreintes pour être envisageable dans le temps limité alloué à une thèse d’École des chartes, mais assez larges toutefois pour qu’il y ait une cohérence. En effet, les représentations de saint Antoine dans la Péninsule ibérique sont assez différentes de celles du reste de l’Europe, par leur aspect, qui renvoie à une dévotion et une sensibilité baroques, et leur support même (beaucoup de statues et d’azulejos), pour mériter une étude à part. Des jalons pour cela ont d’ailleurs été posés lors de deux colloques, le Colóquio antoniano de juin 1982 et le Congresso Internacional pensamento e testemunho tenu en septembre 1995, et surtout par le catalogue d’exposition O culto de Santo António na região de Lisboa(1981). Dans la mesure où l’enquête iconographique n’a pas permis de découvrir d’images provenant des Îles britanniques et où le culte de saint Antoine, comme celui de la plupart des saints du Moyen Âge, n’est répandu que dans la partie occidentale de la Chrétienté, le champ géographique de cette recherche a été fixé à la partie continentale de l’Occident chrétien, sans la Péninsule ibérique, soit la France, l’Italie et les pays d’Empire.

Quant aux limites chronologiques, le concile de Trente, qui marque un véritable changement dans les arts religieux, en émettant des conseils à l’intention des peintres, et, de façon plus profonde, en changeant les modes de dévotion, s’est logiquement imposé. Les représentations post-tridentines de saint Antoine présentent une iconographie bien spécifique, où les images pieuses, qui deviennent très nombreuses avec l’essor de la gravure au xviie siècle, forment un corpus énorme. Il a donc paru bon de prendre en compte tout le xvie siècle, afin d’avoir un aperçu des transformations qui ont eu lieu autour du concile, mais sans s’y attarder, car, là aussi, le sujet mérite une étude à part.

Le corpus final retenu pour ce travail comprend environ trois cent cinquante images, mais le nombre d’images repérées lors des travaux préparatoires est, bien entendu, plus élevé. Un catalogue des représentations de saint Antoine de Padoue des origines à l’époque contemporaine et dans toute l’Europe a été dressé. Toutes les techniques rencontrées ont été prises en compte, même si certaines, comme la tapisserie, la marqueterie ou le verre églomisé, constituent un groupe très restreint.

Après une présentation détaillée des sources, textuelles comme iconographiques, des dossiers thématiques ont été bâtis autour d’un certain nombre de grandes questions. Tout d’abord, la question des rapports entre images et textes, puis celle de la place de saint Antoine dans l’ordre franciscain, en particulier par rapport au fondateur. Comment saint Antoine est-il devenu un saint si populaire qu’il a éclipsé saint François lui-même, alors qu’ils appartiennent tous deux à un ordre auquel on a reproché de vouer une dévotion plus grande à son fondateur qu’au Christ ? En effet, on voit saint Antoine apparaître auprès de saint François dans les images et les textes, il entre même dans la Vita prima de Thomas de Celano ; peu à peu on se met à le considérer comme le disciple préféré de saint François et on s’attend à le trouver à ses côtés. Cette popularité de saint Antoine est sensible dans bien d’autres domaines. Comment ne pas s’étonner que ce soit ce saint franciscain, et non un dominicain, le patron des prédicateurs ? L’étude des rapports entre François et Antoine, éclairée par les premières représentations de celui-ci au xiiie siècle, est donc suivie d’un chapitre consacré aux rapports du saint de Padoue avec les autres saints des ordres mendiants, puis d’un autre consacré aux rapports avec deux saints antiques : le grand homonyme, saint Antoine Abbé, d’abord, puis sainte Catherine d’Alexandrie, à laquelle Antoine est fréquemment associé, spécialement dans la scène de ses noces mystiques avec le Christ. Il importe également d’étudier les attributs de saint Antoine. Si c’est grâce à eux qu’on le reconnaît dans les images, il faut alors enquêter sur leur évolution au fil du temps, leur signification, leur nombre. Aujourd’hui, un seul, l’Enfant Jésus, associé à l’habit franciscain, semble suffisant pour le faire reconnaître, à tel point qu’on a fait d’Antoine « le saint de l’Enfant Jésus ». Mais cela n’a pas toujours été le cas, et il est même des situations où l’identification d’Antoine ne semble pas pouvoir être faite à coup sûr. Un dossier thématique consacré aux manuscrits apportera des éléments complémentaires sur ces questions. Enfin, le chapitre consacré à la prédication, dont Antoine, en bon franciscain, avait fait son activité principale, permet d’aborder la présentation thématique des scènes miraculeuses de l’iconographie antonienne. Parmi celles-ci, la place prépondérante de l’apparition de saint François pendant la prédication de saint Antoine au chapitre d’Arles rappelle à quel point le rayonnement du second dépendait de celui du premier, pour le culte et l’iconographie, dans les premiers siècles franciscains.


Sources

Les sources iconographiques : présentation. — Ne prendre en compte qu’un type de support, n’étudier par exemple que les enluminures représentant saint Antoine, à l’exclusion des peintures sur bois ou sur toile, des fresques, des statues et bas-reliefs, des vitraux ou des céramiques, serait amputer gravement le sujet, et limiter d’autant la portée des observations qu’on pourrait faire. Puisqu’il n’est pas réellement possible de constituer un corpus véritablement exhaustif, même avec un dépouillement très fin de toutes les sources, corpus iconographiques, catalogues de musées ou d’expositions, et une exploration des églises et autres monuments, et qu’il est difficile, ce recensement fait, d’évaluer ce que représentent les éléments retrouvés par rapport à la production totale du Moyen Âge, l’exhaustivité a été recherchée dans un domaine où elle est plus accessible, celui des supports. L’intérêt qu’il y a à considérer les supports les plus variés ne doit pas faire perdre de vue que chaque technique a ses procédés propres, ses règles et ses impératifs matériels, comme par exemple les formats imposés par le livre dans lequel une enluminure prend place, ou le mur sur lequel est peint une fresque. Le rassemblement des images se fait d’abord sans distinction, mais chacun des supports doit ensuite faire l’objet d’une étude spéciale, qui tienne compte de ces particularités.

Les sources textuelles : présentation. — Les légendes antoniennes ont fait l’objet d’une entreprise d’édition complète au sein du Centro Studi Antoniani de Padoue, sous la direction de Vergilio Gamboso : les Fonti Agiografiche Antoniane(6 vol. parus).

Six œuvres hagiographiques consacrées, au moins en partie, à saint Antoine voient le jour au xiiie siècle. La principale est la Vita prima ou Assidua, écrite par un frère anonyme dans les années qui suivent la canonisation d’Antoine (1232). Elle inspire peu ou prou toutes les légendes suivantes. Jusqu’à la Sancti Antonii vita de Sicco Polentone (1433-1437), celles-ci sont toutes produites dans le milieu franciscain. Livre de piété, destiné à un public large, alors que les autres vies appartiennent au domaine franciscain et liturgique, la Sancti Antonii vita a une influence sensible sur la biographie et l’iconographie antoniennes.

Les légendes de saint François sont des sources très partielles sur saint Antoine : des rapides allusions à sa présence au chapitre général d’Assise en 1231 et à l’apparition de saint François pendant sa prédication à Arles sont présentes dans la Vita prima de Thomas de Celano ainsi que dans la Legenda maior de saint Bonaventure. En revanche, Antoine est absent de la Légende dorée de Jacques de Voragine.


Chapitre premier
Vie et patronages


Antoine est canonisé moins d’un an après sa mort. Dans les premiers temps, l’ordre franciscain se consacre presque exclusivement à la promotion du culte de saint François, et celui de saint Antoine reste confiné à Padoue et à l’ordre lui-même. Saint tardif, et homonyme d’un grand saint des premiers temps, il influence peu l’onomastique : dans les cas, peu nombreux, où l’on peut déterminer avec certitude auquel des deux saints un toponyme ou un anthroponyme fait référence, c’est d’Antoine Ermite qu’il s’agit.


Chapitre II
Les premières représentations (XIIIe siècle)


Les représentations de saint Antoine prennent place dès le xiiie siècle dans des lieux et auprès de personnages très prestigieux, mais restent très dépendantes de l’ordre franciscain. Antoine reste d’abord dans l’ombre de François, puis la promotion de son culte bénéficie du dynamisme de l’ordre franciscain. Tous deux sont révérés dans l’iconographe franciscaine comme de nouveaux apôtres.


Chapitre III
Saint Antoine de Padoue et les autres saints des ordres mendiants


Antoine est associé à une grande variété de saints, dans les groupes qui entourent la Vierge à l’Enfant par exemple, mais il est possible de relever des association récurrentes. Pierre Martyr semble son pendant dominicain. Les associations les plus fréquentes sont faites avec d’autres saints franciscains, principalement François – il n’y a pas d’autre grand saint canonisé dans l’ordre avant la fin du XIII e siècle. Si Antoine est peu associé avec les saintes franciscaines, c’est que celles-ci sont manifestement un cas à part, dont les représentations connaissent un essor plus tardif, et qui sont généralement associées au fondateur ou à d’autres femmes.


Chapitre IV
Saint Antoine de Padoue et deux saints antiques
Antoine ermite et Catherine d’Alexandrie


Au Moyen Âge, saint Antoine Ermite est bien plus populaire que saint Antoine de Padoue, son culte est répandu partout. La confusion iconographique entre les deux saint Antoine est plus souvent le fait des catalogueurs modernes que des peintres et enlumineurs médiévaux, qui, plutôt que de véritables confusions, offrent parfois des types hybrides, donnant au saint de Padoue un attribut de l’ermite. Un retournement se produit à l’époque moderne, autour du concile de Trente. Le saint plus récent correspond plus alors aux modèles mis en valeur par l’Église et offerts en exemples aux fidèles. Cette dévotion nouvelle à saint Antoine de Padoue se développe en particulier autour de son image de « saint de l’Enfant Jésus ».

C’est également cette qualité de « saint de l’Enfant Jésus » qui explique l’association de saint Antoine de Padoue à sainte Catherine d’Alexandrie, spécialement dans les représentations du mariage mystique de cette dernière avec le Christ enfant.


Chapitre V
Les attributs


L’identification est une question récurrente de l’iconographie. Certains saints sont très caractérisés, très faciles à reconnaître ; pour d’autres il est vraiment nécessaire d’observer les attributs, et parfois un seul ne suffit pas à lever l’ambiguïté, il en faut plusieurs, comme un faisceau de signes qui convergent vers une personnalité. En dehors de l’habit franciscain, qui est plutôt une caractéristique qu’un attribut, le premier attribut qu’Antoine ait reçu est le livre. Dans bien des cas, il est, dans les images, le franciscain au livre ; ce qui n’est pas sans poser quelques problèmes aux historiens : un franciscain tenant un livre peut aussi bien être saint François. Pour un saint tardif comme Antoine, qui plus est second dans un ordre qui voue un culte extraordinaire à son fondateur, il est nécessaire de croiser les indices, non seulement attributs multiples, mais, pour l’œil du xxie siècle du moins, éléments de contexte.


Chapitre VI
Saint Antoine de Padoue dans les manuscrits enluminés


Les manuscrits dans lesquels apparaissent des images d’Antoine de Padoue sont assez variés. Il s’agit essentiellement des différents types de livres liturgiques. Les représentations de saint Antoine dans les manuscrits sont souvent des scènes statiques, peu narratives. Il n’apparaît généralement qu’une fois, dans des manuscrits de dévotion où l’image doit être support de cette dévotion, favoriser la contemplation, et, pour cela, permettre l’identification rapide du sujet. Une scène de sa vie ou un portrait avec ses attributs remplissent ce rôle.


Chapitre VII
Saint Antoine prédicateur


L’activité principale de saint Antoine de Padoue est la prédication. Dès sa première représentation, il apparaît dans l’action de prêcher. Les images narratives favorisent les scènes de prédication, mais c’est aussi le cas des images thématiques : le livre, son principal attribut, représente le savoir du prédicateur et souvent sa main levée dans le geste d’enseignement vient renforcer cette signification. Sa principale scène de prédication est celle du chapitre d’Arles, où François apparaît à un des frères qui écoutent Antoine. Cette prédication de saint Antoine à laquelle François a apporté une légitimité supplémentaire, historiquement et symboliquement, est son activité la plus importante dans l’iconographie. Les miracles qu’elle a retenus, qui ont été représentés de préférence, sont tous liés à l’éloquence du thaumaturge.


Conclusion

Le repérage des sources pour l’iconographie de saint Antoine de Padoue a apporté son lot de surprises, comme il est d’usage même lorsqu’on s’efforce d’aborder le travail de recherche sans idées préconçues.

La moisson d’images, commencée dans les manuscrits, s’en est finalement bien éloignée, puisque, dans le corpus de travail, seules soixante et onze images sur environ trois cent cinquante sont des enluminures. Les vitraux, tapisseries et marqueteries forment par leur petit nombre un groupe à part. Des formes plus populaires ont fourni des objets en très grand nombre, qui méritent une étude sérielle spécialisée : ex-voto peints, sculptés ou brodés, médailles, faïences de pharmacie. Les gravures, lorsqu’il ne s’agit pas de reproductions de tableaux de maîtres destinées à un public choisi, appartiennent également à cette catégorie. Beaucoup en effet sont des tirages en série, dont les bois sont réemployés jusqu’à usure complète pour illustrer de petits livrets de dévotion, des almanachs ou des feuilles volantes. Dans le domaine bien particulier de la dévotion populaire, où l’étude des sources repose sur l’analyse sérielle de grands nombres, n’a été fait qu’une incursion rapide, afin d’en saisir les grandes lignes.

L’ordre des Frères mineurs a joué un rôle prépondérant dans le développement et la diffusion du culte d’Antoine, dans les images comme dans la liturgie. Dans les premiers siècles en particulier, la production d’images est étroitement liée à l’ordre et au grand centre antonien qu’est Padoue. Il n’est donc pas juste de dire que les représentations d’Antoine appartiennent seulement à la piété populaire. Cette production populaire, si massive qu’elle en vient à dissimuler tout le reste, se développe lentement, et, pour la voir s’épanouir pleinement dans toute la Chrétienté, il faut attendre l’époque moderne. Le rayonnement de l’ordre franciscain a permis à Antoine d’entrer dans tous les calendriers liturgiques du Moyen Âge tardif, et la piété moderne, en retenant l’aspect de sa légende qui convenait le mieux aux nouvelles sensibilités, l’a fait entrer, par le biais des images, dans la plupart des églises et sans doute, avec les images de piété et autres médailles, dans un grand nombre de maisons.

Au fur et à mesure de la quête de ces images et de la lecture des sources écrites, un certain nombre de questions se sont fait jour, complétant celles avec lesquelles cette recherche avait commencé. Certains points demandent à être approfondis, en particulier les dossiers d’œuvres qui nécessitent des études chronologiques, stylistiques et, dans le cas des manuscrits, codicologiques ; le champ d’investigation mérite également d’être élargi, par l’apport de nouvelles recherches thématiques, comme celles des cycles antoniens, nombreux à Padoue, des scènes miraculeuses qui composent ces cycles, ou des supports tels que la sculpture, la gravure, le verre églomisé. Le prolongement au-delà du xvie siècle, le développement de la comparaison avec les ex-voto et l’art « populaire », avec la production de la Péninsule ibérique, sont les autres directions dans lesquelles des travaux ultérieurs devraient être menés.

Ce dossier sur saint Antoine pourra fournir aux iconographes et aux historiens des éléments pour une étude de plus grande ampleur sur les modes de dévotion et de représentations médiévaux et de la première modernité.


Pièces justificatives

Extraits de légendes de saint Antoine.


Annexes

Tableaux généalogiques des légendes. — Tableau des scènes et miracles. — Catalogue des représentations de saint Antoine. — Planches.