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École des chartes » thèses » 2004

Les saluts du Saint-Sacrement. Liturgie et musique en France (1600-1774)


Introduction

Exercices de dévotion comprenant des chants en présence du Saint-Sacrement exposé, les saluts du Saint-Sacrement n’apparaissent pas en France sous leur forme moderne avant le début du xviie siècle. Emblématiques du grand essor de la piété eucharistique qui fait suite au concile de Trente, ils rencontrent un succès et une diffusion considérable qui en font une des cérémonies les plus importantes de la vie religieuse des Français sous l’Ancien Régime. Desservis par le discrédit dont souffre la liturgie post-tridentine auprès des historiens, les saluts du Saint-Sacrement n’ont jamais fait l’objet d’études spécifiques. L’intérêt pour la cérémonie se borne à la question de ses origines médiévales, sujet abondamment traité à partir de la fin du xixe siècle. Dans les années 1920, les travaux du P. Browe en Allemagne et d’Édouard Dumoutet en France apportent des réponses définitives à cette question. L’étude entreprise ici envisage les saluts du Saint-Sacrement, du début du xviie siècle à la mort de Louis XV, dans le cadre de la France actuelle. Le cas des paroisses et des couvents parisiens ainsi que de la Chapelle royale font cependant l’objet de la majeure partie du travail. Celui-ci aborde tout particulièrement trois points principaux. Il s’agit de reconstituer le déroulement de la cérémonie, de délimiter son répertoire et de la replacer dans le paysage dévotionnel de l’époque moderne. Il devient ainsi possible d’expliquer les raisons du succès durable des saluts du Saint-Sacrement.


Sources

Pour une étude historique, religieuse et musicale des saluts du Saint-Sacrement, il convient de multiplier et de confronter des types de sources très différents. Les sources manuscrites consultées sont issues pour la plupart de fonds d’archives et de bibliothèques parisiennes. Au Centre historique des Archives nationales, le dépouillement des registres de la série LL (monuments ecclésiastiques) a été particulièrement fructueux pour l’étude des paroisses et des couvents parisiens. Les collections musicales manuscrites du département de la musique de la Bibliothèque nationale de France, ainsi que de la bibliothèque municipale de Versailles, ont également été exploitées. Les sources imprimées sont d’une grande diversité. On peut distinguer les sources liturgiques et normatives, constituées essentiellement de cérémonials, de rituels, de processionnaux, de statuts synodaux ou de mandements épiscopaux, et les sources musicales, composées des partitions des motets des différents compositeurs. Enfin, de nombreuses autres sources imprimées ont été exploitées, aussi bien traités d’érudition ecclésiastique, mémoires et journaux que biographies de dévots célèbres, almanachs, récits de voyages ou martyrologes de paroisses.


Première partie
La diffusion des saluts (1600 ­ vers 1670)


Chapitre premier
Origine des saluts et des dévotions eucharistiques

Les origines médiévales des saluts du Saint-Sacrement sont complexes. Jusqu’au xviie siècle, les différentes parties constitutives de la cérémonie existent sans être réunies. Liée à la diffusion de la célébration de la Fête-Dieu, l’exposition du Saint-Sacrement date du xive siècle et est une des nombreuses manifestations du “ désir de voir l’hostie ” qui caractérise la fin du Moyen-Âge. La bénédiction du Saint-Sacrement apparaît à la même époque, également en lien avec la Fête-Dieu. Les premiers saluts, datant du xvie siècle, ne comportent pas encore ces deux éléments : ce sont des cérémonies du soir en l’honneur de la Vierge. La fusion entre ces différentes parties a lieu sous l’effet du renouveau eucharistique consécutif au concile de Trente qui voit se multiplier de nouvelles cérémonies d’exposition du Saint-Sacrement comme les prières des Quarante-heures et l’Adoration perpétuelle. Le matériel eucharistique lui-même évolue : alors que le tabernacle à la romaine tend à remplacer la suspense eucharistique, l’ostensoir, vase liturgique apparu au xive siècle, prend de plus en plus souvent la forme caractéristique du soleil.

Chapitre II
Norme et rituel

Les livres liturgiques et les décrets romains n’imposent pas de norme pour le déroulement des saluts du Saint-Sacrement. Ils donnent cependant de nombreuses règles concernant l’exposition et la bénédiction du Saint-Sacrement. En France, les cérémonials et les rituels intègrent souvent un développement sur les saluts. Leur étude permet de définir un certain nombre de modèles de saluts du Saint-Sacrement. Le déroulement, la durée et les chants qui les composent varient considérablement en fonction des lieux. On en célèbre partout à la Fête-Dieu et durant son Octave, ainsi que lors des prières des Quarante-heures.

Chapitre III
Diffusion à Paris et en France

L’étude de quelques cas précis, tels que les paroisses parisiennes de Saint-Sulpice et de Saint-Jacques-de-la-Boucherie, permet de montrer qu’en dépit de rythmes différents de diffusion des saluts du Saint-Sacrement, ceux-ci prennent au cours du XVII e siècle une importance fondamentale dans la vie religieuse des paroisses et des couvents, surtout dans les villes. Ils tiennent une place considérable dans l’emploi du temps des organistes. Les confréries du Saint-Sacrement jouent un rôle primordial dans cette diffusion. À la Chapelle royale, on commence à en célébrer pour la Fête-Dieu et son Octave à partir des années 1630. Les saluts du Saint-Sacrement sont des cérémonies particulièrement adaptées à la musique et leur succès contribue certainement à l’essor du motet français. Les motets du Saint-Sacrement connaissent ainsi une grande diffusion. Les couvents de religieuses semblent avoir joué un rôle essentiel dans ce mouvement. Pour les nombreux saluts qui y sont célébrés, il est besoin d’un nouveau répertoire adapté aux capacités techniques des chanteuses : les petits motets remplissent ce rôle.


Deuxième partie
Fastes et polémiques (vers 1670 ­ vers 1720)


Chapitre premier
Réticences et polémiques

La multiplication des expositions du Saint-Sacrement suscite de fréquentes oppositions de la part de certains évêques et de nombreux ecclésiastiques. Le principal détracteur de ces pratiques, le curé Jean-Baptiste Thiers, s’indigne des nombreux abus qui y sont liés. Jansénistes et gallicans partagent largement ces idées dont l’influence se fait largement sentir dans nombre de diocèses. La virulence de cette réaction témoigne cependant du succès que remportent alors les cérémonies d’exposition du Saint-Sacrement.

Chapitre II
Norme et réalité

À la fin du xviie siècle et au début du siècle suivant, la diffusion des saluts se poursuit largement, notamment dans les campagnes. Les sources normatives concernant la cérémonie se diversifient. Le répertoire des saluts s’élargit considérablement. Adapté aux saluts intimistes des couvents, le petit motet connaît alors son âge d’or. On peut retenir en particulier les compositions de Guillaume-Gabriel Nivers pour les saluts du couvent des bénédictines de l’adoration perpétuelle et de la Maison royale de Saint-Cyr. Lors des grands saluts solennels célébrés pour les grandes fêtes ou les occasions exceptionnelles, on exécute également des grands motets et des Te Deum. En certaines églises, les saluts prennent un caractère nettement mondain. Chez les Théatins du couvent parisien, les saluts de la composition de Paolo Lorenzani suscitent même le scandale à la fin du siècle. Un concert de reproches s’élève contre ces cérémonies jugées trop proches des fastes de l’opéra.

Chapitre III
Les saluts à la Chapelle royale

À Versailles, la communauté des Lazaristes qui dessert le château est chargée de la célébration des nombreux saluts chantés en plain-chant. Lors de la Fête-Dieu et de son Octave, les musiciens de la Chapelle-Musique du roi se joignent à eux et exécutent au cours de chaque salut quelques versets d’un grand motet composé par le sous-maître de quartier sur le texte d’un hymne du Saint-Sacrement. Louis XIV assiste très régulièrement aux saluts du Saint-Sacrement célébrés à la Chapelle, en présence d’un public de cour nombreux et désireux d’être vu du roi.


Troisième partie
Liturgie et concert (vers 1720 ­ 1774)


Chapitre premier
Continuités et changements

Au cours du xviiie siècle, malgré la poursuite de la diversification des sources normatives concernant les saluts, le déroulement de la cérémonie n’évolue guère et connaît toujours la même diversité. Les querelles autour de l’exposition fréquente semblent s’apaiser. Les paroisses parisiennes connaissent des difficultés financières qui engendrent de nombreuses réductions de fondations. Faisant l’objet de moins en moins de fondations de la part des fidèles, les saluts continuent pourtant d’être célébrés au frais des fabriques et des confréries des églises.

Chapitre II
Musique religieuse, musique de concert

A la suite du mouvement amorcé à la fin du xviie siècle, la musique religieuse se sécularise largement au cours du xviiie siècle. L’épisode parisien de la Régence, qui met à la disposition du public la Chapelle-Musique au cours des nombreux saluts auxquels assiste le jeune Louis XV, joue certainement un rôle dans cette évolution. La création en 1725 du Concert Spirituel accentue encore la faveur auprès du public de la musique religieuse qui se rapproche alors de la musique de concert. Cependant, un répertoire spécifique aux saluts se maintient, destiné avant tout aux couvents de religieuses. À Saint-Cyr par exemple, Nicolas Clérambault ajoute ses compositions à celles de Nivers.

Chapitre III
La Chapelle royale sous Louis XV

À Versailles, Louis XV et Marie Leckzinska se montrent aussi assidus aux saluts que Louis XIV. Si les Lazaristes continuent de les célébrer durant l’année, les musiciens de la Chapelle-Musique y interviennent de plus en plus souvent, aussi bien pour la Fête-Dieu que lors des grandes fêtes ou pour chanter le Te Deum. Pour la Fête-Dieu et son Octave, les sous-maîtres continuent de composer des grands motets sur les textes des hymnes du Saint-Sacrement. À partir de 1746, les Lazaristes cessent apparemment de participer aux saluts de la Fête-Dieu et de son Octave, cédant leur célébration aux ecclésiastiques de la Chapelle royale. Les sous-maîtres composent alors des petits motets pour cette occasion. Le rôle de la reine dans ces modifications ne doit pas être négligé : fine mélomane, elle participe sans doute à l’évolution musicale des saluts.


Conclusion

Particulièrement appréciés des fidèles, les saluts du Saint-Sacrement connaissent un succès qui ne se démentit jamais au cours de l’Ancien Régime. Cérémonies d’une grande diversité, ils ne connaissent pas de modèle unique. Si les saluts mondains ont certainement favorisé le changement de l’écoute musicale et joué un rôle important dans la sécularisation de la musique religieuse, les saluts célébrés dans les couvents de religieuses ont permis l’éclosion et la diffusion d’un répertoire musical intimiste qui témoigne de la profondeur du sentiment religieux. Les saluts apparaissent donc aussi bien comme des cérémonies dévotes qu’indévotes, qui traversent les xviie et xviiie siècles en s’adaptant à toutes les formes de piété et de religiosité.


Annexes

Extraits de livres normatifs concernant l’exposition et les saluts du Saint-Sacrement. ­ Textes de l’office de la Fête-Dieu. ­ Tableaux de la fonction et de la destination liturgique des motets composés par Guillaume-Gabriel Nivers pour les saluts. ­ Extrait du Mercure galant. ­ Tableau de l’assistance de Louis XV au salut (1716-1722). ­ Extraits du Cérémonial historique de l’abbé Chuperelle. ­ Tableau des motets composés par Nicolas Clérambault pour les saluts de la Maison royale de Saint-Cyr. ­ Gravures et photographies. ­ Index des noms de personne.