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École des chartes » thèses » 2002

Les derniers feux des concerts spirituels parisiens (1816-1831)


Introduction

Avant la Révolution française, le Concert spirituel a fait connaître aux Parisiens le concert public et payant. Les événements révolutionnaires ont mis fin à cette institution mais l’Empire l’a remise au goût du jour. Situé entre l’époque de Rameau et les succès de Berlioz, ce moment de l’histoire de la musique fait l’objet d’un intérêt récent, après avoir longtemps été perçu comme une période de transition quelque peu terne. L’époque qui s’étend de 1790 à 1830 environ a désormais gagné son autonomie, en particulier grâce aux travaux de Jean Mongrédien. Les concerts spirituels de la Restauration n’en demeurent pas moins discrédités et peu étudiés : quelques pages leur ont cependant été consacrées dans la thèse d’École des chartes d’Yves Ozanam et ils ont eu l’honneur d’un article de Janet Ritterman dans la Revue internationale de musique française en 1985. L’étude de ces concerts, qui ont lieu jusqu’à huit fois par an, entend mettre à profit les méthodes qui ont permis le renouvellement récent de l’histoire de la musique et aborder des problématiques aussi diverses que l’organisation de ces manifestations, leur fréquentation, leur rôle dans la diffusion et dans la réception des œuvres et leur spécificité par rapport aux autres activités musicales.


Sources

Les premières sources intéressantes sont celles des organisateurs. À ce titre, les archives de l’Opéra et du Théâtre italien qui lui était associé, qui constituent la sous-série AJ XIII des Archives nationales, ont donné des renseignements importants, même si ce type de concert représente une part marginale de l’activité habituelle de ces théâtres. Pour les compléter, ont été consultés des registres conservés à la bibliothèque-musée de l’Opéra Garnier, rattachée à la Bibliothèque nationale de France. Les archives de la Société des concerts du Conservatoire ont été données, au moment de sa dissolution, à la bibliothèque du Conservatoire et se trouvent actuellement à la Bibliothèque nationale de France, au département de la Musique. Ont été également mis à contribution les fonds de la Maison du Roi, conservés dans la sous-série O3  des Archives nationales.
Les périodiques de l’époque fournissent des programmes et surtout des comptes rendus. Différents titres ont été consultés de manière plus ou moins approfondie ; les plus précieux sont le Camp volant et ses avatars successifs, ainsi que, à partir de 1827, la Revue musicale de Fétis. Les affiches typographiques conservées à la Bibliothèque-musée de l’Opéra ont permis de compléter l’information sur les programmes.


Première partie
Les concerts spirituels dans leur tradition et dans la vie musicale


Chapitre premier
Naissance, disparition et renaissance du concert spirituel

De l’ancien Concert spirituel, fondé en 1725, plusieurs traits se retrouvent dans les nouveaux concerts spirituels. D’abord les concerts apparaissent non comme un spectacle donné pour lui-même, mais plutôt comme un substitut de l’Opéra, interdit pendant les jours de fête religieuse. Contrôlé par l’Académie de musique pour des raisons de privilège et de finances, le Concert spirituel a été mis aussi en régie directe de l’Opéra pendant quelques années. Le répertoire, d’abord limité à la musique instrumentale et religieuse, s’étend à d’autres œuvres, en particulier à des cantates profanes, voire à des airs d’opéra.
La Révolution française a été fatale au Concert spirituel : il disparaît dès 1790, alors que des “ concerts spirituels ” subsistent jusqu’en 1792. Plusieurs raisons expliquent la désaffection du public. Malgré l’évolution de son répertoire, il restait assez conservateur par rapport à ses concurrents nés vers 1760 et s’est trouvé privé de l’appui des chanteurs italiens. La déchristianisation a pu aussi jouer un rôle dans son déclin.
L’absence dure une dizaine d’années à peine. Il est important de voir que l’idée de concert spirituel ressurgit précisément quand la religion revient à l’honneur. Dès 1800, au cours de la semaine sainte, des programmes plus religieux sont joués au Théâtre de la République et des Arts. Les concerts spirituels reprennent vraiment en 1805, à l’initiative du Théâtre italien, à peu près au moment où le calendrier grégorien redevient officiel.

Chapitre II
La place des concerts spirituels

L’époque de la Restauration est fort propice au divertissement et à la culture. Chaque catégorie sociale peut trouver des lieux à son goût. À côté du Théâtre français et de l’Odéon, il existe des théâtres fréquentés par un public populaire. Les formes de concerts sont aussi diversifiées, puisque les jardins publics accueillent désormais des spectacles moins formels et ouverts à un plus grand nombre.
Les organisateurs ne proposent pas de séances régulières de concerts. Chaque concert est généralement extraordinaire, qu’il soit de charité ou au bénéfice d’un artiste. Seules la Société des Enfants d’Apollon et quelques sociétés de musique de chambre s’efforcent d’offrir plus fréquemment des soirées musicales, qui demeurent toutefois intimistes. Les concerts apparaissent plus nombreux dans le premier semestre de l’année civile. La plupart ont lieu le soir, mais on en rencontre aussi en matinée, c’est-à-dire l’après-midi.

Chapitre III
Evolution et décadence des concerts spirituels

Les premiers concerts spirituels de la période sont ceux donnés au Théâtre royal italien, de 1816 à 1818 : en 1816 et 1817, les concerts spirituels sont au nombre de six chaque année, alors que l’année 1818 marque un sommet dans la programmation, avec neuf concerts spirituels ; il faut voir dans cette offre abondante la conséquence de l’apparition cette année-là d’un second organisateur, l’Académie royale de musique, qui absorbera du reste par la suite le Théâtre royal italien. De 1819 à 1826, les concerts spirituels sont au nombre de quatre pendant la semaine sainte, tous assurés par l’Opéra. En 1825, deux de ces concerts sont donnés par le Théâtre italien.
Pendant toutes ces années, le concert spirituel fait l’objet d’attaques, qui visent en fait la puissance de la religion catholique. En même temps, il suscite des tentatives de concurrences, qu’il parvient à empêcher.
Cependant, l’influence des concerts spirituels commence à baisser et les dernières années de la Restauration sont celles du déclin. En 1827, l’Académie de musique renonce à son calendrier originel et ne donne de concerts que le vendredi, le samedi et le dimanche saint. Le jeudi saint, le théâtre du Gymnase ou Théâtre de Madame donne un concert extraordinaire. En 1828, il n’y a plus que trois concerts spirituels. La concurrence se fait plus forte : l’Institution royale de musique religieuse donne ses premiers concerts en 1827, la Société des concerts du Conservatoire en 1828. Face à ses rivaux, l’Opéra cesse ses activités de concerts. En 1829, il n’y a plus de concert spirituel. En 1830, les concerts spirituels sont donnés par l’Institution royale et par la Société des concerts. En 1831, le concert spirituel a totalement disparu. Les concerts qui ont lieu à l’Académie royale les vendredi saint et dimanche de Pâques avec Paganini ne sont pas présentés comme spirituels, mais sont simplement extraordinaires. Cette désaffection progressive n’est pas sans rappeler celle qu’avait subi le Concert spirituel à la Révolution.


Deuxième partie
Les concerts spirituels, des coulisses à la salle


Chapitre premier
Les institutions organisatrices

Pas moins de cinq institutions musicales ont assuré les concerts spirituels de la Restauration. Toutefois, le rôle du ministère de la Maison du Roi ou des organismes administratifs équivalents est primordial, la vie artistique parisienne étant fortement contrôlée par l’Etat.
De 1816 à 1818, c’est le Théâtre italien, confié à Madame Catalani, qui s’efforce de relancer la mode des concerts spirituels. Cette gestion est assez mauvaise et cela provoque la révocation du privilège en 1818.
De 1818 à 1828, l’Académie royale de musique, Opéra français, prend en charge les concerts. Cet organisme a connu de nombreux changements administratifs dans son organisation durant la période, mais il y a toujours eu une direction, unique ou collégiale, des services et un comité d’administration. Le Théâtre du Gymnase, appelé Théâtre de Madame après 1824, donne aussi alors un concert spirituel.
En 1830, les concerts sont partagés entre l’Institution royale, dont Choron assure la direction, et la Société des concerts du Conservatoire. Cette dernière, indépendante du Conservatoire, fonctionne différemment puisqu’elle est formée de sociétaires égaux. Cependant, la personnalité de son fondateur et vice-président, Habeneck, semble prépondérante.

Chapitre II
L’information du public et la fréquentation des concerts

À part les rumeurs, sans doute préparées, qui mettent l’accent sur certains points particuliers, les concerts spirituels sont annoncés assez tardivement. Le programme paraît généralement dans la presse le jour même du concert. Les autres moyens d’information sont les affiches et les feuilles volantes destinées aux amateurs. Certaines années, il semble que le programme ait été arrêté trop tard pour qu’il soit publié.
Il est difficile de connaître, quantitativement comme qualitativement, le public des concerts spirituels parisiens. La fréquentation est très inégale, au vu des recettes qui varient du simple au décuple, voire davantage. D’une manière générale, les deux premiers concerts de la semaine sainte sont en général moins fréquentés que ceux du vendredi et du dimanche. Malgré tout, le public reste imprévisible et les surprises ne sont pas rares en la matière. La météorologie et le programme jouent bien sûr un rôle important dans les variations de la fréquentation.

Chapitre III
La salle et le spectacle

Parmi les aspects matériels, ce sont les salles qui sont les mieux connues. Il ne s’agit pas de salles spécifiques, mais de théâtres lyriques qui accueillent à titre exceptionnel un concert. Presque tous ces lieux ont disparu ; ne subsiste que la salle des Menus-Plaisirs, utilisée par le Conservatoire.
Seule la disposition des chœurs et de l’orchestre de la Société des concerts est connue, mais il n’est pas sûr qu’elle soit valable pour les débuts de la Société. Les choristes occupent le devant de la scène, les violons sont placés sur les deux côtés, les autres cordes ne sont pas séparés des vents. On sait par ailleurs que les femmes participant au chœur étaient vêtues de noir le vendredi saint et de blanc les autres jours. Quant au public, il manifestait parfois son approbation mais pouvait aussi s’ennuyer ou lorgner les chanteuses plutôt qu’écouter.

Chapitre IV
Le budget des concerts

L’organisation des concerts suppose deux grands types de dépenses : les frais de personnel et l’acquisition des partitions. Les artistes ordinaires de l’Opéra ne sont pas rémunérés, mais peuvent percevoir une indemnité, assez modeste du reste ; de manière générale, les artistes invités touchent un cachet supérieur, même si l’administration cherche parfois à s’arranger en échangeant un concert spirituel contre un concert à bénéfice. Les autres dépenses de personnel concernent les ouvriers et les forces de l’ordre.
Le second poste de dépense concerne la fourniture de musique, qui distingue de manière quelque peu arbitraire musique italienne et musique française. Les partitions que l’administration ne conserve pas en bibliothèque sont le plus souvent copiées ou, à défaut, achetées sous forme imprimé auprès des éditeurs.
Les recettes sont procurées par la réservation des loges et la vente des billets ; elles sont très variables. La fiscalité en prélève un dixième, puis à partir de 1827, un quart, au titre d’un impôt appelé droit des pauvres.
L’organisation des concerts peut laisser espérer, en fin de compte, un bénéfice annuel de 4 000 francs minimum, qui a pu monter jusqu’à plus de 12 000 francs.


Troisième partie
La musique des concerts spirituels


Les programmes, en deux parties, sont toujours vocaux et instrumentaux. La musique instrumentale mêle ouvertures, symphonies, pièces concertantes et musique de chambre. Les concerts spirituels sont pratiquement les seuls à donner de la musique sacrée, sans pourtant autant négliger la musique vocale profane : les airs et les chœurs d’opéras tiennent une place non négligeable dans la programmation. Les œuvres religieuses sont déterminées par la liturgie du jour. Pour le reste, la sélection des œuvres tient compte des suggestions des autorités, en particulier en matière de choix des interprètes, des attentes supposées du public, et surtout des circonstances. Peu de créations sont mises aux programmes des concerts spirituels, dont le répertoire a généralement déjà connu l’épreuve d’autres lieux.
Une centaine de compositeurs différents ont été joués dans les concerts spirituels ; la plupart ne l’ont été qu’une ou deux fois. De nombreux instrumentistes viennent jouer leurs propres œuvres. Les compositeurs les plus présents sont, pour des raisons diverses, Haydn, Mozart, Paër, Beethoven, Rossini et Kreutzer. L’école italienne et les compositeurs allemands sont les plus représentés, ce qui ne va pas sans susciter des plaintes sur la faible place laissée à la musique française. Certains interprètes sont issus de grands théâtres, alors que d’autres, étrangers ou musiciens indépendants, viennent se faire connaître sur la scène parisienne.
La critique musicale se met peu à peu en place, mais reste encore le fait de journalistes qui ne sont pas musiciens.


Conclusion

Malgré les critiques dont ils ont fait l’objet, les concerts spirituels de la Restauration ont été assez brillants, notamment par les grandes figures qu’ils ont accueillies. Ils ont toutefois souffert de la création de la Société des concerts du Conservatoire, de la volonté de l’administration d’en faire une opération commerciale, sans y mettre le prix, et certainement aussi de la sécularisation des mœurs.


Pièces justificatives

Contrats avec des solistes. ­ Correspondance administrative. ­ Relevés de fournitures de musique. ­ Pièces comptables.


Annexes

Programmes, liste des œuvres, des compositeurs, des interprètes. ­ Notices biographiques.