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École des chartes » thèses » 2000

Fièvre jaune et ordre colonial au Sénégal (1850-1960)


Introduction

La production historique relative à l’histoire coloniale est caractérisée par la prédominance de certains thèmes de recherche et une absence presque symptomatique d’autres. L’histoire de la médecine coloniale est de ceux-là. Le fait que l’œuvre sanitaire ait été considérée comme un élément principal de la mission civilisatrice de la France explique en grande partie le retard de la recherche historique française dans l’étude des faits de santé dans les colonies et l’absence presque totale de nombreux thèmes pourtant abondamment développés dans les rapports et publications de l’époque coloniale et aujourd’hui présents dans la littérature anglophone récente. On note en effet dans celle-ci une floraison d’études qui proposent des approches diverses des faits de santé, et qui situent l’histoire de la maladie et des thérapies au cœur de l’histoire sociale africaine. Ces travaux constituent des remises en cause d’une historiographie coloniale qui insistait très unilatéralement sur l’œuvre des médecins et les succès de la médecine occidentale. A la fin du xixe  siècle on constate la coïncidence du développement de la médecine et d’une nouvelle forme de colonisation. Ce qui autorise certains auteurs a développer le concept d’une médecine « outil de l’impérialisme ». Dans cette perspective, il leur paraîtrait même inconcevable, qu’il s’agisse d’étudier l’histoire de la médecine ou l’histoire coloniale des xixe et xxe  siècles, d’aborder ces faits l’un sans l’autre.

S’interrogeant sur les interactions qui ont prévalu entre santé et colonisation, ces auteurs font intervenir la nouvelle médecine en tant qu’acteur primordial de l’entreprise coloniale. Mais il faut aller plus loin et avancer que la médecine n’a pas seulement été un instrument d’occupation : elle a également été un instrument de colonisation et de politique coloniale. La colonisation elle-même en tant que phénomène d’occupation de l’espace, donc mouvement humain, a été un facteur de diffusion et de confrontation avec de nouvelles maladies. Certains auteurs ayant abordé la question de la fièvre jaune expliquent son introduction en Afrique par le biais  du  commerce  triangulaire  des  esclaves entre  l’Afrique, l’Europe et l’Amérique.

Dans la période envisagée (1850-1960), la maladie se présente à l’état presque endémique. Les épidémies se succèdent et font des milliers de morts. L’avenir de la présence française au Sénégal est menacé. Les médecins représentent l’optimisme colonial au moment ou une certaine presse découragée conteste les choix de l’entreprise coloniale. Ils prennent part au combat mais certains d’entre eux mettent à profit leurs compétences scientifiques pour asseoir efficacement les débuts de l’organisation coloniale. Au Sénégal, la vanille, le coton et l’indigo sont introduits par leurs soins. Ils s’intéressent également à la gomme qui suinte de l’acacia gommier, utile en confiserie et pharmacie, dont ils ne veulent pas laisser le monopole aux Maures. Sur le plan de la recherche strictement médicale, les médecins coloniaux participent à l’assainissement des colonies.


Sources

Les sources relatives à l’histoire de la santé aux colonies sont riches et variées, mais dispersées. Il s’agit essentiellement des rapports médicaux fournis par les services de santé mais également des correspondances diverses entre les différentes administrations pendant les crises sanitaires : les services de police, les chambres de commerce, les correspondances diverses des populations adressées à l’administration, soit pour réclamer des secours soit pour se plaindre des mesures sanitaires ; les archives des institutions médicales conservées Archives nationales (Centre des archives d’outre-mer, Aix-en-Provence) dans le fonds Colonies, A.O.F., série H. On y trouve également dans la sous série 2 G les rapports périodiques de l’administration sanitaire de la colonie depuis 1895. Avant cette date les informations relatives à la santé sont à chercher dans la série B et la sous-série C6 (correspondance ministérielle au départ et à l’arrivée). Dans les archives des instituts Pasteur de Dakar et de Paris, sont conservés les rapports de fonctionnement des services spécialisés dans la lutte contre la fièvre jaune et les papiers des pastoriens eux-mêmes, dont ceux du docteur Mathis. Ont enfin été exploitées au Centre des archives d’outre-mer les archives de l’Agence économique d’outre-mer (cotées Sen XI) et à Marseille les archives du Pharo.

Les sources imprimées sont essentiellement constituées de relations de voyage contemporaines et de thèses de médecine soutenues par des médecins coloniaux.


Première partie
Colonisation et santé : A la rencontre d’un étrange univers morbide


Dans la deuxième moitié du xixe  siècle, l’opportunité de l’entreprise coloniale, du fait du coût économique et humain, ne fait pas l’unanimité au sein de l’élite métropolitaine. Certains lobbies constitués autour de l’Union coloniale et des parlementaires convaincus tels que Jules Ferry font l’éloge de la colonisation, d’autres plus sceptiques estiment que l’œuvre coloniale, minée par des mortalités continuelles, est « un vrai château de sable sur lequel on fonde des espérance chimériques ». Dans les rapports de certains médecins, parmi les colonies françaises les plus insalubres, le Sénégal semble une des plus redoutables. La mortalité moyenne est de 140 pour 1 000 de 1832 à 1837. En 1881 les garnisons françaises de Podor, de Bakel et de Kayes sur le fleuve Sénégal accusaient même une mortalité de 40 pour 100.

Chapitre premier
Les conditions générales d’hygiène

L’état sanitaire du Sénégal comme celui du reste de l’Afrique est perçu comme dangereux. Cette crainte transparaît à travers des expressions comme « le pays des fièvres », « le tombeau de l’homme blanc » ou « le rivage de la mort », qui étaient utilisées pour désigner les premières villes coloniales. Cette perception de l’Afrique comme un univers morbide est corroborée par les statistiques médicales mais également par toute une littérature produite par les explorateurs des siècles précédents, enfin par le corps médical lui même.

Parmi les facteurs explicatifs des maladies exotiques on retrouve le climat, les marécages et la conscience sociale des indigènes. Le nouvel ordre colonial, en bouleversant la société par l’introduction de l’économie monétaire et du système fiscal, a également favorisé l’émergence et la diffusion de nouvelles maladies. Celles-ci sont en effet liées à la paupérisation des campagnes ainsi qu’au développement des moyens de communication, qui ouvrent des espaces jadis relativement clos à des influences épidémiologiques profondes.

Chapitre II
La mise en place des institutions sanitaires

Face à la réputation d’insalubrité des colonies, la pacification biologique, plus que la pacification politique, était le premier préalable de toute œuvre de conquête. La protection des militaires chargés de la conquête constitue le premier souci de l’administration. La carte des institutions sanitaires du Sénégal se confond à ses débuts avec celle de la présence militaire. Celle-ci fut au fur et à mesure de l’évolution de la colonie étendue aux principaux centres économiques et administratifs. Seule la population européenne est concernée par le réseau sanitaire colonial. C’est au début du xxe  siècle qu’une nouvelle politique tournée vers la protection de la population indigène est mise sur pied. L’objectif de la politique sanitaire est de protéger la santé des indigènes pour deux raisons essentielles : la première est que ceux-ci sont considérés comme un réservoir de virus dangereux pour la santé des Européens, la seconde est que les administrateurs étaient convaincus que l’état de déficit démographique dont souffrait l’Afrique du fait des multiples maladies était préjudiciable à la mise en valeur de la l’Empire. L’objectif de la politique sanitaire se tourne alors vers une politique démographique. Il faut « faire du Noir ».


Deuxième partie
La lutte contre la fièvre jaune : La médecine au secours de la colonisation


Première préoccupation de l’administration coloniale, la lutte contre la fièvre jaune mobilise le monde médical aussi bien aux colonies qu’en métropole. Le caractère meurtrier des différentes épidémies et leurs répercussions politiques et économiques justifient cet intérêt particulier par rapport au typhus amaril. Toutefois, la politique de lutte contre la maladie ne fut pas la même à toutes les époques et elle a considérablement varié selon la politique des différents gouverneurs. Il apparaît que les rapports de pouvoir et de savoir entre médecins et administrateurs ont parfois eu des effets négatifs dans la politique de santé publique.

Chapitre premier
L’évolution des idées et des pratiques médicales

Les médecins chargés d’organiser la défense de la colonie contre la redoutable maladie n’étaient pas, du moins jusqu’à la révolution pastorienne, scientifiquement préparés à apporter des réponses satisfaisantes aux maladies particulières qui sévissaient dans les redoutables colonies françaises d’Afrique. La formation qu’ils recevaient dans les universités françaises, encore fidèle aux théories hippocratiques, se révèle impuissante devant la nosologie des côtes africaines. Il est possible de suivre à travers les différentes publications scientifiques et rapports des médecins coloniaux les différentes étapes de la constitution du savoir médical aux colonies. Dans la première moitié du xixe  siècle on recourt à des structures conceptuelles différentes du langage qu’on emploiera à la fin du siècle . Le mot clé de cette période pré-pasteurienne ou pré-microbienne est le « miasme », agent pathogène mystérieux provenant de des milieux malsains. C’est le « mauvais air », souffle que le professeur Mahé, alors professeur à l’école de médecine de Brest, fait venir des entrailles de la terre des côtes d’Afrique.

Pour pallier les insuffisances d’un enseignement théorique, les médecins de la marine se livrent à une observation minutieuse des maladies coloniales. Toutes les observations empiriques sont consignées dans les archives pour servir de référence aux jeunes médecins qui sont chargés tour à tour d’assurer la santé des troupes. L’histoire de la connaissance de la fièvre jaune est ponctuée de débats passionnés entre médecins. Les débats sur les causes de la maladie agitent le monde médical. Relève-t-elle d’un empoisonnement paludéen comme le croit Chevrin ou bien est-elle causée par un alcaloïde, comme le soutient le docteur Corre Pendant que les pastoriens défendent la théorie microbienne, un médecin cubain, Carlos Finlay, annonce en 1881 que la maladie est causée par un moustique. Cette nouvelle idée met du temps à trouver des partisans au sein des médecins coloniaux. Au Sénégal le corps médical accusent la Sierra Leone et les côtes du Brésil d’être les principaux lieux d’élaboration de la maladie. Les textes législatifs sont spécialement élaborés pour se protéger des bateaux en provenance de ces régions. La quarantaine et la désinfection des navires, jugées inutiles par les commerçants, sont la cause du divorce entre les médecins et les administrateurs des colonies. En effet, ces derniers, sous la pression des milieux d’affaires, ne suivent pas toujours les recommandations du corps médical. Certains médecins n’ont pas manqué de dresser des réquisitoires sévères à l’encontre de l’administration de la colonie à l’occasion de certaines épidémies particulièrement graves, dont celles de 1878 et 1900.

Chapitre II
Le cadre scientifique de la lutte contre la fièvre jaune : Les missions d’étude

Le dernier quart du xixe  siècle fut marqué par l’essor incontestable de la bactériologie. La nouvelle science permettait de juguler les maladies en Europe, en Amérique du Nord et au Japon. Elle se heurtait toutefois aux pathologies dites « tropicales ». Le monde médical se partageait entre tenants de la théorie microbienne et adversaires convaincus. L’application des méthodes pastoriennes sur le terrain en Afrique tropicale allait permettre de reconsidérer des « vérités » acquises ou de revenir sur des doutes bien ancrés et un scepticisme largement répandu. Plusieurs missions d’étude, les recherches de laboratoire menées par des pastoriens et le réseau des instituts Pasteur ont permis de venir à bout de la fièvre jaune. Parmi les missions d’étude on peut noter celle effectuée en 1901 au Brésil pour vérifier les découvertes de Finlay. En 1928 a lieu la conférence africaine de la fièvre jaune et en 1934 la découverte du vaccin contre la fièvre jaune par l’institut Pasteur de Dakar.

Chapitre III
La colonie : vaste laboratoire d’expérimentation

L’année 1927 constitue le point de départ d’une nouvelle étape dans la lutte contre la fièvre jaune avec l’isolement du virus du typhus amaril appelé souche de Dakar, par le professeur Sellards. Un spécimen prélevé sur un jeune Syrien atteint de la maladie en décembre 1927, le virus fut communiqué aux laboratoires de Londres, Paris, Amsterdam et Rio de Janeiro pour la fabrication du vaccin anti-amaril. Les recherches pour la mise au point d’un vaccin contre la fièvre jaune auraient pu avoir lieu en France si le docteur Roux, alors directeur de l’Institut Pasteur de Paris, n’avait craint l’expérimentation de ce vaccin vivant sur l’homme. C’est dans les laboratoires des colonies que sort le vaccin contre la fièvre jaune en 1934. Le docteur Roux interdit toute publication au cas ou le docteur Sellards et Mathis poursuivraient leurs travaux. Le directeur de l’institut Pasteur de Tunis, Charles Nicolle, de passage à Paris, propose aux deux chercheurs dépités de venir finir leurs travaux dans son institut où il leur propose du matériel humain de laboratoire, autrement dit des malades. Leur travail aboutit avec le docteur Laigret au vaccin du jaune d’œuf. Ce vaccin n’était pas sans poser de problèmes : n’étant pas encore au point, il entraînait chez les patients des réactions violentes et parfois la mort. Plusieurs personnes succombent, suscitant la méfiance des populations vis-à-vis du vaccin. En 1939, le vaccin de Laigret est amélioré par Pelletier et Durieux à l’institut Pasteur de Dakar. Au lieu d’une série de trois vaccinations, le nouveau vaccin ne nécessite qu’une seule séance. Toutefois, la population reste réticente. Des textes législatifs sont pris pour imposer la vaccination à tous les résidents de la colonie. Les habitants résistent à la médicalisation par des pratiques diverses : par la fraude, par l’absentéisme au séances de vaccination, et parfois par des moyens violents.


Troisième partie
Les conséquences socioculturelles de la fièvre jaune


Le duel singulier entre la société coloniale et la fièvre jaune est riche d’enseignements. Les problèmes de santé publique ont été d’une manière générale le lieu d’une confrontation sociale, entre plusieurs modèles interprétatifs des faits de santé ; d’où le problème de la médicalisation de la société sénégalaise. De quelle manière celle-ci a-t-elle accepté le modèle de la médecine coloniale Quel a été l’impact de la maladie dans le devenir et la construction de la société coloniale Quelles réactions a-t-elle engendré, quelles réalités matérielles ou culturelles a-t-elle mis en évidence Ces interrogations sont d’autant plus intéressantes qu’on ne peut isoler le discours médical du discours social. En effet, tout discours sur le corps et la maladie est en fin de compte un discours sur les mœurs et sur l’ordre. C’est particulièrement vrai au Sénégal, où on assiste à un conflit entre plusieurs représentations de la santé et plusieurs recours thérapeutiques possibles. Il s’agit ici d’une confrontation entre les pratiques occidentales et les pratiques africaines. En effet, les notions de santé, de vie et de mort reposent en Afrique sur des connaissances tacites, mystiques et religieuses, en opposition avec les connaissances et les pratiques occidentales. La confrontation avec la fièvre jaune, que les indigènes appellent « maladie des blancs », est un moment privilégié d’expression de ces contradictions.

Chapitre premier
La fièvre jaune et la psychologie collective

Déclinée sous quatre-vingt-dix-neuf vocables, la fièvre jaune inspire la crainte, elle est la hantise des coloniaux. Au Sénégal le monde scientifique s’accorde à trouver une origine étrangère à la maladie. Pendant l’épidémie, les services administratifs, les écoles, les hôpitaux, tout est désorganisé. A la peur physique qui provoque des mouvements de désertion, s’ajoutent les suicides des personnes atteintes par la maladie. Les informations officielles contenues dans les télégrammes sont pleines de l’angoisse et de la peur des contemporains face à ces épisodes meurtriers .

L’attitude officielle de l’administration du Sénégal a été au début de chaque épidémie de passer sous silence les cas de fièvre jaune : soit par souci de retarder l’application des mesures sanitaires préjudiciables au commerce, soit tout simplement pour ne pas aggraver l’affreuse réputation de la colonie. Ainsi dans le Moniteur du Sénégal, organe officiel d’information, en cas d’épidémie, on cesse systématiquement de publier la liste hebdomadaire des décès.

Chapitre II
Les difficultés sociologiques de la médicalisation de la société coloniale

La principale difficulté de la médecine coloniale a été de faire admettre les normes de la nouvelle médecine. Cette difficulté est à mettre en relation avec les représentations culturelles des faits de santé. Dans la société indigène, dont certaines sont islamisées, d’un côté se trouve le monde visible et palpable : les hommes, les animaux, la végétation, les reliefs, les cours d’eau et les astres ; de l’autre côté, le monde de l’invisible, c’est-à-dire des êtres surnaturels, les anciens et les revenants, les génies et les doubles des vivants qui, véritables maîtres du jeu, participent à la vie des hommes et sont très souvent accusés de provoquer des maladies. La maladie est vécue comme la manifestation d’une rupture avec les dieux ou les ancêtres et la guérison n’est possible que par la réparation de la faute commise. Dans les sociétés islamisées la maladie est considérée comme un effet de la volonté de Dieu et le fidèle vit la souffrance comme une épreuve. Il est alors logique qu’il recherche la protection et la guérison auprès de Dieu. Les feuillets de Coran sont utilisés en macération ou en talisman pour soigner le malade. Ces différentes pratiques en concurrence avec la médecine coloniale n’ont pas manqué de faire surgir des oppositions parfois violentes.

En raison du taux très élevé de la mortalité dans les structures sanitaires, particulièrement en ce qui concerne les décès dus à la fièvre jaune ou les accidents liés au début de la vaccination antiamarile, les médecins coloniaux ont parfois été soupçonnés d’euthanasie par les indigènes. C’est aussi pourquoi ceux-ci ont élaboré toute une panoplie de stratégies pour échapper aux mesures sanitaires.

Chapitre III
L’espace politique de la santé

Devant la difficulté de soumettre les indigènes et la conviction que ces derniers constituent le réservoir de virus où toutes les maladies contagieuses prenaient leur source, l’administration se résout progressivement à une politique de mise à l’écart de la population dans des quartiers interdits aux Européens et assimilés (Marocains et Syriens). Exigée par le corps médical, cette pratique ne fut pas aisée pour des raisons économiques, politiques et juridiques. Toutefois, par des règlements d’urbanisme et des mesures d’expropriation, les indigènes sont progressivement isolés dans des quartiers éloignés des centres d’habitat réservé aux Européens. A Dakar, cette politique a été la cause d’une crise politique majeure entre la population indigène Léboue et l’administration coloniale, en 1914, à la suite de l’épidémie de peste. La crise fut habilement exploitée par de nouveaux acteurs politiques indigènes, dont le député Biaise Diagne. Il ressort de cet épisode épidémique une défaillance au sein du système de gestion des épidémies. En effet, les maires des communes évitent de prendre des mesures impopulaires et rejettent sur le gouverneur général de l’A.O.F. la responsabilité des décisions relatives à l’hygiène publique.

Tirant les leçons de la crise de 1914, l’administration centrale décide une réforme administrative séparant Dakar et de la colonie du Sénégal en 1924. Cette réforme à le double avantage de mettre le chef-lieu de la fédération à l’abri des épidémies et de protéger l’économie de l’A.O.F. des mesures de quarantaine qui sont sans cesse imposées à son encontre à la suite des multiples épidémies qui s’y déclarent. En effet, en protégeant Dakar on préserve l’unique port militaire de la côte atlantique, à partir duquel toutes les transactions commerciales s’effectuent avec le reste du monde, ainsi que le nouvel aéroport. Pour répondre aux normes des organisations internationales relatives à la fièvre jaune, un certain nombre de critères devaient être remplis par la colonie, en particulier un index stégomyen inférieur à 1 %. C’est dans le cadre de cette réforme qu’un service spécial de lutte contre la fièvre jaune a été créé pour la circonscription de Dakar et dépendances. A partir de 1927 on recueille les fruits de cette politique. La fièvre jaune n’apparaît plus dans les statistiques médicales de la capitale. La maladie cesse de se manifester dans les centres urbains pour réapparaître dans les campagnes, sans toutefois mettre en péril la capitale, protégée par la vaccination.


Conclusion

L’étude de la fièvre jaune porte un éclairage singulier sur la dynamique de la médecine coloniale, son évolution, sa confrontation avec d’autres pratiques médicales. Elle permet d’appréhender des phénomènes sociaux et culturels généraux. La lutte contre la fièvre jaune a laissé sa marque dans le paysage urbain du Sénégal par la présence de bâtisses au baies grillagées, mais également par la création d’espaces résidentiels réservés. Elle a bénéficié de la création d’un réseau international de recherche qui a favorisé la découverte de moyens de prévention efficace (le vaccin). Il est à noter que l’on ne dispose toujours pas, aujourd’hui, d’un traitement de la fièvre jaune. Certains auteurs, comme Lapeysonnie, prédisent déjà, du fait de l’abandon des campagnes de vaccination de masse en Afrique, le retour des épidémies meurtrières du passé.


Pièces justificatives

Sources en langue arabe : lettre du marabout Cheikh Sidia Baba à la population de Dakar ; lettre du marabout El Hadji Malick Sy à la population de Dakar. ­ Arrêté portant mesures à prendre dans la ville de Saint-Louis lors de l’épidémie de fièvre jaune de 1881. ­ Rapport au gouverneur général de l’A.O.F. suivi d’un projet de création d’un service d’assistance médicale aux indigènes (1904). ­ Arrêté portant création d’un service d’assistance médicale aux indigènes.


Annexes

Répartition des différentes épidémies de fièvre jaune au Sénégal. ­ Carte de la presqu’île de Dakar et dépendances. ­ Modèle de maison du village de ségrégation de la Médina (Dakar) ­ Portraits de pastoriens ; Emile Marchoux (1862-1943), Constant Mathis (1871-1956), J. Laigret (1893-1966). ­ Portraits d’acteurs politiques indigènes : Biaise Diagne (1872-1922), El Hadji Malick Sy (1853-1922).