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École des chartes » thèses » 2007

Simon Arnauld de Pomponne

Secrétaire d’État des Affaires étrangères de Louis XIV (1618-1699)


Introduction

Le renouveau de l’histoire politique et diplomatique durant les vingt dernières années a considérablement renouvelé les approches et mis en valeur de nouveaux enjeux. Elle a notamment entraîné la floraison d’un grand nombre de travaux, dont les moindres ne sont certainement pas les biographies de ministres et de grands commis de l’État afin de « donner de nouvelles bases à l’histoire des rapports entre les souverainetés » (L. Bély).

Époque où les États montent en puissance, le xviie siècle constitue un tournant dans l’histoire administrative et diplomatique. Les gouvernements repose sur des structures de plus en plus complexes, qui se mettent progressivement en place au cours du siècle. L’approche biographique constitue une entrée pertinente pour étudier ces nouvelles structures et comprendre les modalités d’exercice du pouvoir, à une époque où la personnalisation de ce dernier est encore très grande.

À cet égard, on considère traditionnellement que les premières années du règne personnel de Louis XIV sont marquées par l’opposition de deux grands ministres, Colbert et Louvois. Ils ne sont pourtant pas seuls : le Conseil est peuplé d’autres personnes, qu’il est nécessaire de bien connaître afin de comprendre l’origine des décisions politiques et les modalités de leur application.

La figure de Simon Arnauld de Pomponne semble donc digne d’intérêt. D’une part, lui est confiée la difficile mission d’être le secrétaire d’État des Affaires étrangères, à une époque où Louis XIV est en guerre contre toute l’Europe. Alors que la France se trouve à son apogée et qu’elle accumule les victoires militaires, Pomponne doit négocier la paix. D’autre part, Pomponne est un Arnauld, fils de Robert Arnauld d’Andilly, neveu du chef des jansénistes Antoine Arnauld et des grandes abbesses de Port-Royal, les mères Agnès et Angélique.

Il était donc du plus sensible intérêt de s’interroger sur le parcours et l’action d’un homme qui est parvenu aux plus hautes charges en étant janséniste, et de comprendre quel peut être le rôle et l’action d’un ministre-diplomate en pleine guerre de Hollande.


Sources

L’étude des diverses facettes de Pomponne nécessite de recourir à des sources très dispersées. Ses papiers personnels sont répartis entre la bibliothèque de l’Arsenal (ms 6034 à 6041 et 6626) et les archives du château du Fayel (Oise, fonds privé). Ces archives – entre autres la correspondance de Pomponne – sont à la base de l’étude : elles permettent d’éclairer son parcours politique et personnel, d’étudier son réseau social et d’approcher sa vie quotidienne. En plus de quelques renseignements personnels, les archives du ministère des Affaires étrangères ont fourni le matériau nécessaire à l’étude du département des Affaires étrangères. L’immense masse de ces documents nous a forcé à faire des choix. Nous avons choisi de consulter l’ensemble des documents de la série « Mémoires et documents » relatifs à Pomponne et d’effectuer des sondages dans la série « Correspondance politique » : ont été consultées l’ensemble des sous-séries pour l’année 1679 et la sous-série Suède de 1672 à 1679.

Aux Archives nationales, les documents du Minutier central des notaires parisiens (étude LXXV) a été notre principale source pour l’étude des réseaux sociaux et de la fortune de Pomponne. Les séries et sous-séries O1, G7, Z 1J, 557 AP, etc. ont également été utilisées.

Le département des manuscrits de la Bibliothèque nationale de France a aussi été mis à contribution : les premières missions de Simon Arnauld comme intendant d’armées ont pu être étudiées grâce aux papiers de Le Tellier ; nous avons par ailleurs consulté des papiers d’ambassadeurs et un grand nombre de manuscrits isolés (ms fr., nouv. acq. fr., Cinq-cents Colbert, mélanges de Colbert, Clairambault, collections généalogiques,…).

Les liens entre Pomponne et Louvois ont pu être mis en lumière par l’étude de la sous-série A1 du Service historique de la Défense. En revanche, le recours aux Archives départementales de la Seine-et-Marne et aux Rijksarchiev Utrecht s’est révélé décevant. Enfin, un grand nombre de bibliothèques et de services d’archives ont été fréquentés pour des documents isolés (bibliothèque de l’Assemblée nationale, bibliothèque de l’Institut, bibliothèque Mazarine, Archives départementales de l’Essonne, archives de l’Assistance publique et des Hôpitaux de Paris, etc.).


Première partie
Janséniste mondain, serviteur de Dieu et du roi
les ambiguïtés intellectuelles de Pomponne (1618-1671)


Chapitre premier
L’arrière-plan familial

L’ascension de la famille Arnauld est bien connue mais on n’en mesure pas toujours l’originalité. Les Arnauld sont originaires de Basse-Auvergne : le xvie siècle est le temps de l’ascension sociale selon un modèle classique. Finalement, Antoine Ier Arnauld s’installe à Paris à la fin du siècle : il y devient auditeur à la Chambre des comptes et procureur de Catherine de Médicis avant d’être anobli. Ses enfants font tous des carrières au plus haut niveau de l’État : Antoine II, grand-père de Simon Arnauld, est l’un des plus célèbres avocats de son temps. Mais ce sont surtout les frères de ce dernier, qui travaillent tous dans l’entourage de Sully, qui insufflent dans la famille une culture du service du roi, qui se fait encore sentir deux générations plus tard.

Robert Arnauld d’Andilly incarne l’ambiguïté qui sera celle de son fils Simon et plus globalement de toute la famille Arnauld. Il mène lui aussi une carrière de premier plan – bien qu’elle ne soit pas épargnée par des périodes difficiles – au service du roi et devient un proche de Richelieu et de la reine Anne d’Autriche. Mais en 1643, alors que Simon commence sa carrière, il décide de se retirer aux granges de Port-Royal et de devenir « Solitaire » en rejoignant plusieurs de ses cousins.

D’Andilly a cependant eu le temps de soigner l’éducation de ses enfants, particulièrement celle de Simon : le « professeur en amitié » qu’est d’Andilly présente son fils à ses amis et le fait entrer dans les salons, en particulier celui de Mme de Rambouillet. Son statut change quand son frère aîné, Antoine, dit l’abbé Arnauld, décide de se retirer du monde : en 1643, Simon Arnauld devient le chef de sa famille, ce qui ouvre pour lui de nouvelles perspectives.

Chapitre II
Au carrefour de divers réseaux sociaux

L’influence de Port-Royal sur la famille Arnauld a des conséquences contradictoires sur le réseau social de Simon Arnauld. D’une part, les liens avec le jansénisme déciment son réseau : la quasi-totalité de ses oncles et tantes se retirent du monde et ne lui offrent pas les appuis dont il pouvait avoir besoin. Il voit également ses frères et sœurs devenir religieux ou mourir jeune. Pourtant, le jansénisme permet à Pomponne de s’attirer des sympathies qui lui sont utiles dans sa carrière politique, comme celle de la duchesse de Chevreuse.

Dans tous les cas, jusqu’en 1660, Simon Arnauld ne possède pas véritablement de réseau propre : c’est toujours par l’intermédiaire de son père qu’il obtient des protections.

Son mariage lui permet d’entrer dans une nouvelle famille qui lui fournit des alliés importants. Sa femme, Catherine Ladvocat, est d’une bonne famille de robe parisienne (son frère est maître des requêtes), alliée aux Rouillé et aux Castille. Elle est surtout une cousine de la femme de Fouquet, dont Pomponne se rapproche largement, à la veille de sa disgrâce.

Pourtant, si Pomponne entretient des relations étroites avec la plupart des membres du Conseil, il ne s’insère pas dans une clientèle particulière. C’est de Michel Le Tellier qu’il est le plus proche ; Simon Arnauld le rencontre dès ses premières missions en Italie et le secrétaire d’État de la Guerre le protège tout au long de sa carrière, souvent grâce à l’entremise de Claude Le Pelletier. Cela n’empêche cependant pas Simon Arnauld de nouer des liens particuliers avec Hugues de Lionne, ami de son oncle Henri Arnauld. Il possède également le soutien de grands personnages tels que le duc de Gramont ou Turenne, qui n’hésitent pas à prendre parti pour lui.

Chapitre III
Un début de carrière difficile

Malgré l’ensemble de ces soutiens, Simon Arnauld peine à se faire une place au sein du personnel royal. Il commence d’abord une carrière d’intendant dans des places fortes comme Casal (1642-1647) et auprès d’armées. On lui confie quatre courtes missions en 1648-1649, en Italie du Nord et à Paris pendant la Fronde. En 1651, il est nommé intendant de l’armée de Catalogne. Cette dernière mission est la plus difficile car la France se trouve alors dans une situation désastreuse : les Espagnols reprennent le dessus et assiègent Barcelone tandis la Fronde fait rage. Après la disgrâce de Michel Le Tellier, son principal soutien, Simon Arnauld préfère rentrer en France.

Il est alors privé de poste pendant près de trois ans. Finalement, comme il est devenu au fil de ses missions un bon spécialiste de l’Italie du Nord, Mazarin lui confie une mission diplomatique auprès du duc de Mantoue (1654-1655). La mission réussit mais, malgré les promesses de Mazarin, Simon Arnauld se trouve encore une fois sans emploi. Sa position devient plus difficile quand Mazarin décide de lutter contre le jansénisme afin de se réconcilier avec Rome. Alors que d’Andilly tente de lui obtenir la place de chancelier du duc d’Anjou, frère du roi, le principal ministre et Anne d’Autriche s’y opposent en invoquant explicitement son appartenance à la famille Arnauld.

C’est alors que Simon Arnauld se rapproche de Fouquet, espérant profiter du soutien du puissant surintendant pour obtenir grâces et emplois. Mais ce dernier entraîne au contraire Pomponne dans sa chute, lequel est exilé à Verdun, puis à Pomponne de 1662 à 1665.


Deuxième partie
Au cœur de l’État
(1665-1699)


Chapitre premier
M. de Pomponne, ministre et secrétaire d’État de Louis XIV

Toutefois, grâce au soutien de ses amis – principalement de Le Peletier, Le Tellier et Lionne – Pomponne est rappelé et se voit même rapidement confier des emplois prestigieux : il enchaîne trois missions d’ambassadeur dans le contexte difficile de l’apparition de la Triple Alliance, destinée à s’opposer aux menées de Louis XIV. Dès décembre 1665, Pomponne est nommé à l’ambassade de Suède. Ses qualités de négociateur lui permettent de s’en tirer honnêtement. Le roi décide alors de lui confier une autre mission difficile, l’ambassade des Provinces-Unies (1669-1671) où sa mission consiste essentiellement à donner le change le temps nécessaire à Louis XIV pour préparer la guerre contre les Provinces-Unies.

Enfin, il est renvoyé une seconde fois en Suède, à la demande du grand chancelier, chef du parti français en Suède, afin que le pays abandonne la Triple Alliance et fasse revivre l’alliance traditionnelle avec la France.

À la mort d’Hugues de Lionne, Pomponne est choisi par le roi pour le remplacer, en raison de ses qualités de négociateur et des succès qu’il a connus dans les ambassades. Simon Arnauld est donc un ministre « expert », chargé d’éclairer les choix du roi au sein du Conseil, puis de les appliquer. Il fait alors figure d’homme seul au milieu des deux grands clans ministériels ; il ne doit sa place qu’au soutien du roi. Pomponne passe donc pour un homme faible au sein de ce Conseil. Négociateur en temps de guerre, son rôle est ingrat. Il doit contribuer à l’élaboration de la politique du roi au sein du conseil d’En haut, mais il y est en concurrence avec des ministres tout aussi bien informés que lui et plus influents. Pomponne passe ainsi pour l’homme de la modération en un moment où le roi décide de mener une politique agressive et n’est pas toujours écouté. Le fait que le secrétaire d’État des Affaires étrangères ne possède que peu de bureaux sous ses ordres contribue encore à en faire un ministre faible.

Chapitre II
Le chef de la diplomatie française (1672-1679)

Mais le secrétaire d’État n’agit pas seulement au sein du Conseil, afin de déterminer la politique à suivre. Il est également chargé de l’appliquer, en relation avec le personnel diplomatique. Il dirige donc des bureaux où travaille un personnel spécialisé, chargé d’expédier un certain nombre d’actes officiels. L’étude des bureaux se révèle toutefois assez difficile en l’absence d’archives qui nous renseignent sur leur organisation.

Pomponne reprend largement le personnel qui servait déjà sous Hugues de Lionne : c’est notamment le cas de deux des trois premiers commis, Louis Pachau et Jean Parayre, et de la plupart des commis simples. En revanche, il leur adjoint son ancien secrétaire d’ambassade, Pierre de Tourmont. Le statut des commis est très original au sein de l’Ancien Régime, à mi-chemin des serviteurs personnels du secrétaire d’État et de la fonction publique telle qu’elle se développera peu à peu. Les commis entretiennent de plus des liens personnels avec le secrétaire d’État et en reçoivent les grâces, si bien qu’ils peuvent connaître une remarquable ascension sociale, s’agrégeant parfois à la noblesse de robe.

Il n’existe pas encore de bureaux spécialisés au sein du département. On peut certes constater que les premiers commis se répartissent un certain nombre de tâches selon des critères géographiques (Nord pour Tourmont, Sud pour Pachau, provinces pour Parayre). Mais une étude plus fine prouve que les premiers commis déchiffrent fréquemment des dépêches et qu’un même envoyé peut recevoir des dépêches de plusieurs premiers commis. L’étude statistique des documents produits par le département des Affaires étrangères démontre que le travail n’est pas encore celui d’une administration organisée et moderne. Près de la moitié des documents expédiés sont très personnalisés et par conséquent rédigés ou dictés par Pomponne lui-même.

Ainsi, la correspondance diplomatique – bien qu’elle ne constitue qu’une faible part des prérogatives de Pomponne – est particulièrement importante. De longues heures de travail étaient sans doute nécessaires à Pomponne pour rédiger les nombreuses lettres et dépêches, car il n’y a pas qu’une correspondance diplomatique. En fait, il vaudrait mieux parler des correspondances diplomatiques, au pluriel. Les envoyés du roi ne reçoivent en effet pas moins de quatre types de lettres : les dépêches du roi (rédigées par Pomponne), les dépêches du secrétaire d’État (rédigées par Pomponne), les lettres personnelles du secrétaire d’État (par Pomponne, autographes) et les lettres des commis (autographes). Seuls les deux premiers types sont conservés dans les archives du secrétariat d’État. Si le secrétaire d’État ne détermine pas la politique étrangère du royaume à lui seul, c’est par l’intermédiaire de ses dépêches qu’elle est appliquée. Pomponne se fait donc le porte-parole des volontés du roi avec une grande fidélité, même lorsque les décisions prises au Conseil vont à l’encontre de son avis personnel. Mais le secrétaire d’État des Affaires étrangères, par nature ministre faible, perd peu à peu le soutien de son souverain et finit par être disgracié en 1679.

Chapitre III
De la disgrâce au retour en grâce
Saint-Germain – Pomponne – Versailles (1679-1699)

La disgrâce de Pomponne a été largement commentée par les contemporains. Elle constitue une surprise, source de bien des suppositions. On a soupçonné Pomponne d’avoir favorisé les jansénistes et l’on a surtout mis en cause les autres secrétaires d’État, désireux d’obtenir son poste. En fait, la disgrâce repose sur des ressorts essentiellement politiques : le roi change de secrétaire d’État en changeant de politique. C’est pourquoi Louis XIV conserve toute son amitié à Pomponne et lui accorde un certain nombre de grâces : abbaye et régiments pour ses enfants, érection de Pomponne en marquisat, invitation aux pièces de Racine, etc. : c’est bien le secrétaire d’État et non l’homme qui est disgracié. Ainsi, même s’il reste douze ans à l’écart de toute responsabilité politique, son retour n’est pas une surprise. Après les morts de Seignelay et de Louvois, le roi désire repeupler son Conseil de personnes de confiance, qui lui servent de conseillers. Pomponne retrouve le rôle d’expert qui était déjà le sien dans les années 1670 : il fait partie des nombreux conseillers du roi en matière d’Affaires étrangères, connaissant le détail des affaires grâce à sa présence au Conseil aux côtés de Colbert de Croissy, qui demeure secrétaire d’État.

À la mort de ce dernier, le roi donne à Pomponne des pouvoirs encore plus importants. Le secrétariat d’État passe alors au fils de Croissy, Colbert de Torcy, mais Louis XIV décide de confier la direction des Affaires étrangères à un duo composé de Pomponne et de Torcy. Pour cela, le roi encourage le mariage de Torcy avec Catherine-Félicité, dernière fille de Pomponne. C’est une véritable direction bicéphale qui se met en place, avec une répartition stricte des tâches. Pomponne se voit en plus confier la surintendance des postes en 1697.

Chapitre IV
Un janséniste à Versailles ?
Entre service du roi, service de Dieu et fidélité familiale

La présence d’un membre de la famille Arnauld au sein du conseil d’En haut n’a pas manqué d’étonner contemporains et historiens. Il est indéniable que Simon Arnauld est un homme à la spiritualité profonde et exigeante, qui se définit lui-même comme janséniste.

Sa proximité avec Port-Royal a été cause de rupture dans sa carrière politique, comme en 1658 quand il se voit refuser la place de chancelier de Monsieur.

Aussi, Simon Arnauld joue souvent le rôle d’intermédiaire entre le pouvoir royal et les jansénistes. C’est notamment le cas après l’arrestation de son cousin Le Maistre de Sacy, qu’il recueille à Pomponne et présente au roi ou dans l’affaire de Nordstrand où Pomponne profite de sa position pour favoriser les jansénistes français qui investissent dans cette petite île au large du Schleswig. Les interventions de Pomponne n’empêchent cependant pas les malentendus : il se trouve sans cesse pris entre deux feux, dans une position ambiguë. Antoine Arnauld, son oncle, cherche à l’entraîner dans les polémiques jansénistes en voulant lui faire jouer le rôle d’un relais de Port-Royal à la cour. C’est ce que refuse toujours Pomponne, faisant une stricte distinction entre ses pensées personnelles et son action au service du roi.

Pomponne n’est donc nullement l’homme de paille des jansénistes, ce qu’il montre à plusieurs reprises en appliquant des décisions du roi qui leur sont très défavorables. Sa position est d’autant plus ambiguë que Louis XIV l’emploie parfois lui-même comme médiateur avec les jansénistes, en dehors des missions normalement confiées au secrétaire d’État des Affaires étrangères.


Troisième partie
L’homme privé


Chapitre premier
Formation et gestion d’un patrimoine

Simon Arnauld passe pendant toute sa vie pour un homme pauvre. Le retrait du monde de son frère en 1643 fait certes de lui l’unique héritier de ses parents mais leur fortune est modeste et essentiellement immobilière.

Par conséquent, son mariage, en plus d’une belle alliance, doit lui donner des liquidités. Mais sa première disgrâce l’empêche de profiter du rapprochement avec Fouquet et, une fois rentré en grâce, Pomponne se ruine dans les ambassades du roi. Ainsi, en 1671, Le Tellier hésite à proposer Simon Arnauld pour le département des Affaires étrangères car il ne le croit pas capable de rembourser les héritiers d’Hugues de Lionne.

L’immense majorité de la fortune de Simon Arnauld provient donc du roi et a été amassée entre 1672 et 1679 : comme pour la plupart des ministres, Pomponne est entièrement tributaire de la bonne volonté de son souverain, ce qui le met dans une position de dépendance.

Ainsi, plus que sur la pauvreté de Pomponne, il convient d’insister sur le caractère tardif de sa fortune : il ne devient riche qu’à sa disgrâce, une fois que Croissy lui a remboursé son brevet de retenue. Ce qui a des conséquences sur la gestion de son argent par Pomponne : possédant peu de liquidités, Simon Arnauld se contente pendant la majeure partie de sa vie d’acheter quelques rentes, la plupart du temps à des proches. S’il touche l’essentiel de ses revenus du roi, l’achat de sa charge de secrétaire d’État est la cause d’un endettement abyssal de plus de 500 000 livres, qui réduit ses possibilités d’investissement.

Cela ne l’empêche cependant pas de prendre part à des entreprises originales, comme celle des « carrosses à cinq sols » de Pascal ou celle destinée à canaliser la Seine mais, pour importantes qu’elles soient d’un point de vue historique et social, ces opérations n’impliquent que de faibles sommes d’argent.

Sa succession se passe sans problème particulier après la mort de son épouse (1712). Le partage des biens permet d’avoir une idée de sa fortune à son décès : elle est estimée à environ 1 100 000 livres, ce qui le place dans la moyenne basse des secrétaires d’État.

Chapitre II
Les terres et le patrimoine immobilier

Le patrimoine immobilier de Simon Arnauld représente donc la plus grande part de ses richesses. Mais son importance symbolique est elle aussi très grande. Simon Arnauld obtient le domaine de Pomponne sur renonciation de son frère, à l’occasion de son mariage en 1660. Ce domaine appartenait auparavant au demi-frère de la mère de Simon Arnauld, mais il est le centre de la vie familiale depuis bien longtemps. D’Andilly y habite fréquemment et en cultive les jardins. Simon Arnauld entreprend rapidement des travaux importants, qui touchent autant le château que le parc et ses alentours, sous la conduite de François Mansart, puis de Jules Hardouin-Mansart. Il achète de nombreuses terres dans le village, des seigneuries attenantes qui sont ensuite affermées.

Pomponne a également hérité de l’hôtel Arnauld, situé rue de la Verrerie. Il le rénove et l’habite jusqu’à son exil, puis le loue pendant qu’il est retenu loin de Paris en raison de sa disgrâce ou de ses ambassades.

Cependant, son nouveau statut de secrétaire d’État l’amène en 1673 à chercher un nouvel hôtel, qui soit plus grand et situé dans un quartier plus à la mode. Son choix se porte sur l’ancien grand hôtel de L’Hôpital, renommé hôtel de Pomponne. Simon Arnauld y fait de nouveau travailler Hardouin-Mansart avant de s’y installer en 1674 : l’hôtel est conservé quand le même architecte dessine la place des Victoires dix ans plus tard.

Enfin, Pomponne profite de l’argent obtenu grâce au remboursement de sa charge de secrétaire d’État pour acheter de vastes terres en Normandie, composant la baronnie de Chambrais. Bien qu’il y construise un nouveau château, il ne faut y voir qu’un placement et le moyen de gagner en prestige.

Chapitre III
Père de famille, chef de clan ?

Pomponne est le chef de la famille Arnauld mais, en raison du retrait du monde de la plupart de ses membres, son réseau social se trouve bien limité. À la différence de certains des autres ministres de Louis XIV, Pomponne ne tente jamais de se constituer une véritable clientèle. Au contraire, son réseau est très restreint : il comprend essentiellement des hommes de la famille de sa femme (les Roque de Varengeville, les Rouillé, les Hébert de Buc, etc.) En revanche, il profite de sa place pour favoriser ses hommes, notamment les Feuquières, ses lointains cousins, dont plusieurs obtiennent des ambassades.

Sa famille est l’objet de tous ses soins, en particulier ses enfants, dont l’éducation est toujours présentée comme son premier devoir. Pourtant, les enfants de Pomponne ne se montrent pas à la hauteur des espérances que leur père avait mis en eux. La faveur de Pomponne reposant uniquement sur l’estime que lui prodiguait le roi, ses enfants peuvent la perdre aussi vite qu’il l’avait acquise. Après un passage par les armées, Nicolas-Simon achète la charge de lieutenant général d’Île-de-France et meurt dans une relative obscurité sans laisser d’héritier mâle. Antoine, remarquable militaire, meurt jeune. Enfin, le troisième fils, Henri-Charles, est un abbé de cour, un temps ambassadeur, qui joue un certain rôle sous la Régence : avec lui s’éteint en 1756 le dernier des Arnauld.

Suivant la tradition familiale, les filles sont peu mariées. Trois filles de Pomponne atteignent l’âge adulte : l’une meurt jeune ; une autre se fait religieuse ; seule la dernière, Catherine-Félicité, se marie, mais par la volonté expresse du roi, et devient marquise de Torcy.


Conclusion

Pomponne meurt regretté par le roi au terme d’une carrière traversée par biens des difficultés. Son parcours n’a rien de linéaire : Pomponne connaît successivement des périodes de grâce et de disgrâce, de gloire et d’inactivité en fonction du contexte politique et religieux du royaume. Il paraît certes un ministre faible par rapport à Colbert ou à Louvois mais ce sont plutôt ces deux hommes qui font figure d’exceptions au sein du personnel ministériel de Louis XIV : la faiblesse est largement consubstantielle à l’emploi du secrétaire d’État des Affaires étrangères, qui ne possède jamais la première place dans le gouvernement. Soumis à la volonté du roi, il doit seconder ses vues : il n’est nullement habilité à définir à lui seul la politique extérieure de la France. Dès les années 1670, Pomponne apparaît donc comme un secrétaire d’État-expert, à la manière de ceux des années 1690. Il n’est donc pas étonnant qu’il soit rappelé à la mort de Louvois : la place de ministre d’État, émettant des avis et donnant des conseils, lui convient parfaitement.

Le refus que professe Pomponne d’acheter une charge, la volonté de servir le roi en en attendant tous les bienfaits sont des héritages de son père et, au-delà, de ses oncles commis de Sully : ces idées pourraient donc paraître parfaitement anachroniques en cette fin de XVII e siècle. Pourtant, Pomponne finit par rencontrer la volonté du roi qui désire nommer des hommes qui lui doivent tout. Bien plus, par cette fidélité à une notion abstraite qui n’est déjà plus tout à fait le roi mais déjà l’État, par sa spécialisation dans le domaine de la diplomatie, par son statut d’expert, Pomponne annonce certains traits des ministres du xviiie, voire du xixe siècle.


Pièces justificatives

Édition de la correspondance complète entre Simon Arnauld de Pomponne et Robert Arnauld d’Andilly (1642-1673). — Édition des œuvres diplomatiques inédites de Pomponne (Journal de son voyage en Suède, Discours sur la Suède, Relation de sa deuxième ambassade de Suède). — Édition de correspondance, d’actes officiels, d’actes notariés. — Index des noms de lieux et de personnes des pièces justificatives.


Annexes

Photographies. —– Planches. — Reconstitutions généalogiques. — Index des noms de lieux et de personnes. — Tables.