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École des chartes » thèses » 2004

Les services d’Alsace-Lorraine face à la réintégration des départements de l’Est (1914-1919)


Introduction

L’administration d’Alsace-Lorraine constitue un exemple significatif d’institution administrative née des besoins de la Grande Guerre. Dès 1914 se pose cette question centrale : comment réintroduire une culture et des usages français dans une province qui, pendant un demi-siècle, a évolué dans un cadre politique et juridique différent ? L’histoire des services administratifs d’Alsace-Lorraine représente une tranche d’histoire alsacienne et lorraine à un moment où le destin national de cette région d’Europe n’est pas arrêté. Elle offre un observatoire privilégié pour l’étude de la question d’Alsace-Lorraine et du point de vue français sur cette question. Il convient par ailleurs de retracer la genèse et l’organisation de cette administration, pour mettre en valeur les hommes et les références idéologiques dans lesquelles s’inscrit leur action, mais également la perception qu’en ont ses administrés alsaciens-lorrains ainsi que l’opinion française. Les institutions mises en place à partir de 1914 ont-elles réalisé la mission qui leur a été impartie : mener à bien la réintégration des provinces perdues ? Déterminer la responsabilité des hommes, des structures, des événements et des idées permet d’apprécier la part des erreurs administratives dans la montée du malaise alsacien au printemps 1919.


Sources

L’une des particularités du sujet tient à la très grande dispersion des sources se rapportant aux différentes administrations d’Alsace-Lorraine. Cette dispersion n’est elle-même que le reflet du caractère “ exubérant ” et transitoire de l’organisation administrative mise en place durant la guerre et au lendemain de l’Armistice. Le fonds AJ30 (Administration de l’Alsace-Lorraine) conservé au Centre historique des Archives nationales constitue le principal fonds documentaire pour cette étude. Les fonds conservés aux Archives départementales du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle en constituent le complément essentiel. Il s’agit des fonds des trois Commissariats de la République (Strasbourg, Colmar et Metz), et en particulier de la série 121 AL des Archives du Bas-Rhin (Commissariat général de la République). Les Archives du ministère des Affaires étrangères ont par ailleurs fourni d’appréciables compléments d’informations, notamment la série Z (sous-série Alsace-Lorraine), tout comme le Service historique de l’Armée de Terre. Les séries administratives des Archives municipales de Strasbourg, Metz, Colmar et Mulhouse ont été mises à contribution, apportant un éclairage local sur la question, de même que les archives de la Société industrielle de Mulhouse conservées au Centre d’études rhénan d’archives économiques. La consultation de fonds privés (fonds Millerand, Jeanneney, Wetterlé, Peirotes) a permis d’offrir le regard particulier d’un acteur, un point de vue plus personnel et engagé que celui du fonctionnaire. Enfin, les publications des services d’Alsace-Lorraine, la presse d’opinion contemporaine des événements, ainsi que divers ouvrages anciens à caractère de source ont été exploités.


Première partie
Préparer la réintégration des provinces perdues : des institutions de préfiguration (1915-1918)


Chapitre premier
La mise en place des premières institutions consacrées à l’Alsace-Lorraine

La Mission militaire administrative et la Conférence d’Alsace-Lorraine. Dès l’instant où la guerre est déclarée, l’Alsace-Lorraine devient le but de guerre primordial de la France. L’administration des vallées de la Thur et de la Doller, sous occupation française, est confiée à l’armée : on constitue à cet effet une Mission militaire administrative en Alsace, qui s’attache à franciser la population tout en se montrant attentive à ne pas froisser le particularisme local. La Conférence d’Alsace-Lorraine, mise en place en février 1915 et présidée par Louis Barthou, est chargée d’étudier l’ensemble des problèmes administratifs, religieux et scolaires que posera le rattachement de l’Alsace-Lorraine à la France et fait un certain nombre de propositions sous forme de vœux, qui doivent orienter l’action du gouvernement.

Première organisation des services d’Alsace-Lorraine. Les services d’Alsace-Lorraine font l’objet d’une première organisation au cours de l’été 1917. Après la chute du cabinet Briand, l’échec de l’offensive Nivelle et la nomination de Philippe Pétain au commandement des armées du Nord-Est, on assiste à un recentrage de l’intérêt du gouvernement sur l’Alsace-Lorraine. Un décret du 5 juin 1917 place l’administration d’Alsace-Lorraine sous l’autorité directe du ministre de la Guerre, et un Service d’Alsace-Lorraine doit fournir à la Conférence d’Alsace-Lorraine une documentation et des éléments de travail. Un décret du 15 septembre 1918 réorganise l’administration d’Alsace-Lorraine, en fusionnant les divers services existant tant au ministère de la Guerre qu’au ministère de l’Intérieur en un Service général d’Alsace-Lorraine, sous l’autorité de la Présidence du Conseil. Par ailleurs, dès 1914, des comités privés se penchent sur la question d’Alsace-Lorraine, en particulier sur ses aspects industriels et douaniers, et collaborent étroitement avec les services administratifs.

Chapitre 2
Réflexion et préfiguration : questions d’organisation administrative et de législation

Organisation administrative. Tout en posant que “ l’administration de l’Alsace-Lorraine ne devra pas, dans l’avenir, former une exception au régime général de la France ”, un rapport d’Anselme Laugel réclame le maintien des limites administratives en place et la nomination d’un Commissaire général de la République chargé de coordonner les relations entre les préfets et le pouvoir central. Les débats portent sur la question des fonctionnaires et la Conférence d’Alsace suggère de licencier tous les fonctionnaires d’Alsace-Lorraine, pour ne réinvestir que ceux qui présenteront des garanties suffisantes.

Législation. La Conférence d’Alsace-Lorraine propose le maintien provisoire dans les pays reconquis des lois et des institutions locales, auxquelles on ne pourrait substituer immédiatement des lois ou des institutions françaises. On prévoit la reconnaissance de la nationalité française à tous les Alsaciens-Lorrains descendants des annexés de 1870, tout en prévoyant la possibilité de naturalisation pour les Allemands d’origine.

Chapitre 3
La Conférence et le Service d’Alsace-Lorraine face aux questions économiques et financières

Questions économiques. Les hommes d’affaires français sont conscients des perturbations considérables que la concurrence des industries alsaciennes provoquera sur le marché intérieur, en particulier pour l’industrie sidérurgique ou textile. C’est pourquoi la section d’études des questions économiques prévoit la mise en place d’un régime douanier transitoire avec l’Allemagne, qui permettra à l’Alsace d’écouler une partie de sa production outre-Rhin. A la suite d’un rapport de Félix Binder sur la potasse d’Alsace, la Conférence d’Alsace-Lorraine adopte des conclusions qui prévoient le séquestre des mines allemandes et leur concession à des sociétés minières. Des travaux de régularisation du Rhin en amont de Strasbourg sont annoncés, destinés à rendre le fleuve navigable jusqu’à Bâle. Il est prévu le maintien du système d’assurance maladie tel qu’il est organisé par la loi allemande du 19 juillet 1911.

Questions financières. La section d’études des questions financières est chargée de la réflexion sur l’ensemble des problèmes financiers, monétaires et fiscaux que posera le retour des provinces perdues. L’introduction du système fiscal français devra tenir compte de l’existence d’un certain nombre d’impôts spéciaux (privilège des bouilleurs de cru, régime des pharmacies et des bureaux de tabac). L’État français prendra à sa charge le budget d’Alsace-Lorraine, excepté les dettes contractées pour des dépenses incombant à l’Empire allemand.

Chapitre 4
Les questions culturelles et religieuses

L’enseignement en Alsace. La Conférence et les sections d’études abordent la question de l’organisation universitaire et scolaire. Le débat est vif entre Alsaciens-Lorrains sur la question de l’enseignement primaire. La Conférence d’Alsace-Lorraine vote néanmoins un texte prévoyant l’application en Alsace-Lorraine des lois françaises sur l’organisation, la gratuité, l’obligation et la laïcité de l’enseignement primaire.

Diffusion de la langue française. L’école française se verra investie d’une mission de francisation : cours du soir, séances de cinéma et pièces de théâtre diffuseront largement la langue française et contribueront à sa bonne prononciation. Les débats portent sur la méthode d’enseignement : méthode indirecte qui part de la connaissance de la langue allemande ou du dialecte pour l’apprentissage du français, ou méthode directe qui consiste à faire penser l’enfant dans la langue qu’il parle, en évitant les traductions.

L’université de Strasbourg. La Conférence d’Alsace-Lorraine prévoit le maintien à Strasbourg d’une importante université, permettant à la culture française de rayonner dans le monde germanique et jusqu’en Europe centrale. A l’initiative de l’abbé Wetterlé, la Conférence d’Alsace-Lorraine se prononce en faveur du maintien de la faculté de théologie protestante, et de la suppression de la faculté de théologie catholique, souhaitée par une partie du clergé alsacien. La Bibliothèque du pays et de l’université (Landesbibliothek) sera conservée comme bibliothèque universitaire, et continuera à être dotée des mêmes crédits qu’au temps allemand.

Monuments historiques et Beaux-Arts. Une sous-commission aux Monuments historiques et aux Beaux-Arts est instituée le 23 février 1916, qui propose l’application à l’Alsace-Lorraine de la législation française.

Le statut des cultes. La question du statut religieux de l’Alsace-Lorraine fait l’objet de plusieurs débats et de rapports de l’abbé Wetterlé, Daniel Blumenthal et François de Wendel. Ce dernier se prononce en faveur d’un régime de séparation amendé sur plusieurs points, en particulier sur la question des associations cultuelles. La Conférence d’Alsace-Lorraine prévoit l’introduction de la loi de séparation des Églises et de l’État, tout en prévoyant d’éventuelles négociations avec le Saint-Siège.

Chapitre 5
Les organes spécialisés

Le bureau spécial d’études d’Alsace-Lorraine. C’est pour lutter contre une image de l’Alsace-Lorraine qui se dégrade que le Service géographique de l’armée crée en 1917 un Bureau d’études d’Alsace-Lorraine, chargé de mener une propagande active destinée tant à relancer l’idée de l’Alsace française qu’à convaincre la population civile de la justesse de la cause pour laquelle les poilus combattent. Ce service organise des conférences, édite des brochures, des tracts et des articles de journaux sur la question d’Alsace-Lorraine ; par ses tournées de conférences, il participe à la lutte engagée à partir de 1917 contre “ la crise du moral ”. Il est présent dans les régions gagnées par le “ défaitisme ” et agit en particulier auprès des milieux pacifistes. Les thèmes de cette propagande, définis dans un rapport de 1917, sont très caractéristiques des préjugés et de la méconnaissance de la situation réelle en Alsace-Lorraine. Cet effort de propagande permet de relancer l’idée de l’Alsace française au moment où les Allemands évoquent la possibilité de faire évoluer le statut du Reichsland vers l’autonomie. Il s’inscrit dans le cadre de la réorganisation des organes de propagande français et de la mise en place du Commissariat général de l’information et de la propagande confié à Antony Klobukowsky.

La commission interministérielle de classement. Sur une double décision des ministres de l’Intérieur et de la Guerre, une Commission des Alsaciens-Lorrains, présidée par Charles Blanc et Alfred Kastler, est chargée d’inspecter les camps de prisonniers alsaciens-lorrains. La Commission interministérielle fait aussi campagne contre l’insulte “ boche ” qui sévit dans les campagnes françaises. Elle est à l’origine des commissions de triage chargées d’identifier les Alsaciens-Lorrains, dont elle désigne les premiers membres.

Le service de renseignements de Réchésy. En 1914, à la demande de Clemenceau, Pierre Bucher crée sur la ligne de front le centre de renseignement militaire de Réchésy, chargé de renseigner le Grand Quartier général sur l’état moral et économique de l’adversaire.


Deuxième partie
Le retour des “ chères provinces ” (novembre 1918 ­ mars 1919)


Chapitre premier
La France s’établit en Alsace-Lorraine : la “ constitution de novembre ”

L’installation des administrations françaises. Le 15 novembre 1918 un décret confie l’administration préfectorale à trois Commissaires de la République résidant à Metz, Colmar et Strasbourg, ce dernier assurant en même temps, avec le titre de Haut-Commissaire, le fonctionnement des services communs. Jules Jeanneney fait le choix d’envoyer à Metz et à Strasbourg un membre de sa famille et un ami, deux radicaux-socialistes patriotes, à qui il assigne pour objectif le rétablissement de la République et le retour au statut départemental. Dès le 15 septembre 1918, on crée un Service général d’Alsace et de Lorraine auprès de la Présidence du Conseil, placé sous l’autorité du sous-secrétaire d’État à la Présidence du Conseil et qui reçoit son organisation définitive par décret du 26 novembre. Les différents services sont organisés au fur et à mesure des disponibilités de personnel et placés sous la direction d’inspecteurs généraux représentant leur département ministériel. Ce sont les tendances centralisatrices qui l’emportent : le Haut-Commissaire, Georges Maringer, n’est qu’un agent de transmission entre les commissaires et le sous-secrétaire d’État. La première préoccupation de Maringer, à son arrivée en Alsace, est de sectionner les différentes institutions centrales en trois administrations départementales. Le congédiement des fonctionnaires allemands, ajouté au non-remplacement des officiers démobilisés, conduit au printemps 1919 à une pénurie grave de personnel d’encadrement. Il faut faire appel à de nombreux fonctionnaires français, mais leur manque de pratique de l’allemand et surtout les primes auxquelles ils peuvent prétendre suscitent la critique. Des conflits d’attributions surgissent entre les autorités civiles et militaires.

Les administrations de souveraineté : justice et police ; l’administration communale. Un décret du 6 décembre réorganise la justice, et le 3 février a lieu la séance de rentrée solennelle de la Cour d’appel de Colmar. La police française participe largement aux campagnes d’expulsions de début 1919. Cependant, ses effectifs sont insuffisants pour tenir tête à l’agitation sociale et aux pressions de la rue, en particulier dans les grandes villes et les centres ouvriers. Chargés de l’administration communale, les Commissaires de la République procèdent à la dissolution d’un certain nombre de conseils municipaux.

L’administration française face au Conseil national. Inquiet des difficultés croissantes, de la pagaille administrative et de la vague de délation, le Conseil national discute un projet de mémorandum préparé par le chanoine Delsor. Adopté à l’unanimité, le mémorandum, qui conteste le régime étroitement centralisé qui se met en place en Alsace, est adressé à Clemenceau par l’intermédiaire de Maringer. La réponse de Clemenceau, datée du 14 janvier 1919, est une fin de non recevoir.

Chapitre 2
Classement, expulsions et commissions de triage : l’épuration en Alsace-Lorraine

Le classement de la population. Dès l’entrée des troupes françaises en Alsace, les mairies reçoivent pour consignes de délivrer des cartes d’identité répartissant la population en quatre catégories, sur des critères héréditaires. Si la distribution ne pose pas de difficultés majeures à la campagne, elle soulève des problèmes insurmontables dans les agglomérations, où la mixité est plus importante.

L’expulsion des Allemands. L’épuration, qui débute dès novembre 1918, frappe en premier lieu les représentants du pouvoir impérial et du pouvoir militaire : fonctionnaires d’Empire, responsables des administrations impériales, membres des bureaux militaires, universitaires, mais aussi employés et ouvriers, qui sont contraints de quitter l’Alsace-Lorraine. Ces expulsions ont souvent lieu dans des conditions pénibles, à tel point qu’Alexandre Millerand prend le 11 mai un arrêté qui crée les commissions spéciales d’examen.

Les commissions de triage. Les commissions de triage sont chargées de l’examen individuel des Alsaciens-Lorrains signalés pour leurs sentiments germanophiles, leurs propos ou leur attitude pendant la guerre. Ce sont les armées d’occupation qui organisent le premier acte de l’épuration, mais à partir du mois de décembre, les Commissaires de la République suivent de près les travaux des commissions de triage. Des décisions gouvernementales interviennent en janvier 1919, qui clarifient la situation et précisent les attributions du pouvoir civil. Au printemps 1919, l’administration doit faire face aux critiques de l’opinion : on reproche aux commissions de triage l’arbitraire des procédures et la gravité des peines infligées aux Alsaciens.

Chapitre 3
Réorienter les échanges économiques

Problèmes financiers. Un arrêté du 26 novembre 1919 fixe le taux de change du mark à 1 franc 25. Cette mesure inflationniste contribue en fait à accentuer les contrastes sociaux, à ralentir la reprise industrielle et à renchérir le coût de la vie. Un arrêté interministériel du 1er février organise les services financiers, qui ont pour mission la gestion de la réforme monétaire, mais aussi l’ensemble des questions touchant à la fiscalité, aux douanes et aux manufactures de l’État.

L’agriculture et les Eaux-et-Forêts. L’administration française subventionne l’agriculture pour donner aux cultivateurs dépourvus de ressources les moyens de procéder aux ensemencements. Le service des Eaux-et-Forêts prend en main la conservation et l’exploitation du domaine forestier.

L’administration face à la reprise des échanges commerciaux. L’administration française crée pour faciliter la reprise des relations commerciales une direction du Commerce et de l’Industrie. Un arrêté du 16 février autorise les chambres de commerce d’Alsace et de Lorraine à se constituer en Comptoir des chambres de commerce d’Alsace-Lorraine, intermédiaire obligatoire entre les commerçants et industriels d’Alsace et de Lorraine et les pays ennemis non occupés. L’annonce de la réforme Clémentel sur les régions économiques suscite l’intérêt des milieux commerciaux alsaciens et lorrains pour le régionalisme économique. Dès le 30 novembre, un décret soustrait l’Alsace-Lorraine à l’espace économique allemand, et interdit toute relation commerciale avec l’Allemagne. Une Commission des dérogations est instituée, chargée de fixer les principes généraux en matière d’autorisations d’expéditions de marchandises en provenance de la rive droite du Rhin.

Le service industriel d’Alsace-Lorraine. Le 26 novembre 1918, un service industriel voit le jour, chargé de coopérer aux efforts individuels des divers industriels pour activer la reprise de la vie économique des provinces libérées. La mise sous séquestre des usines allemandes doit empêcher que l’activité économique des provinces délivrées puisse servir les intérêts ennemis. Des inspecteurs du travail sont adjoints aux trois détachements du service industriel.

Le service des Mines. Le service des Charbons. Le service des Mines organise la mise sous séquestre des mines appartenant à des Allemands et remplace les directeurs et ingénieurs de ces établissements par des Alsaciens. Les autorités organisent un service des Charbons, qui intervient pour la fixation du contingent et le contrôle des attributions de charbon.

Chapitre 4
Transports et moyens de communication en Alsace et en Lorraine reconquises

Travaux publics et voirie. Le service des Ponts-et-Chaussées a recours aux chômeurs, aux soldats et aux prisonniers de guerre alsaciens-lorrains pour remettre en état les routes endommagées au cours du conflit, mais aussi pour améliorer le réseau des chemins militaires créés par les armées belligérantes dans les Hautes-Vosges.

Les chemins de fer d’Alsace-Lorraine. En décembre 1918, la Commission des chemins de fer de campagne prend place dans les bureaux de la Kaiserlicheà Strasbourg. La question du statut définitif du réseau suscite bien des débats : si les chambres de commerce haut-rhinoises, ainsi que le Conseil supérieur d’Alsace-Lorraine préconisent le rattachement à la Compagnie de l’Est, les syndicats de cheminots et la chambre de commerce de Strasbourg sont favorables à l’autonomie du réseau. L’administration française reprend à son compte les projets de percées des Vosges et une commission est mise en place, chargée de définir le tracé des lignes à établir.

Navigation et port de Strasbourg. Conformément aux souhaits de la Conférence d’Alsace-Lorraine et des industriels alsaciens, le gouvernement français adopte au lendemain de l’Armistice une politique rhénane ambitieuse. L’organisation de la Compagnie strasbourgeoise de navigation permet de limiter le recours aux compagnies allemandes pour l’approvisionnement en matières premières de l’industrie alsacienne.

La poste en Alsace-Lorraine reconquise. A la signature de l’Armistice, les services postaux en Alsace-Lorraine sont à peu près désorganisés, mais le retour des facteurs licenciés par l’armée allemande permet de reprendre dès la fin de décembre 1918 un service normal. L’administration française s’efforce de créer des communications télégraphiques directes entre les principaux centres industriels et commerciaux et le reste de la France.

Chapitre 5
L’administration française face aux problèmes sociaux

Le retour en Alsace-Lorraine des réfugiés, prisonniers de guerre et démobilisés de l’armée allemande. Une commission des réfugiés est mise en place au Commissariat de la République de Haute-Alsace, dirigée par le chanoine Muller ; elle est chargée d’organiser le retour des évacués des vallées de la Thur et de la Doller. Une décision de Jules Jeanneney prévoit le rapatriement des Alsaciens-Lorrains prisonniers de guerre de l’armée française, et le maintien en Alsace-Lorraine des démobilisés de l’armée allemande.

Dommages de guerre et reconstruction des régions dévastées. Les Commissaires de la République sont chargés de la mise en place de commissions d’évaluation et d’indemnisation des dommages de guerre à rembourser par l’Allemagne après la paix. Le Génie militaire emploie près de 7000 ouvriers pour la reconstruction des villages détruits par les opérations militaires. Des consortiums de communes sont organisés, qui traitent avec les syndicats d’entrepreneurs chargés des travaux.

Le ravitaillement civil. Un office du Ravitaillement trouve sa place dès le 17 novembre dans les cadres du Service général d’Alsace-Lorraine. En dépit de l’amélioration progressive des rations individuelles, la cherté des vivres empêche l’approvisionnement normal de la population en denrées, et ces difficultés affectent tout particulièrement les ouvriers.

L’administration face aux conflits sociaux. Les houillères de Lorraine, mais aussi l’industrie mulhousienne et les filatures de la vallée de Thann sont confrontées à une série importante de conflits sociaux, qui débutent dès la fin du mois de novembre 1918. Cette situation est aggravée par le fait que des soldats de l’armée allemande démobilisés et des ouvriers russes employés dans les mines véhiculent des idées révolutionnaires. En se montrant attentifs aux revendications des grévistes et en s’appuyant sur les syndicats modérés locaux, les autorités administratives désamorcent par avance toute dérive révolutionnaire.

Les services du Travail et de la Prévoyance sociale. Ces services, constitués dès novembre 1918, comportent les attributions suivantes : la réglementation et l’inspection du travail ; la prévoyance et l’hygiène sociale ; les assurances sociales et l’office de statistique d’Alsace-Lorraine. Le 15 mars 1919, un arrêté de Clemenceau institue à Strasbourg un Service général des assurances sociales d’Alsace et de Lorraine exerçant les fonctions de l’Office impérial d’assurance, en application de la législation locale.

Les services de l’hygiène et de l’Assistance publique. Les services d’hygiène sont organisés dès novembre 1918 et se heurtent surtout à la carence de personnel médical dans les hôpitaux.

Chapitre 6
“ Faites-leur aimer la France ” : questions culturelles et religieuses

L’enseignement primaire et secondaire. L’administration de l’Instruction publique adopte une politique visant à franciser le plus rapidement possible l’Alsace, en plaçant aux postes de commandes des fonctionnaires français, à charge pour eux d’encadrer étroitement les exécutants. La réorganisation du personnel enseignant suscite de nombreuses inquiétudes auprès des enseignants du cadre local.

Le problème linguistique. L’introduction du français comme langue de l’administration pose des problèmes délicats, pour les fonctionnaires alsaciens comme pour le public, qui se trouve brusquement en contact avec une administration qui ne comprend pas sa langue. Les instituteurs venant de l’intérieur se servent de la langue française au titre de la “ méthode directe ”, à tel point que l’opinion s’inquiète et que des incidents se produisent, comme à Erching en Lorraine, où la population demande le départ de l’instituteur.

Statut des cultes et école confessionnelle. Les services d’Alsace-Lorraine se préoccupent de la réorganisation des différents cultes, en accord avec la législation concordataire en vigueur dans les provinces de l’Est. Les catholiques s’inquiètent de mesures qu’ils perçoivent comme un démantèlement progressif de l’école confessionnelle. L’administration redoute quant à elle le magistère moral, voire l’influence politique exercée par le clergé catholique dans les campagnes alsaciennes.

L’université. L’université de Strasbourg est également réorganisée : l’administration française élimine le personnel allemand et cherche à recréer une vie universitaire française en rassemblant les étudiants autour d’un enseignement renouvelé.

L’action culturelle française. Pour diffuser la langue française et faire connaître la France aux Alsaciens, les autorités développent les cours d’adultes, mais se servent aussi du théâtre comme du cinéma. Des tournées cinématographiques sont organisées dans les campagnes.

Le patrimoine historique et documentaire. Un architecte en chef du gouvernement est délégué pour l’inspection générale des bâtiments civils et des monuments historiques d’Alsace-Lorraine, ainsi que des archivistes placés à la tête des trois dépôts départementaux.

Chapitre 7
Les signes du malaise alsacien et la réorganisation de l’administration d’Alsace-Lorraine

La reconstitution des partis et l’évolution de l’opinion. Au printemps 1919, l’administration française doit faire face à la reprise de la vie politique dans les provinces recouvrées. La presse, la correspondance échangée par les Alsaciens comme les rapports administratifs témoignent du mécontentement de l’opinion face à la désorganisation administrative.

Solution de la crise administrative. De multiples interventions auprès de Poincaré font ressortir les inconvénients et les dangers de la politique centralisatrice de Jules Jeanneney. Ces informations sur le malaise grandissant sont confirmées par les membres alsaciens et lorrains du Conseil supérieur d’Alsace et de Lorraine, qui se réunit pour la première fois le 25 février 1919 à Paris : le maire de Metz, Victor Prével, y demande le transfert à Strasbourg du siège du gouvernement d’Alsace-Lorraine.

Mise en place du Commissariat général de la République. Début mars 1919, le bruit court que Georges Clemenceau va confier à Charles Jonnart, gouverneur général d’Algérie, le Haut-Commissariat d’Alsace-Lorraine. Les exigences et les atermoiements de Jonnart font que c’est finalement Millerand qui est retenu. Dès son arrivée à Strasbourg, le Commissaire général promulgue une ordonnance qui réorganise l’administration régionale en dix directions, qui sont de véritables petits ministères. Après la tentative de centralisation et de “ départementalisation ” de Jeanneney, le gouvernement, s’inspirant très largement des suggestions de la Conférence d’Alsace-Lorraine, crée à Strasbourg un organe central d’administration.


Conclusion

L’échec du “ système Jeanneney est d’abord la faillite d’une équipe mise en place dans les semaines qui ont précédé la signature de l’armistice du 11 novembre 1918. La nécessité de réorganiser l’administration des provinces libérées cinq mois à peine après leur libération révèle l’improvisation, l’impéritie, la méconnaissance du terrain par les fonctionnaires français mais aussi la radicalisation des politiques mises en œuvre. Sur l’ensemble de la période étudiée, on peut distinguer deux manières d’appréhender la réassimilation de l’Alsace-Lorraine, qui traduisent deux visions de la République et de l’unité de l’État. L’administration Jeanneney-Maringer puise ses références idéologiques dans un radicalisme laïque et étroitement jacobin. Les Alsaciens et les Lorrains, pour avoir réservé un accueil triomphal aux Français, n’en sont pas moins restés attachés à leur particularisme. La reprise en mains de l’administration d’Alsace-Lorraine au printemps 1919 s’inscrit dans une politique plus vaste menée par le gouvernement français. La France dispose désormais d’un atout déterminant pour la mise en œuvre de sa politique rhénane et la nomination d’Alexandre Millerand, respectueux du particularisme, contribue à améliorer l’image de l’administration française aux yeux des populations de la rive gauche du Rhin. Les questions administratives tiennent une place importante dans les propositions avancées par les régionalistes dès 1919, en écho aux vœux formulés par certains membres de la Conférence d’Alsace-Lorraine. La réintégration des départements de l’Est représente-t-elle une première étape pour une réforme plus profonde de l’organisation administrative de la France ? Différentes propositions de réforme administrative seront soumises au Parlement au cours des années 1920.


Annexes

Notices biographiques des membres de la Conférence d’Alsace-Lorraine. ­ Membres de la Conférence d’Alsace-Lorraine, des sections d’études du Service d’Alsace-Lorraine (ministère de la Guerre) et du Conseil supérieur d’Alsace-Lorraine. ­ Organigrammes des services d’Alsace-Lorraine.


Pièces justificatives

Tracts de propagande française et programmes de conférences du Bureau spécial d’études d’Alsace-Lorraine (1917-1918). ­ Programme de travail des sections d’études établies auprès du Service d’Alsace-Lorraine. ­ Décrets du 15 septembre 1918 et du 15 novembre 1918. ­ Rapports administratifs.


Iconographie

Photographies de Strasbourg au cours de l’hiver 1918-1919 (Archives municipales de Strasbourg, fonds Blumer). ­ Photographies de la visite présidentielle à Metz et Strasbourg (décembre 1918). ­ Reproduction d’affiches.