L’amiral Claude d’Annebault ( ca.1495-1552) : faveur du roi et gouvernement du royaume au milieu du xvie siècle
Introduction
Claude d’Annebault fut le dernier “ grand favori ” de François Ier . De 1543 à 1547, le roi lui confia la
responsabilité et la direction de toutes les affaires de l’État. L’amiral fut donc le plus grand personnage du royaume après son prince, et
pourtant, il demeure mal connu, comme enveloppé par les ténèbres historiographiques qui pèsent sur la fin du règne du roi-chevalier. En
effet, il est patent que la dernière décennie, moins fastueuse et peut-être moins bien documentée que les premières, n’a été que peu étudiée
et souffre d’une dévalorisation systématique nourrie d’ambiguïtés et d’a priori. Cette période est souvent décrite comme
le déclin d’un souverain devenu malade et impotent, dominé par une maîtresse autoritaire et capable d’imposer ses créatures au conseil ;
parmi ces prétendus hommes de paille, Claude d’Annebault incarne la probité, mais aussi la plus parfaite incompétence.
Cette vision
caricaturale, vieille de plusieurs siècles, doit être remise en question. Il faut d’abord reconsidérer la faveur royale non plus comme un
vice néfaste et délétère, mais comme un véritable système politique structurant. Le déroulement de la carrière de l’amiral permet de
redéfinir et d’illustrer les problématiques de la faveur, à tous les niveaux du système. L’étude de ce personnage offre aussi l’opportunité
de mettre à jour les mécanismes du conseil du roi et du gouvernement du royaume, et de faire revivre la cour oubliée des dernières années du
règne de François Ier . Pour ne pas abstraire ces réflexions et ces problématiques de leur contexte, il a semblé
pertinent de les insérer dans la trame chronologique de la vie de Claude d’Annebault.
Sources
La perte des papiers de la famille d’Annebault aurait pu constituer un obstacle. Mais même dans ce cas, un personnage d’une telle importance est toujours bien documenté. Les vestiges de sa correspondance sont conservés dans de nombreux fonds, notamment les manuscrits français de la Bibliothèque nationale de France ; ces recueils renferment également des lettres de contemporains de l’amiral, d’où ont été tirés d’importants compléments d’information. Plusieurs séries des Archives nationales ont été exploitées (J, P, X1A …), ainsi que le Minutier central des notaires parisiens. D’autres renseignements, sur des négociations diplomatiques, le gouvernement des provinces ou la vie privée de l’amiral, ont été glanés aux archives du Ministère des affaires étrangères, aux archives départementales de l’Eure, de la Seine-Maritime, du Calvados, de la Loire-Atlantique, ou encore dans des dépôts d’archives d’Italie du Nord (Turin, Moncalieri, Mantoue, Modène, Venise). Enfin, les dépêches des ambassadeurs des ducs de Mantoue et de Ferrare, rarement utilisées en dépit de leur richesse, ont été compulsées avec fruit.
Chapitre premierUne famille normande de serviteurs du roi
La lignée des seigneurs d’Annebault apparaît dans la documentation au dernier quart du xie siècle. Cette famille reste surtout possessionnée dans le pays d’Auge jusqu’au début du xve siècle : la vallée de la Risle devient alors, avec la seigneurie d’Appeville, le cœur des fiefs patrimoniaux. Après avoir servi fidèlement les rois de France pendant la guerre de Cent ans, les d’Annebault sont dépossédés par Henri V d’Angleterre, avant de recouvrer leurs biens vers 1450. La famille s’installe alors solidement dans les rangs de la noblesse seconde de Normandie, et se rapproche progressivement de l’entourage royal. Jean VI d’Annebault est déjà un opulent seigneur avant de devenir capitaine des toiles de chasse de François Ier . Le tropisme curial prend alors sensiblement le pas sur les attaches normandes. De son mariage avec Catherine de Jeucourt, Jean a au moins six enfants. Claude, l’aîné de ses deux fils, est peut-être page, puis échanson de François Ier . La perspective de l’héritage des fiefs de son père, accrus par le partage des terres des Blosset, assure un avenir confortable au jeune Claude, d’autant que son mariage avec Françoise de Tournemine vers 1525 fait de lui le baron de Retz et de La Hunaudaye, et l’un des plus riches seigneurs de Bretagne.
Chapitre IILes débuts au service du roi
Claude d’Annebault fait l’apprentissage des armes et se distingue à la défense de Mézières (septembre 1521). Il côtoie les fils des familles les plus prestigieuses grâce à son père, qui l’introduit dans un complexe réseau de relations ; le jeune homme entre ainsi sous la protection de plusieurs puissants personnages de la cour et de Normandie (Bourbon, Guise, Montmorency, Brézé), grâce à quoi il ne sera jamais la créature d’un seul grand. Il participe comme lieutenant de la compagnie de François de Saint-Pol à la bataille de Pavie, où il est fait prisonnier, puis à la campagne milanaise de 1528-1529, au cours de laquelle il assume pour la première fois le commandement d’armées, après la capture de Saint-Pol. À son retour, le roi le couvre de dons et d’honneurs. Il reçoit bientôt sa propre compagnie, et devient le lieutenant “ résident ” du gouverneur de Normandie, l’amiral Chabot (1531). Il trouve ainsi l’occasion de renforcer ses liens avec la noblesse normande et de s’imposer comme l’un de ses chefs naturels. Bientôt, sa faveur devient telle que le roi lui donne un lieutenant résident, afin de l’appeler auprès de lui ; Claude d’Annebault devient alors général des chevau-légers, jeune corps d’armée en plein essor. Depuis la mort de son père (1534), auquel il succède comme maître des toiles de chasse, il est un personnage éminent de la cour. Après la réunion du duché de Bretagne à la couronne de France, il affirme aussi son rang parmi les grands feudataires de cette province ; et un vieux procès pour la succession de Retz tourne enfin à son avantage.
Chapitre IIILa gloire militaire et l’estime du roi
Claude d’Annebault est l’un des principaux chefs de l’armée qui conquiert le Piémont (mars 1536), puis il s’enferme plusieurs mois dans Turin, qu’il parvient à conserver malgré un siège. Le roi lui en sait gré et lui confie, l’année suivante, d’importantes responsabilités sur la frontière picarde. Après avoir pris la place de Saint-Pol, il sauve Thérouanne en la ravitaillant par deux fois. Il s’y révèle un ingénieux stratège, mais il est capturé au retour du deuxième trajet. Le montant de sa rançon est très élevé, mais François I er offre immédiatement de la payer. Toutefois, la reine de Hongrie ne libère pas Claude d’Annebault avant la conclusion de la paix, qu’elle prépare avec le concours de son prisonnier. Une fois libre, il est récompensé de ses bons services : il est fait maréchal le jour où Montmorency devient connétable de France (10 février 1538). Titulaire d’un grand office de la couronne, il s’occupe de moins en moins du gouvernement de Normandie et ne quitte plus guère le roi et la cour, où il se trouve confronté à de violentes querelles partisanes entre ses deux principaux protecteurs, Montmorency et Chabot.
Chapitre IVLe Piémont : l’apprentissage du gouvernement
Nommé gouverneur de Piémont en septembre 1539, d’Annebault doit quitter la cour, non sans regrets. Cette récente conquête avait beaucoup souffert des maladresses de son brutal prédécesseur, Montejean. En quelques semaines, le nouveau gouverneur réunit les Trois États, gagne la confiance des Piémontais et prend les mesures nécessaires à la reconstruction du pays. Ce premier séjour est un moment clef de la mise en place des institutions françaises dans la province et inaugure la seconde phase de son intégration : celle du “ bon gouvernement ”. Entouré de conseillers compétents qui entrent dans sa clientèle, d’Annebault peut leur confier le gouvernement quelques temps pour accomplir une mission à Venise. Accompagné par le gouverneur de Lombardie, chargé par Charles Quint de négocier une alliance contre les Turcs, il est reçu fin novembre par la Seigneurie. D’Annebault et les Vénitiens parviennent à négocier une paix, à l’insu de l’envoyé de l’empereur à qui ils font espérer la conclusion prochaine d’une alliance offensive. Sur le retour, il séjourne à Mantoue et gagne l’amitié du duc Frédéric II. Puis il rentre à Turin, afin de poursuivre le processus d’intégration de cette province, dont l’importance stratégique est telle que son gouverneur fait figure de “ lieutenant général pour le roi delà les Monts ” et sert d’intermédiaire entre le roi de France et les princes de la Péninsule. Considérant sa tâche accomplie, il demande instamment son rappel, afin qu’un éloignement prolongé ne nuise pas à sa position. Arrivé début mai 1540 à la cour, il peut recueillir les fruits de ses succès.
Chapitre VLe renouvellement de l’entourage royal
De retour, Claude d’Annebault est convoqué au conseil du roi pour donner ses avis sur les affaires piémontaises et italiennes. Mais il peut être renvoyé d’un jour à l’autre dans son gouvernement. C’est alors que le roi retire sa confiance à Montmorency, sans pouvoir rappeler l’amiral Chabot, sous le coup d’un procès. En novembre 1540, d’Annebault entre donc au conseil étroit et devient l’un des principaux favoris du roi ; cette nouvelle position est connue de tous, grâce à la mise en scène “ ordinaire ” de cette faveur, qui s’accompagne parfois d’une mise en scène “ extraordinaire ”, comme celle qui rend publique la disgrâce du connétable. Pour succéder à celui-ci, nul ne s’impose ; le maréchal d’Annebault contribue alors à faire rappeler Chabot, bientôt acquitté. Les amis de la duchesse d’Étampes se retrouvent seuls au pouvoir, malgré les résistances des “ connétablistes ”, à la cour comme dans les provinces. Le maréchal d’Annebault, après avoir secondé Montmorency pour les affaires de l’Italie, en devient le spécialiste au conseil étroit ; il en a reçu les chiffres dès son entrée à ce conseil. Ses réseaux de clientèle sont de plus en plus centrés sur la Péninsule, où il doit se rendre à nouveau (août 1541) pour préparer une nouvelle guerre. Depuis son gouvernement de Piémont, il agit au cœur de la diplomatie internationale, tout en rénovant le système défensif de la province. Il peut ensuite rentrer en France (octobre 1541), après avoir arrangé le mariage de sa fille Madeleine et du marquis de Saluces ; cette union prestigieuse, autorisée par le roi, est le reflet d’une position sociale désormais éminente.
Chapitre VIL’essai d’un gouvernement collégial
Pendant un temps, François Ier ne donne pas de successeur à Montmorency, et aucun de ses conseillers n’obtient la responsabilité de toutes les affaires. D’Annebault se retrouve ainsi l’égal de Chabot, de Saint-Pol et surtout du cardinal de Tournon, qui devient peu à peu son plus proche collègue. En quelques mois, le maréchal acquiert l’expérience nécessaire à la conduite de négociations diplomatiques ou encore à la gestion de l’“ argent du roi ”. Il devient aussi le chef naturel des armées françaises, à la tête desquelles il retourne en Italie en juin 1542. Mais François Ier tarde à déclarer la guerre, et cette campagne se révèle inutile. D’Annebault part alors pour le Roussillon avec le gros de ses forces, mais essuie un revers cinglant devant Perpignan, qui oblige le roi à réaffirmer publiquement sa faveur. De retour en Piémont, il n’est pas plus chanceux devant Coni. Début janvier, cet “ Hannibal français ” passe une nouvelle fois les Alpes, par le Mont Cenis, où il se trouve pris dans une tempête de neige qui décime ses troupes et manque de l’emporter. Ces échecs ébranlent sa réputation militaire : pourtant, s’il fut autrefois un capitaine téméraire, ses responsabilités l’obligent désormais à une prudence qui lui fait renoncer à de bonnes occasions, au grand dam de ses subordonnés. Le roi ne s’y trompe pas, exhibe plus que jamais sa faveur, et lui confie progressivement la charge de travail naguère dévolue au connétable de Montmorency. La mort de Chabot met définitivement fin à un système de gouvernement collégial qui ne satisfait pas le roi.
Chapitre VIILes derniers conflits avec Charles Quint
Face à l’alliance du roi d’Angleterre et de l’empereur, François Ier mène une nouvelle guerre. Claude d’Annebault commande la plupart des opérations en Hainaut ; il n’en participe pas moins au gouvernement, grâce à la proximité du roi, qui suit les armées, en retrait, avec ses autres conseillers. Puis cette campagne prend un tour heureux avec les prises de Landrecies et de Luxembourg. L’hiver suivant, le prestige de d’Annebault est à son sommet lorsque le roi le nomme amiral de France ; l’investiture de cette charge est une déclaration “ extraordinaire ” de la faveur du roi, qui désigne ainsi publiquement le successeur de Montmorency. Le nouvel amiral voit s’accroître ses précédentes responsabilités, et s’emploie à renforcer les pouvoirs et les prérogatives liés à son office. Il obtient aussi le gouvernement de Normandie, dont il est cette fois le véritable titulaire, sous l’autorité formelle du dauphin. Ce cumul d’honneurs permet de renforcer le prestige du favori, appelé à seconder le roi. L’année 1544 voit les armées anglaises et impériales envahir la France. Les succès italiens permettent seulement d’éviter que les forces ennemies ne passent aussi par les Alpes. Et François Ier n’a pas les moyens d’entretenir des troupes équivalentes à celles de ses adversaires, ou du moins pas aussi longtemps. Pendant des semaines, les Français restent sur la défensive avant de rassembler une grosse armée pour contrer l’empereur, à bout de ressources. Mais lorsque s’ouvrent les pourparlers, l’empereur a l’avantage de menacer Paris. Claude d’Annebault négocie donc en position de faiblesse et concède une paix peu avantageuse, qui fait de nombreux mécontents (Crépy, septembre 1544). Mais il a obtenu l’essentiel en concluant une paix séparée : désormais, le roi de France peut lutter contre le seul roi d’Angleterre.
Chapitre VIIILa campagne d’Angleterre et la paix des amiraux
À l’hiver 1545, Claude d’Annebault prépare une guerre d’un autre genre : il constitue une flotte capable de vaincre celle d’Henri VIII et de porter la guerre sur le sol anglais. À l’étonnement général, l’amiral prend personnellement le commandement de cette armée. Malgré un départ peu encourageant (juillet 1545), la flotte française, fuie par celle de l’amiral anglais, connaît quelques succès notables sur l’île de Wight et les côtes anglaises. Mais ils sont sans lendemain : d’Annebault ne parvient ni à prendre Portsmouth, ni à délivrer Boulogne, et après un affrontement sans conséquence avec les Anglais, débarque sur le sol français. Les critiques contre le favori redoublent de virulence, mais le roi lui réaffirme son soutien et l’envoie, comme le premier personnage du royaume, aux conférences de paix organisées par l’empereur à Anvers. Mais ces négociations tournent court. La guerre se poursuit donc, puis les tractations reprennent au printemps. En mai 1546, l’amiral d’Annebault rencontre son homologue anglais près d’Ardres. Les difficultés se résolvent peu à peu et d’Annebault obtient des conditions plus heureuses que prévu dans ses instructions. Les deux rois sont satisfaits, mais les deux amiraux doivent encore défendre leur œuvre. L’amiral anglais vient ensuite à Fontainebleau pour la ratification du traité, puis Claude d’Annebault part pour l’Angleterre pour le même motif ; mais il profite de cette ambassade pour poser les jalons d’un rapprochement plus étroit entre l’Angleterre et la France.
Chapitre IXLa faveur du roi
La faveur du roi est un bienfait collectif. Elle est “ distinguée ” au bénéfice d’un personnage, puis “ distribuée ” par son intermédiaire à ses clients. En réalité, les “ factions ” de la cour ne sont pas des structures rigides, mais des pyramides de faveur dont les sommets se confondent peu, mais qui s’interpénètrent davantage au fur et à mesure que l’on se rapproche de la base. Aussi d’Annebault a-t-il pu demeurer dans la clientèle de plusieurs puissants, jusqu’au moment où il s’est retrouvé trop proche du roi, source de faveur, pour ne pas prendre parti. Après 1543, l’amiral n’a plus, au-dessus de lui, que la maîtresse du roi ; mais la force de ses liens avec son collègue le cardinal de Tournon vient à bout des humeurs de la duchesse, qui a de moins en moins de prise sur eux. L’élévation de Claude d’Annebault a profité à tout un groupe de parents, d’amis et de protégés, avec lesquels l’amiral entretient des relations fondées sur l’estime et sur l’échange ; certains bénéficient, dans son sillage, de la faveur du roi, et leur ascension soutient celle de leur patron. Mais celle-ci tient avant tout au choix de François Ier : le roi aime Claude d’Annebault parce qu’il lui ressemble. En effet, loin d’être l’“ âne bœuf ” inventé par l’historiographie, l’amiral est un homme intelligent, mais empreint d’une culture plus chevaleresque qu’humaniste. Loué pour ses vertus, il n’en est pas moins capable, au besoin, de se montrer autoritaire et énergique. Riche seigneur d’ancienne lignée, chevalier preux et renommé, il a gagné l’estime du roi, qui a jugé que ses qualités naturelles le rendent digne d’être son meilleur ami, mais aussi, de tous ses sujets, le plus apte à le représenter. L’amiral d’Annebault participe ainsi de la majesté du roi et gouverne à ses côtés, sans que cela prête au scandale, car seul un ami intime du souverain peut être le juste interprète de l’esprit de son maître, et donc le suppléer.
Chapitre XLe conseiller favori du roi
Dans les dernières années du règne de François Ier , Claude d’Annebault est le “ conseiller favori ” du roi. En tant que tel, il exerce d’ordinaire la “ superintendance ” de toutes les affaires de l’État ; mais cette institution désincarnée ne lui appartient pas en propre. Nul ne peut en être titulaire, car elle doit être toujours assumée, même en cas d’absence ou de maladie du favori. Dans ce cas (25 % du temps), le cardinal de Tournon le remplace ; si celui-ci est indisponible, rien n’est prévu, sinon que Jean de Lorraine ou Hyppolite d’Este prennent temporairement le relais. François Ier n’aime donc pas se séparer trop longtemps de l’amiral, qui convoque et dirige chaque jour les divers avatars du conseil étroit. Ses journées sont longues, il travaille beaucoup et s’applique à se tenir informé de tout. La liste de ses attributions est impressionnante : il organise les audiences du roi, règle la vie de la cour, exerçant les attributions du grand-maître de France, sans en porter le titre. Il a la haute main sur la diplomatie française, ainsi que sur les affaires militaires et maritimes, ou encore sur les finances royales ; c’est aussi l’un des rares personnages qu’un courtisan peut solliciter dans l’espoir d’obtenir grâces, pensions, charges ou bénéfices. Finalement, seules les affaires de justice lui échappent.
Chapitre XILa fin du règne
À partir de 1546, le roi est souvent malade et se décharge volontiers des labeurs du gouvernement sur son ami Claude d’Annebault. Celui-ci, malgré une santé également en déclin, s’en acquitte en s’efforçant de se montrer digne de cette confiance, c’est-à-dire qu’il doit gouverner non comme il l’entend, mais comme le roi lui-même le ferait. L’amiral devient ainsi le véritable “ lieutenant ” du roi, qu’il ne dérange que pour les questions de la plus haute importance. François Ier ne cesse donc pas de régner, mais règne par l’intermédiaire de son favori, dont il peut à tout instant désavouer les décisions. Les derniers mois du règne sont marqués par une étonnante activité. D’Annebault s’emploie à restaurer l’ordre tant à la cour que dans les provinces, tout en consolidant les frontières. La remise en ordre s’étend aux finances de la couronne, si bien qu’en peu de temps, les coffres de la monarchie sont de nouveau pleins. On peut alors envisager une nouvelle guerre, préparée depuis plusieurs mois par la diplomatie la plus secrète qui soit : une ligue universelle contre l’empereur s’élabore petit à petit autour d’une entente entre le roi d’Angleterre, les princes protestants et le roi de France. Claude d’Annebault amorce un rapprochement doctrinal avec ceux-ci, tout en laissant croire au pape et à l’empereur qu’il défend leurs intérêts. Ce jeu de dupe prend fin avec la mort du roi. Henri II commet l’amiral d’Annebault à la quarantaine du défunt et en profite pour le remplacer par Montmorency. Les funérailles de François Ier révèlent le lien mystique entre le roi et son favori, qui porte le coffret de son cœur, puis mène le cortège jusqu’à Saint-Denis.
Chapitre XIILa disgrâce
L’amiral d’Annebault ne s’est pas fait beaucoup d’ennemis lorsqu’il a été au pouvoir. Mais Montmorency, qui le remplace auprès du jeune roi, lui tient rancune du passé. D’Annebault tente en vain de se concilier les bonnes grâces du connétable, mais celui-ci ne se laisse pas adoucir. Sans donner à l’amiral l’ordre formel de quitter la cour, Henri II lui fait comprendre qu’il n’y est plus le bienvenu, en le privant notamment de sa charge de maréchal, ce qui équivaut à un “ congé muet ”. Malgré quelques justifications exigées sur sa gestion des finances, on ne trouve pas matière à lui faire un procès. D’Annebault ne s’est que modérément enrichi lors du règne précédent, et la diminution soudaine de ses dépenses lui donne désormais davantage de moyens. Le roi le tient en “ malgrâce ”, mais les apparences sont sauves, et il est davantage épargné que le cardinal de Tournon. Il conserve donc l’espoir d’un prochain rappel, qui pourrait s’obtenir par le truchement de puissants amis tels que les Guise. Ces derniers récupèrent progressivement le “ groupe de faveur ” de Claude d’Annebault, qui s’insère lui-même dans leur clientèle et place les siens qui pâtissent aussi de la disgrâce de leur patron sous leur protection.
Chapitre XIIILa continuité du service du roi
Une nouvelle guerre avec l’Angleterre donne l’occasion à Claude d’Annebault de se faire valoir : en tant qu’amiral de France, il est appelé à jouer un rôle de la plus haute importance. Mais si certains de ses conseils sont suivis, il ne dirige finalement pas les opérations. Au début du règne d’Henri II, il se consacre donc essentiellement au gouvernement de Normandie. À la fin de l’été 1550, il prépare la venue en France de la reine douairière d’Écosse, à l’occasion de laquelle doivent se dérouler plusieurs entrées fastueuses. La principale se tient à Rouen, précédant de quelques jours celle du roi, qui est peut-être la plus belle de ce règne (1er octobre 1550) ; elle met notamment en scène la puissance maritime de la France. Petit à petit, d’Annebault trouve le moyen de rentrer en grâce. Sa charge d’amiral lui permet de continuer à servir le roi. Au printemps 1551, Henri II déclare la guerre à l’empereur ; d’Annebault relance la guerre de course, renforce les ports et sollicite à nouveau le commandement d’une flotte. Dans le même temps, il prépare le retour de Marie Stuart en Écosse.
Chapitre XIVUn tardif retour aux affaires
Les efforts de Claude d’Annebault portent leurs fruits : avant de partir envahir la Lorraine, le roi le rappelle pour l’associer à Catherine de Médicis, à qui il confie la régence du royaume ; d’Annebault sera “ lieutenant général du roi auprès de la reine ”. Ce retour en grâce est dû autant à l’estime de la reine qu’à l’étiolement des rancunes. D’Annebault est rappelé dès février 1552 pour assister au lit de justice qui proclame et organise la régence, puis entre à nouveau au conseil étroit, afin de prendre connaissance des affaires en cours ; ceci doit faciliter la transition des débuts de la régence. Mais l’autonomie de Catherine est limitée, et l’amiral joue un rôle essentiellement militaire. Il commande “ l’armée de la reine ”, sorte d’armée de réserve, en attente des ordres du roi. Enfin, début juin, il vient fort à propos au-devant des troupes de la reine de Hongrie, qui ont occupé Stenay et menacent de prendre à revers les armées royales. D’Annebault reprend cette place, puis rejoint Henri II au siège de Damvilliers, où il prouve la valeur de son expérience au roi, qui l’envoie ensuite défendre la Picardie. Fiévreux, l’amiral s’enferme à La Fère-sur-Oise, qu’il a le temps de mettre en défense avant de céder à la maladie. Par ces derniers services rendus au roi, il transmet à son fils unique, Jean, une faveur retrouvée.
Conclusion
Il ne fallut qu’une ou deux générations pour que Claude d’Annebault sombrât dans l’oubli. L’extinction de sa lignée, le souvenir embarrassant de la disgrâce de Montmorency ont sans doute contribué à le faire disparaître de la mémoire collective ; et il n’est rien, dans sa carrière et dans sa vie, qui fût de nature à marquer durablement les esprits. Mais avec lui, c’est toute une décennie de l’histoire de France qui a été mal comprise et négligée. La redécouverte de ce personnage et de son entourage révèle sous un jour nouveau les mutations de la cour, du gouvernement, voire de la pensée politique du milieu du xvie siècle. En effet, Claude d’Annebault fait le lien politique entre les règnes de François Ier et d’Henri II, entre la France de la Renaissance et celle des Guerres de Religion. Le gouvernement poursuit alors son évolution vers l’État moderne, et le système méconnu du conseiller favori, caractéristique e du XVIsiècle français, connaît son apogée, que symbolise le baiser déposé par l’amiral d’Annebault au cœur de son roi défunt.
Annexes
Correspondance de Claude d’Annebault. Pièces justificatives. Cartes. Illustrations.