Germain Louis Chauvelin (1685-1762), ministre de Louis XV
Introduction
Germain Louis Chauvelin fut le seul ministre de l’Ancien Régime à occuper simultanément les charges de garde des sceaux et de secrétaire d’Etat des Affaires étrangères de 1727 à 1737. D’autres circonstances particulières marquèrent son passage au sommet de l’Etat. Qualifié de “ sous-ministre ” par le marquis d’Argenson, Chauvelin eut à vivre la situation, rare sous l’Ancien Régime, de ministre sous un principal ministre : en effet, le cardinal de Fleury fut principal ministre de fait depuis 1726 et le resta jusqu’à sa mort en 1743. Chauvelin exerça par ailleurs les fonctions de garde des sceaux, en même temps que d’Aguesseau était chancelier.
Sources
Les archives de la chancellerie ayant en grande partie disparu, on a surtout exploité les ressources des Archives du ministère des Affaires étrangères : la série des “ Mémoires et Documents France ” contient la correspondance reçue de Fleury et Chauvelin sur de nombreuses affaires intérieures. En dehors de la correspondance politique conservée au Quai d’Orsay, les lettres de la main de Chauvelin sont rares. Le minutier central des notaires parisiens conservé au Centre historique des Archives nationales (plus particulièrement les minutes des notaires Tessier et Duval : étude LXXXVII), une vingtaine de cartons cotés T 247 contenant les papiers, confisqués à la Révolution, d’Anne Sabine de La Rochefoucauld, fille de Germain Louis Chauvelin, le cabinet des titres de la Bibliothèque nationale de France et le carton 79 J 85 des Archives départementales de l’Essonne ainsi que de nombreux documents de la série A de ce même dépôt, ont permis de reconstituer l’histoire de la famille Chauvelin et de la fortune de Germain Louis en particulier. Il reste en revanche très peu d’archives chez les descendants du ministre.
Première partieLa carrière de Chauvelin
Chapitre premierLes Chauvelin
Les Chauvelin avant Chauvelin. Au xvie siècle, les Chauvelin sont une famille d’avocats au Parlement, installée à Paris vers 1530. Les Chauvelin restent attachés jusqu’à la fin du xviie siècle au quartier de la place Maubert : la plupart habitent rue Saint-Victor, rue des Bernardins ou quai de la Tournelle. En 1606, ils établissent une fondation chez les Carmes pour un caveau familial. Le début du xviie siècle voit la subdivision de la famille en six branches : celles de Garencières, Luzeret, Richemont et Beauregard s’orientent vers les carrières militaires, alors que la branche de Crisenoy se tourne vers le monde de l’office.
La branche de Crisenoy. L’ascension de la branche de Crisenoy est due à deux éléments : l’alliance avec la finance et l’entrée dans le clan Le Tellier. Le 21 juin 1641, Louis II Chauvelin épouse Claude Bonneau, fille de Thomas Bonneau, qui exerça un contrôle absolu sur la ferme générale des gabelles de 1632 à 1655 ; elle lui apporte 150 000 livres de dot. Louis IV et Germain Louis Chauvelin épouseront à leur tour des femmes apparentées à des financiers (1705 et 1718). Le mariage de Claude Chauvelin avec Michel Le Tellier fait par ailleurs entrer les Chauvelin au service du chancelier, puis de son fils Louvois, qui les nomment intendants : Louis II est intendant d’armée en Piémont, Louis III en Franche-Comté (1673-1684) et en Picardie (1684-1694). Louis III Chauvelin eut de Marguerite Billard six enfants : Louis IV, Germain Louis, et quatre filles dont l’une épouse Claude de Bissy, neveu du cardinal du même nom, et deux entrent à la Visitation-Sainte-Marie à Paris.
Chapitre IILes premières armes (1706-1727)
Les premières charges. Le 1er novembre 1706, Germain Louis Chauvelin est pourvu des offices conjoints de conseiller au Grand Conseil et de grand rapporteur et correcteur des lettres de chancellerie, achetés à Le Menestrel de Marcilly. Comme tel, il assiste à “ l’audience du sceau ”. Le 31 mai 1711, il obtient une charge de maître des requêtes. Jusqu’à la fin du règne de Louis XIV, Chauvelin reste dans l’ombre de son frère aîné, Louis, quatrième du nom. Pourvu de l’office d’avocat général au parlement de Paris depuis le 7 décembre 1709, ce dernier est le principal appui du pouvoir royal au Parlement et travaille seul à seul avec le roi. Il meurt prématurément le 2 août 1715.
L’entrée au Parlement. Après la mort de son frère, Chauvelin récupère l’office d’avocat général. Trois ans plus tard, en 1718, il rachète la charge de président à mortier de Le Bailleul. La même année, il épouse une riche héritière orléanaise, Anne Cahouet de Beauvais, fille du premier président du bureau des finances de la généralité d’Orléans. Les parents de son épouse sont issus de deux familles, Cahouet et Fontaine, qui contrôlent le bureau des finances et le bailliage d’Orléans. Chauvelin met à profit le temps de la Régence pour entrer dans la clientèle de puissants personnages. Il dispose de deux alliés dans les conseils, le marquis de Beringhen et le maréchal d’Huxelles, qui préside le conseil des affaires étrangères et entre au conseil de Régence en 1718 ; tous deux étaient des anciens du clan Louvois dont faisaient aussi partie les Chauvelin. La mort du Régent fait manquer à Chauvelin une occasion de devenir premier président du parlement de Paris. Huxelles présente alors Chauvelin au cardinal de Fleury.
Chapitre IIILe ministère (1727-1737)
La nomination de Chauvelin (août 1727). Pendant la première moitié de l’année 1727, Chauvelin travaille dans l’ombre pour le cardinal : il régide des instructions secrètes à l’ambassadeur d’Espagne, Rottembourg, et une lettre d’ultimatum à l’Empereur Charles VI. Le rappel du chancelier d’Aguesseau le détermine la démission du garde des sceaux Fleuriau d’Armenonville le 14 août 1727. Le 17 août, Chauvelin reçoit les sceaux et, le lendemain, Fleuriau de Morville abandonne la place de secrétaire d’Etat des affaires étrangères, qui est aussitôt attribuée à Chauvelin.
Le réseau de Chauvelin. Chauvelin assure sa position à la cour par un important réseau de protecteurs et de fidèles. Il entre dans la clientèle des Bourbon-Condé, des Carignan, princes de Savoie, et de la comtesse de Verrue, mère de la princesse de Savoie. Il a le soutien du maréchal de La Fare, dans l’armée, et trouve un allié en la personne de Bachelier, premier valet de chambre du roi. Il se constitue un réseau de fidèles, au premier rang desquels figurent Louis V Chauvelin, son neveu, et Jacques Bernard Chauvelin de Beauséjour, son cousin, qu’il emploiera successivement à la direction de la Librairie.
Deuxième partieLe ministère de Chauvelin
Chapitre premierUn ministre au travail
Formation et méthodes de travail. Chauvelin étudia l’histoire des relations internationales dans les papiers cédés par le président de Harlay et fut instruit dans le détail par le maréchal d’Huxelles. Son passage au Parlement et sa participation aux conférences organisées par le chancelier de Pontchartrain pour les libraires et imprimeurs lui tinrent lieu de formation pour l’emploi de garde des sceaux. Dès le début de son ministère, Chauvelin employa comme premier secrétaire, l’avocat au Parlement, Matthieu Augeard, rejeton d’une famille de la bourgeoisie tourangelle qui donnera des fermiers généraux à la génération suivante. Parallèlement à ses bureaux, Chauvelin recourrait aux services de personnages employés temporairement, comme le marquis d’Argenson et Luc Courchetet d’Esnans en 1732.
Un exemple : le dépôt des Affaires étrangères. Le dépôt des archives des Affaires étrangères avait été constitué par Colbert de Torcy en 1711 au Louvre. Il fut dirigé de cette date à 1725 par le premier commis, Louis Nicolas Le Dran, que Chauvelin rappela en 1730. Il était encore peu étoffé quand Chauvelin y fit entrer, par achat, les papiers des comtes d’Avaux, de Mazarin, de Law et de Loménie de Brienne. Son action pour collecter les papiers des agents de la monarchie dès leur fin d’activité est moins connue et constitue une étape importante de la distinction entre papiers publics et papiers privés. Chauvelin encouragea les ambassadeurs à déposer leurs papiers à leur retour.
Chapitre IIChauvelin, garde des sceaux
La charge de garde des sceaux. Chauvelin exerça la charge de garde des sceaux sans que le chancelier soit exilé ou indisposé. Le 2 septembre 1727, le roi établit un partage des attributions entre le chancelier et le garde des sceaux. D’Aguesseau conservait la présidence des conseils, la représentation du roi auprès du Parlement ; Chauvelin reçut les affaires de la Librairie et la présidence du Sceau. Cette répartition assurait à Chauvelin un rôle politique à travers la censure des ouvrages de controverse autour de la bulle Unigenitus et un revenu important avec le droit du sceau. Chauvelin et d’Aguesseau signèrent conjointement les arrêts du Conseil.
L’action de Chauvelin comme garde des sceaux. Chauvelin nomma à la tête de la Librairie son neveu Louis V Chauvelin, puis son cousin Jacques Bernard Chauvelin de Beauséjour, enfin Louis Antoine Rouillé en 1732. Chauvelin intervint parfois directement dans l’octroi ou non de privilège à un ouvrage. La politique générale de la Librairie fut fortement influencée par des préoccupations commerciales : la création de la permission tacite d’imprimer en est une preuve. De l’action de Chauvelin dans les autres domaines qui lui étaient réservés, il ne reste que quelques traces, qui concernent notamment les petites chancelleries.
Chapitre IIIChauvelin, ministre
Chauvelin et Fleury. Au début de son ministère, Chauvelin assura qu’il n’avait pas d’autres idées que celles de Fleury. Au cours du conflit qui opposa le pouvoir royal et le Parlement pendant l’année 1732, Chauvelin inspira fortement la politique du cardinal de Fleury, notamment la déclaration du 18 août. Le 1er avril 1732, le Cardinal choisit Chauvelin pour le soulager dans sa tâche : il pourra assister au travail du roi et du Cardinal et prendre la place de ce dernier en cas d’indisposition. Les relations entre les deux hommes ne s’altérèrent que tardivement quand le Cardinal envisagea le rapprochement diplomatique avec l’Autriche.
Chauvelin et les autres ministres. Les contemporains virent en Chauvelin un “ nouveau Louvois ”, avide de centraliser la plupart des décisions et d’empiéter sur les compétences de ses confrères. En réalité, tout comme Louvois, Chauvelin eut probablement l’intention d’y parvenir mais ne réalisa jamais vraiment ses ambitions. La confiance que Fleury lui accordait indisposait toutefois les secrétaries d’Etat. Il contribua à la chute du contrôleur général Le Peletier des Forts en 1730 et inspira la recréation du conseil de commerce par un règlement du 29 mai 1730. Il avait rédigé un projet de création d’un cinquième secrétariat d’Etat issu du démembrement du contrôle général qui ne fut jamais mis à exécution. La maladie du secrétaire d’Etat de la guerre, Bauyn d’Angervilliers, permit à Chauvelin de s’ingérer dans les affaires militaires ; à partir de 1736, il prit en main la réforme de l’armée après la guerre de Succession de Pologne.
Chapitre IVLa disgrâce et l’exil
La disgrâce. Le 21 février 1737, Chauvelin est renvoyé : il est conduit à son château de Grosbois, puis à Bourges le 6 juin suivant. Il tente de se rapprocher du roi à la mort de Fleury en janvier 1743 mais subit une seconde disgrâce et est exilé à Issoire, puis à Riom. Il put rentrer à Paris en avril 1746 grâce à l’intercession du marquis d’Argenson et de Maurepas et grâce à l’action de sa famille qui n’avait pas été touchée par la disgrâce du ministre. Il n’intervint plus dans la vie politique jusqu’à sa mort en 1762.
Les Chauvelin après Chauvelin. Le fils unique de Germain Louis mourut en 1750 au cours d’un duel ; il n’avait pas contracté d’alliance. Ses trois filles furent mariées à des représentants des familles Colbert de Maulévrier, Chamillart de La Suze et La Rochefoucauld-Surgères, soit des familles de robe ministérielle ou de noblesse d’épée prestigieuse. La branche de Beauséjour imita un siècle plus tard l’ascension des Chauvelin de Crisenoy, pratiquant aussi l’alliance avec la finance : le premier des trois neveux de Chauvelin fuit intendant de province puis des finances, le second conseiller clerc au parlement de Paris et le troisième lieutenant général des armées du roi, ambassadeur et enfin maître de la garde-robe du roi.
Troisième partieLa fortune de Chauvelin
Chapitre premierLa constitution de la fortune de Chauvelin
La base de la fortune de Chauvelin repose sur des successions, celles de ses parents et de sa tante, Marthe Billard, épouse de Jérôme Bignon, en 1746. La majeure partie des apports vint de sa femme, Anne Cahouet de Beauvais, dont la dot était constituée des biens issus des successions de son grand-père Antoine Fontaine, de sa tante, la présidente d’Aligre, et de sa mère ; elle s’élevait à plus de 400 000 livres. Par la suite, elle hérita de sa tante, Espérance de Mesgrigny en 1730, de son grand-oncle, Nicolas Fontaine en 1732 et de son oncle, Charles Fontaine, évêque de Nevers, en 1740. En 1718, Chauvelin rend l’office d’avocat général 450 000 livres et achète celui de président à mortier 650 000 livres ; il obtient un brevet de 400 000 livres sur sa charge de secrétaire d’Etat. Chacune des trois filles des époux Chauvelin reçut 300 000 livres de dot. En 1751, le bien des Chauvelin s’élevait à 3 134 834 livres de capital, dont 1 536 000 livres de biens fonciers.
Chapitre IILa politique foncière de Chauvelin
Ampleur et diversité des biens fonciers de Chauvelin. Le patrimoine foncier de Chauvelin repose sur trois grands ensembles : les seigneuries de Venisy, Turny, Linan, Boulant, données entre vifs par la comtesse de Chemerault en 1729 ; celle de Grosbois achetée les 7 et 8 mars 1731 à Samuel Jacques Bernard pour 400 000 livres et celle de Brie-Comte-Robert, démembrée du domaine royal et acquise en mars 1734 pour plus de 200 000 livres. Chauvelin bénéficia de la faveur royale qui lui accorda l’érection de Grosbois en marquisat en 1734, la distraction de la capitainerie de Corbeil la même année et la création de foires et de marchés dans le bourg de Yerres en 1750. Pendant toute la durée de son ministère, Chauvelin agrandit son domaine à raison d’un ou deux contrats par an, privilégiant l’échange de terres avec les seigneurs voisins.
Organisation et exploitation. Chauvelin eut plusieurs hommes d’affaires dont les plus importants furent deux avocats au Parlement, Armand François Callet, puis Joseph Chambosse qui s’occupa des biens de Chauvelin entre 1748 et 1762. Chauvelin se montra très attentif à la conservation de ses droits seigneuriaux et féodaux : il fit recenser plusieurs fois son terrier et entra en contestation avec les seigneurs voisins, Paris de Montmartel, Le Normand d’Etiolles, Charle Vintimille du Luc et Raymond de La Grange. Chauvelin pratiquait de manière classique l’affermage de ses terres. Grosbois était avant tout un vaste domaine forestier dans lequel il faisait régulièrement des coupes.
Chapitre IIICadre de vie
Les demeures de Chauvelin. Chauvelin abandonna l’hôtel de la rue de Richelieu pour le faubourg Saint-Germain où il vécut successivement rue des Saints-Pères, de l’Université et de Varenne. A la campagne, le ministre résidait au château de Grosbois, situé sur la route royale de Troyes ; il l’avait fréquenté du temps des Harlay. L’absence d’inventaire après décès ne permet pas de mesurer les changements que Chauvelin apporta à la décoration du château. Il le modernisa en installant un cabinet de bains.
La bibliothèque et la collection de tableaux. Chauvelin possédait une bibliothèque de près de 3 000 volumes selon son catalogue de vente. Elle semble être une bibliothèque de savoir et de références bien plus qu’un objet de bibliophilie ; elle compte très peu d’éditions rares ou anciennes. Quoique très équilibrée, elle compte une part plus importante d’ouvrages d’histoire. Chauvelin avait constitué une collection de tableaux, dont la pièce maîtresse était une œuvre de Raphaël. Les peintres les plus représentés, originaux, copies ou gravures, sont Raphaël, Philippe de Champaigne et Watteau. La collection est assortie de nombreuses estampes, reflet du goût de l’époque, parmi lesquelles on remarque le fameux recueil Jullienne de l’œuvre de Watteau. On trouve aussi des cartes manuscrites et imprimées. Livres et tableaux furent vendus à la mort de Chauvelin en 1762.
Pièces justificatives
Contrat de mariage (12 janvier 1718). Edit de création de la charge de garde des sceaux de France (août 1727). Règlement d’attributions du chancelier et du garde des sceaux (2 septembre 1727). Lettres patentes d’érection de la terre de Grosbois en marquisat (mars 1734). Lettre de Fleury à Chauvelin (21 février 1737). Testaments (1756, 1760 et 1761). Catalogue des tableaux et estampes (1762).
Annexes
Généalogies.