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École des chartes » thèses » 2008

Un héritage des Bonaparte : Le prix du galvanisme (1802-1815) et le prix Volta (1852-1888)

L’État et l’encouragement à la recherche sur l’électricité


Introduction

Les sociologues des sciences se sont beaucoup intéressés aux stratégies de carrière des scientifiques à l’intérieur de leur communauté, à l’époque contemporaine. Au sommet de la pyramide, ils plaçaient volontiers l’obtention du prix Nobel, suprême honneur couronnant l’ensemble des travaux d’un chercheur. Avant la fondation du prix Nobel en 1901, il y eut bien d’autres tentatives de la part de savants, d’inventeurs et de gouvernants pour tenter de stimuler la recherche, souvent dans un domaine bien précis. Celles qui nous intéressent particulièrement sont deux prix scientifiques fondés l’un par Napoléon Bonaparte en 1802, l’autre par Louis-Napoléon Bonaparte en 1852, et tous deux consacrés à des recherches sur l’électricité. On a voulu enquêter sur le sens de ces interventions de l’État en faveur de la communauté scientifique. Ce travail relève à la fois d’une histoire de la politique menée par les Bonaparte pour assurer à la France un des tout premiers rangs dans le monde, et d’une histoire sociale des sciences dans le domaine particulier de l’électricité : il se situe précisément à l’intersection de ces deux questionnements. Quoiqu’ils se limitent à l’électricité – laquelle touche de très nombreux pans du savoir et bientôt de nombreux savoir-faire industriels –, ces prix constituent un maillon dans l’organisation de la recherche du monde occidental, entre un modèle dominé par le patronage et un modèle où le relais est pris par des institutions d’État, telles que la Caisse des recherches scientifiques fondée en 1901, et surtout le Centre national de la Recherche scientifique en 1939, pour n’évoquer que le cas de la France.

S’il n’étaient pas inconnus des chercheurs en histoire des sciences, le prix du galvanisme et le prix Volta étaient jusque-là considérés comme des lubies des Bonaparte peu en prise avec la réalité de leur temps. Le faible nombre d’attributions faisait dire qu’ils avaient joué un rôle négligeable. Or tel n’est pas l’impression qui se dégage lorsque l’on jette un regard plus approfondi sur ces récompenses, bien au contraire.


Sources

Les sources du prix du galvanisme et celles du prix Volta forment deux ensembles nettement distincts, correspondant à deux logiques institutionnelles. Le prix du galvanisme étant un ancien prix de l’Institut de France, ses archives sont conservées aux Archives de l’Académie des sciences, dans une pochette de prix rassemblant des participations d’années diverses. En réalité cette pochette ne contient qu’une part infime des mémoires envoyés pour le prix, ce que révèle la consultation des Procès-verbaux de l’Académie des sciences. Les procès-verbaux permettent de reconstituer la trame des événements liés au prix : réception des mémoires, comptes rendus individuels de commissaires sur ces mémoires, constitution de la commission du galvanisme, et jugement comparatif de celle-ci sur les mémoires reçus dans l’année dans un rapport annuel. Les pochettes des séances concernées recèlent parfois des documents liés au prix, que ce soient des mémoires de participants, des comptes rendus individuels ou encore un document préparatoire au travail de la commission. Les mémoires imprimés ont quant à eux été consultés en bibliothèques. L’ensemble, complété par de nombreux journaux scientifiques ou généralistes, et des traités d’électricité, demeure très incomplet et fragmentaire. En ce qui concerne la Société galvanique, il a fallu reconstituer son histoire sans disposer de ses archives propres, à partir de mentions éparses mais nombreuses dans la littérature de l’époque.

Quant au prix Volta, qui dépendait directement du ministère de l’Instruction publique, on en trouvera la trace aux Archives nationales. Un groupe de six cartons cotés F17 3 100 à 3 104, le numéro 3 100 étant reconditionné en deux cartons 3 100 1 et 3 1002, fonctionne cette fois de manière beaucoup plus autonome grâce à une bonne gestion des archives : il livre à la fois de très nombreux mémoires de candidats au concours, la correspondance reçue et envoyée par la Division des sciences et lettres du ministère au sujet du prix, et les procès-verbaux des séances de la commission qui se trouvent ici rassemblés, si bien qu’on peut reconstituer presque toute l’histoire du prix sans convoquer d’autres sources. Cependant la presse, des dossiers de Légion d’honneur, un dossier d’ingénieur des Ponts et Chaussées, un dossier de demande de secours envoyé au ministère par Achille Brachet, candidat au prix, ont été consultés pour compléter le point de vue.


Première partie
Le prix du galvanisme (1802-1815) et la Société galvanique (1802-vers 1809) :
À la recherche du lien entre l’électricité et le vivant


Chapitre premier
Un prix fondé par le Premier Consul

Entre les travaux de Daniel Roche sur les académies provinciales françaises au siècle des Lumières, et ceux de Maurice Crosland sur l’Académie des sciences de Paris au xix e siècle et d’Elisabeth Crawford sur la fondation du prix Nobel, subsistait une période moins bien connue que l’on a tâché de décrire. La suppression des académies de France à la Révolution entraîne un bouleversement du système décrit par Daniel Roche et les années du Consulat sont à ce titre un temps de remise en ordre, où apparaissent les premières fondations de prix de l’Institut. Le prix du galvanisme en est une, qui demeurera directement liée à l’État puisque aucune somme n’est versée pour financer l’existence du prix. Les conditions nécessaires pour participer au prix sont exceptionnellement souples : le prix est ouvert à tous, quel que soit le pays d’origine, les membres de l’Institut sont autorisés à concourir, l’anonymat n’est pas requis, les mémoires imprimés sont acceptés et il n’est même pas besoin d’adresser directement une participation pour pouvoir être récompensé. Tout est mis en œuvre pour favoriser une émulation à l’échelle européenne entre les plus grands savants. Ces conditions ont été voulues pour partie par le Premier Consul, pour partie par les membres de l’Institut chargés de l’application de son projet ; elles se rapprochent de celles de la médaille Copley décernée par la Royal Society de Londres, pour une découverte physique importante, mais en diffèrent essentiellement parce qu’elles visent à orienter les recherches des savants vers un domaine précis, le galvanisme.

Le galvanisme constitue un moment très particulier dans l’histoire de l’électricité, car il correspond à une appropriation par les médecins et les chimistes d’un terrain réservé jusque-là essentiellement aux physiciens, les applications médicales étant assez contestées. Avec la confrontation des savoir-faire propres à ces diverses manières d’aborder les expériences sur la matière minérale ou organique, les conditions sont donc favorables à l’éclosion de toutes sortes de découvertes, et de batailles scientifiques ; c’est à l’intérieur de ce champ disputé que compte intervenir Bonaparte.

Chapitre II
Traces écrites du fonctionnement du prix

Après avoir décrit les épisodes de la fondation du prix, il fallait porter un regard neuf sur ses archives, très peu examinées jusque-là. Reconstituer la liste de toutes les participations s’est révélé bien plus difficile qu’il n’y semblait, et l’on est parvenu à en distinguer quatre-vingt-seize, en quatorze ans. La pochette du prix ne contient plus que dix-neuf candidatures, émanant essentiellement de personnages marginaux. En revanche, les Procès-verbaux montrent que presque toute la communauté scientifique européenne intéressée par le sujet s’est prise au jeu. Aux quatre-vingt-seize mémoires correspondent soixante-dix personnages au profil et aux opinions très diverses. On a tenté de rendre compte de cette diversité en étudiant une petite dizaine de mémoires. Le travail de la commission sur les mémoires est assez délicat à reconstituer ; il s’appuie en partie sur un ensemble de comptes rendus individuels, mais une grande marge de liberté subsiste : l’attribution du prix à Gay-Lussac et Thenard est à peine justifiée et on ignore pour quelle découverte les deux chimistes français sont récompensés.

Chapitre III
Vers une hiérarchie de la communauté galvanique : recherches prosopographiques

En allant au-delà des archives générées par l’existence du prix, le chapitre III vise à saisir l’impact du prix sur la société, et particulièrement sur la communauté scientifique. On a ainsi pu mettre en évidence l’énorme publicité dont avait bénéficié le prix et le crédit qu’il avait auprès des savants. À tenter d’identifier les participants au prix, on s’est aperçu qu’un nombre significatif d’entre eux appartenait à une société savante spécialisée, la Société galvanique. Fondée peu après le prix du galvanisme, celle-ci s’était fixé pour but de contribuer au prix et de mettre en place de meilleures applications médicales de l’électricité. On avait donc affaire à une voie parallèle imaginée par des galvanistes pour faire progresser ce champ de la connaissance. Dotée d’un véritable laboratoire et d’un organe, le Journal de galvanisme et de vaccine, la Société joua un rôle considérable dans la constitution d’un groupe de médecins, de physiciens et de chimistes français travaillant sur le galvanisme. Après s’être constitué un réseau à l’échelle de l’Europe entière et jusqu’aux États-Unis, la Société devint un lieu renommé pour ses expertises, du fait de l’excellente qualité de son matériel. Le gouvernement la soutenait manifestement, au moins par l’intermédiaire de Cambacérès, Second Consul puis archichancelier d’Empire, et de nombreux sénateurs, parmi lesquels deux frères de Napoléon. Plusieurs membres de l’Institut, Hallé, Fourcroy et Laplace, en furent membres : avec les participants, on parvient à un total de 20 % d’acteurs du prix dont l’histoire est liée à celle de la Société. Ainsi, on a montré que Bonaparte encourageait efficacement les développements du galvanisme tout en les contrôlant, grâce à Laplace qui joue un rôle clé à la fois dans la commission, dont il est membre de 1802 à 1814, et au sein de la Société galvanique. Une autre figure majeure émerge grâce notamment au prix du galvanisme : c’est Gay-Lussac, qui devient en peu de temps l’expert du domaine ; il est l’ami du premier récipiendaire, Erman, membre de l’Académie des sciences de Berlin, en 1806, le rival de Davy, deuxième récipiendaire en 1807, et reçoit finalement avec Thenard le prix du galvanisme en 1809. Il est aussi le seul participant au prix à avoir été élu membre de la commission du galvanisme. On assiste donc à un phénomène de stratification de la communauté scientifique, au moins en France, dans le domaine du galvanisme, phénomène orchestré semble-t-il par Laplace pour Napoléon. Intervention du gouvernement et patronage génèrent diverses créations d’institutions souples comme un prix scientifique et une société savante spécialisée afin d’assurer une normalisation du discours scientifique. Cependant ni les uns ni les autres ne peuvent empêcher la permanence de traditions d’écriture scientifique beaucoup plus personnelles, de la part de personnages qui connaissent parfois un certain succès et méritent une place dans l’histoire de la constitution des savoirs liés à l’électricité.


Deuxième partie
Le prix pour l’application la plus utile de la pile de Volta, ou prix Volta (1852-1888) :
Faire entrer l’électricité dans l’espace industriel


Chapitre premier
Retour au prestige napoléonien

Dans un contexte scientifique et technique profondément renouvelé, Louis-Napoléon Bonaparte, président de la République, prend la décision, le 17 février 1852, de fonder un prix de 50 000 francs destiné à l’application la plus utile de la pile de Volta, ouvert aux savants du monde entier, durant une période de cinq ans. Cet acte se fait en référence au grand prix du galvanisme fondé par son oncle. Il s’agissait de déterminer le véritable sens de cette fondation. On a ainsi pu mettre en évidence le goût sincère de Louis-Napoléon, ses aptitudes en matière d’électricité, puisqu’il envoie à l’Académie des sciences en 1843, durant sa captivité au fort de Ham, un mémoire remarqué sur l’électricité voltaïque. De même, la fondation est essentielle pour comprendre le programme du chef d’État, qui se réclame de plus en plus, durant la Seconde République, de l’héritage politique de son oncle. Cependant on a montré que l’intervention de Louis-Napoléon Bonaparte a une dimension sociale, conforme à ses idéaux socialistes, qui était absente du projet de Napoléon. Celle-ci est rendue possible par l’avancement de la recherche, qui commence à faire entrer massivement l’électricité dans l’industrie, afin de diminuer les coûts de production notamment.

Chapitre II
Candidats et commissions

Le chapitre II s’attache à dénombrer et décrire la population des acteurs du prix Volta. On a dépouillé les archives du prix en vue d’établir la liste complète des candidats au prix, durant les cinq concours. Le prix connaît un succès massif : on compte 236 candidats, tous concours confondus. On constate au cours du temps un élargissement du public visé par le prix : ce n’est plus seulement l’Europe, comme au temps du prix du galvanisme, mais aussi l’Amérique qui espère un encouragement de la part du gouvernement français : les candidats viennent des États-Unis, du Canada et même d’Uruguay pour l’un d’entre eux. De nombreuses professions sont également représentées, mais une catégorie nouvelle émerge, celle des électriciens. Quant à la commission chargée d’attribuer le prix, elle est quasiment exclusivement composée de membres de l’Institut, mais aussi de spécialistes extérieurs, ingénieurs des Ponts et Chaussées, membres de sociétés savantes, etc. On a pu observer qu’outre son rôle comme groupe de spécialistes reconnus de l’électricité, la commission devient, lorsque l’existence du prix est menacée, un véritable groupe de pression afin d’assurer l’ouverture d’un nouveau concours. Le président de la commission, Jean-Baptiste Dumas, use de toute son autorité pour obtenir que le concours soit maintenu sous la Troisième République. On lui doit donc le succès du prix dans les années 1880, consacré par deux attributions et la candidature de quatre-vingt personnes lors du dernier concours.

Chapitre III
Le prix Volta dans la société

Oublié aujourd’hui, le prix Volta connut un grand succès à l’époque de son existence, ce dont témoigne son succès dans la presse. Cependant ses attributions furent parfois contestées, de la part de Français jaloux de voir le prix réservé à des étrangers. Bien souvent, les Français doivent chercher ailleurs des récompenses pour rendre leurs inventions visibles et espérer des applications industrielles pour leurs procédés. Aussi pour beaucoup, les expositions universelles et leurs nombreuses médailles sont d’une échelle plus adaptée, de même que les prix de la Société d’encouragement pour l’industrie nationale, cette dernière étant un espace où membres de la commission et candidats au prix d’origine française se côtoient particulièrement. Le concours du prix Volta n’est plus ouvert après 1888, sans doute à cause de la préparation de l’exposition universelle du Bicentenaire, qui occupe de nombreux acteurs du prix. Dans les années 1880, l’électricité conquiert définitivement l’industrie, grâce à la dynamo de Gramme notamment. Bientôt, elle entrera même dans l’univers domestique. Forts de ce succès, les électriciens accèdent à la reconnaissance au niveau international, se donnent des normes lors du congrès international de 1881, se constituent en syndicats. Désormais l’avenir de la profession est garanti, le prix Volta n’est sans doute plus aussi nécessaire, et la contestation de son attribution à Gramme en 1888 dut décourager les commissaires de poursuivre leurs travaux. Toutefois, d’anciens candidats malheureux fonderont des prix de l’Institut récompensant des recherches sur l’électricité, preuve de la pertinence que garde ce type d’encouragement à une échelle plus modeste.


Conclusion

Le prix du galvanisme et le prix Volta, fondés par de véritables amateurs d’électricité, s’intègrent chacun dans la politique menée en faveur des sciences par les membres de la dynastie Bonaparte. Elles sont des créations institutionnelles souples, reposant sur la bonne volonté des acteurs de la communauté scientifique au sens large, mais qui tentent d’imposer une direction à leurs recherches grâce à la promesse d’une récompense, et au-delà, d’une reconnaissance. D’autres types d’encouragements, sociétés savantes, expositions nationales ou internationales, bénéficient également du soutien du gouvernement et viennent compléter le dispositif, le régime impérial s’appuyant sur l’idée de progrès et sur une intervention directe dans de nombreux domaines. L’électricité fournit durant tout le siècle un véritable défi technologique, elle qui relève d’abord du cabinet de physique, puis du laboratoire, de l’atelier, de l’usine, voire des édifices publics : un terrain particulièrement favorable pour une politique de prestige, permettant de hâter le développement des applications industrielles. L’initiative des Bonaparte rencontre le désir de toute une communauté, très hétérogène, d’être reconnue et encouragée, pour mieux se constituer en profession : le corps des électriciens. Au-delà du faible nombre d’attributions des prix, le nombre important de participations est le signe d’un succès tout à fait probant. Le prix du galvanisme et le prix Volta forment donc des pages importantes dans l’histoire de l’électricité, non seulement en France, mais dans le monde, tout comme ils constituent un moment important pour saisir l’articulation entre sciences, techniques et politique en France à l’époque contemporaine.


Annexes

Chronique du prix du galvanisme d’après les procès-verbaux de la première classe de l’Institut. Édition de huit mémoires manuscrits envoyés pour le prix du galvanisme, d’un pli anciennement cacheté et d’un document de travail de la commission. Extraits du Moniteur universel concernant le prix du galvanisme et la Société galvanique de Paris.   Inventaire détaillé pièce à pièce du fonds du prix Volta (6 cartons). Édition des procès-verbaux des séances de la commission du prix Volta. Base de données biographiques à l’adresse Internet http://sciencesrevolution.univ-paris1.fr/prixvolta/ , regroupant membres de la commission et candidats au prix du galvanisme et au prix Volta, ainsi que membres de la Société galvanique (445 personnages).