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École des chartes » thèses » 2002

Les ingénieurs géographes des camps et armées du roi, de la guerre de Sept Ans à la Révolution (1756-1791)

Étude institutionnelle, prosopographique et sociale.


Introduction

Les ingénieurs géographes des camps et armées du roi, apparus pendant le règne de Louis XIV, étaient des militaires spécialisés dans les levers topographiques en temps de guerre. Ils s’étaient peu à peu distingués des ingénieurs ordinaires, davantage occupés pour leur part aux travaux de fortification et de poliorcétique. Ce qui n’était au départ qu’une spécialisation de quelques-uns, dictée par les circonstances, fit bientôt naître un atelier regroupant des experts reconnus pour leur adresse et leur dextérité à dresser des cartes très utiles aux généraux dans l’élaboration de leur stratégie. Cependant, ces officiers ne constituèrent véritablement un corps à part entière que dans la seconde moitié du xviiie  siècle.
Il est apparu intéressant de suivre la constitution et les vicissitudes institutionnelles de ce corps d’officiers à talents, de la guerre de Sept Ans (1756-1763) à la suppression du groupe en 1791, d’en saisir les spécificités par rapport à d’autres ingénieurs, tels ceux du Génie ou des Ponts et Chaussées, et aussi de comprendre les raisons de sa suppression par l’Assemblée constituante.
En outre, cette période donnait l’occasion de mettre en lumière différents aspects du métier des topographes militaires. S’il fallait en effet bien sûr étudier leurs travaux en temps de guerre, il était tout aussi important de voir comment ces ingénieurs avaient adapté leurs méthodes aux cartes levées en temps de paix : comment la période sans conflit majeur qui s’ouvrit en 1763 et dura presque trente années influa-t-elle sur la pratique d’un métier exercé par des officiers et essentiellement utile à la guerre
L’étude du contexte institutionnel dans lequel évoluaient ces ingénieurs, de même que la description de leurs travaux, ne permettent cependant pas de rendre entièrement compte de l’histoire des topographes militaires. D’autres aspects méritent d’être abordés comme les conditions nécessaires à la naissance d’un esprit de corps ou encore la formation de ces ingénieurs et leurs profils de carrière. Enfin, il semblait important de mener une étude sociale de ce groupe d’officiers, de connaître leurs origines géographiques tout autant que sociales, ainsi que les milieux avec lesquels ils étaient liés.


Sources

Les principales sources permettant de suivre l’histoire institutionnelle du groupe des ingénieurs géographes militaires, ainsi que leurs carrières, sont aujourd’hui conservées au Service historique de l’Armée de terre (SHAT), à Vincennes. Il s’agit de documents émanant du bureau des ingénieurs géographes et du Dépôt de la guerre (séries A1 et 3M). Le SHAT conserve également leurs travaux cartographiques (séries LIC, LID et J10C principalement) ainsi que les mémoires descriptifs (série 1M) qu’ils rédigeaient pour accompagner et expliciter leurs cartes. Ces matériaux avaient déjà été utilisés et en partie publiés par le colonel Berthaut dans l’étude qu’il avait consacrée aux ingénieurs géographes militaires en 1902.
Cependant, si les archives militaires sont indispensables pour connaître avec précision l’activité et la vie du groupe, elles demeurent par essence muettes sur tout un aspect de l’histoire de ces hommes. Pour parer à ces lacunes, nous avons interrogé d’autres types de sources. L’organisation du travail des ingénieurs pendant la guerre de Sept Ans, ainsi que les relations entre Jean Baptiste Berthier, chef du groupe de 1758 à 1772, et ses hommes, ont été en partie éclairées par la consultation de l’inventaire des archives de la famille Berthier. Cet instrument de recherche, établi en 1895-1896 par Albert Dufourcq et aujourd’hui conservé à la section des archives privées des Archives nationales, est en effet particulièrement précieux puisque, malgré son caractère laconique, il est le seul vestige d’un fonds aujourd’hui dispersé et qui contenait de nombreux documents administratifs concernant les ingénieurs géographes.
En outre, pour tenter de mieux cerner les milieux dont faisaient partie les ingénieurs géographes, nous avons consulté avec profit le minutier central des notaires parisiens, aux Archives nationales, ainsi que les fonds notariaux (3E) et l’état civil de la ville de Versailles, aux Archives départementales des Yvelines.
À côté des sources manuscrites précédemment citées, il convient de mentionner les ouvrages de Dupain de Montesson, lui-même ingénieur géographe des camps et armées du roi dans la seconde moitié du XVIII e  siècle, qui exposent de manière claire et détaillée les méthodes de la topographie à cette époque et permettent de mieux comprendre le métier des ingénieurs.


Première partie
Les ingénieurs des camps et armées du roi de 1756 à 1791 : étude institutionnelle


Chapitre premier
Le tournant de la guerre de Sept Ans et la direction de Berthier (1756-1772)

La guerre de Sept Ans apparaît comme une véritable rupture dans l’histoire des ingénieurs géographes des camps et armées du roi. Ce conflit entraîna en effet une redéfinition des missions du groupe accompagnée d’une forte montée de son effectif. Ce changement fut le fait d’un homme, Jean Baptiste Berthier, père du futur maréchal d’Empire.
Berthier était entré très jeune dans l’armée et s’était orienté assez vite vers les armes dites savantes. Devenu ingénieur ordinaire en 1745, il avait ensuite opté pour la topographie militaire. Bien introduit dans les milieux de cour, il bénéficiait de hautes protections, notamment celles du maréchal de Belle-Isle et de la marquise de Pompadour. Grâce à ces appuis, il obtint la place de chef des ingénieurs géographes des camps et armées du roi en 1758. À ce poste, il dut recréer un groupe de topographes capables de seconder les généraux sur les théâtres des opérations. Il remplit sa mission en recrutant largement de jeunes topographes ayant déjà reçu une formation de base dans ce métier : il s’agissait principalement d’ingénieurs géographes ayant participé aux levers de la carte de France sous la direction de Cassini ou encore de jeunes ingénieurs sortis de la toute nouvelle école des Ponts et Chaussées.
La guerre de Sept Ans avait donc été l’occasion de renouveler l’équipe des topographes militaires. Une fois ce conflit terminé, Berthier voulut la pérenniser et proposa au duc de Choiseul, secrétaire d’Etat à la guerre, d’envoyer les ingénieurs géographes dans les colonies. Lever les cartes topographiques des possessions françaises des Antilles leur permettrait d’acquérir l’expérience qui manquait encore à beaucoup d’entre eux dans la pratique de leur métier. À ces chantiers cartographiques s’ajouta la carte des chasses commandée à Berthier par le roi Louis XV en personne.
En 1772, Berthier perdit le commandement des ingénieurs géographes, sans doute du fait de la chute du clan Choiseul quelques mois auparavant. C’est alors que commence une nouvelle période pour le groupe des topographes militaires : ils sont désormais rattachés au Dépôt de la guerre.

Chapitre II
Les ingénieurs du dépôt de la guerre de 1772 à 1791

Organisme créé par Louvois en 1688 et chargé de conserver les archives produites par le secrétariat d’Etat à la guerre, le Dépôt de la guerre était dirigé depuis la guerre de Sept Ans par M. de Vault qui conserva cette place jusqu’à sa mort en 1790. Durant cette période, il étendit sans cesse les attributions du Dépôt, ajoutant notamment à celle d’archiviste les tâches de conseiller pour les travaux concernant les routes des frontières du royaume ou encore de censeur des œuvres littéraires touchant à l’art militaire. Quant aux ingénieurs géographes placés directement sous ses ordres, il adopta à leur égard une politique bien particulière.
Autant Berthier avait essayé de maintenir le groupe à un effectif stable et élevé, autant M. de Vault ne se soucia guère de le renouveler par un recrutement régulier et de qualité. Composé de plus de quarante membres pendant la guerre de Sept Ans, le groupe ne comptait guère plus d’une vingtaine d’ingénieurs en 1791. Cette érosion constante des effectifs s’accompagna d’un manque de soutien du directeur du Dépôt aux ingénieurs géographes. Au sein des bureaux du secrétariat d’Etat à la guerre, on évoqua bien souvent leur suppression durant les décennies 1770 et 1780. En 1776, une ordonnance leur ôta même leurs fonctions pour les confier aux ingénieurs du corps royal du Génie. Les protestations des ingénieurs géographes militaires furent toutefois entendues : ils parvinrent à continuer leurs travaux. Mais cet épisode était une alerte sérieuse et les réformes initiées à la fin des années 1780 au sein de l’armée visaient notamment à unifier les divers types d’ingénieurs militaires. Cette vision de l’organisation des armes savantes était particulièrement soutenue par les ingénieurs du Génie qui entendaient ainsi récupérer le monopole qu’ils détenaient jadis sur les activités techniques aux armées. Malgré une riposte des géographes militaires par le biais de mémoires polémiques, leur suppression fut prononcée en 1791 par l’Assemblée constituante, suite aux travaux de son comité militaire dont le rapporteur était un officier du Génie.


Deuxième partie
Le métier et les travaux


Chapitre premier
Présentation du métier d’ingénieur géographe

Les qualités pour devenir un bon ingénieur géographe ne sont pas tant celles que l’on acquiert dans une école que celles développées à force de pratique. Si des connaissances scientifiques de base, telle que la trigonométrie, sont certes indispensables, on ne demande guère au topographe militaire d’être un mathématicien hors pair. Les savoirs qu’il met en œuvre sont davantage pratiques que théoriques. Il s’agit avant tout d’avoir le coup d’œil exercé, ce qui permet d’évaluer avec certitude les distances en toute circonstance, de maîtriser les techniques du dessin et du lavis et d’être doué d’une complexion robuste et d’une endurance certaine capables de supporter les fatigues imposées par un métier usant.

Chapitre II
Le travail de l’ingénieur géographe militaire en temps de guerre

La nécessité de la topographie lors des opérations militaires n’est plus à démontrer. La carte est bien souvent l’élément décisif qui permet au général d’apprécier le terrain et d’y adapter ses vues stratégiques. Les ingénieurs géographes aux armées du XVIII e siècle produisaient divers types de cartes, selon les besoins des officiers d’état-major. Il s’agissait autant de plans informels et de levés à vue dans le cas de reconnaissances en terrain ennemi ou de marches d’une armée que de cartes levées sur la base d’un canevas géométrique. Dans ce dernier cas, il s’agissait de cartes de camps ou de plans de bataille représentant les moments successifs d’un combat. En outre, si les circonstances le permettaient, les ingénieurs géographes militaires étaient parfois chargés de dresser la carte d’ensemble d’une région. Ce fut par exemple le cas lors de la guerre de Sept Ans durant laquelle ils levèrent la rive droite du Rhin, de Hanau jusqu’à Wesel.
Ces cartes de temps de guerre présentent des aspects très disparates, en raison du plus ou moins d’expérience du topographe qui les a levées mais aussi du temps dont il a disposé pour parfaire son œuvre. Certaines n’avaient de raison d’être que dans l’instant et étaient destinées à éclairer une décision ponctuelle, alors que d’autres comme les plans de bataille étaient dressées pour exalter le général victorieux.
Les ingénieurs géographes des camps et armées du roi accompagnaient le plus souvent leurs cartes des régions occupées de mémoires renseignant sur le réseau routier et fluvial, le nombre des habitants, les ressources du pays en fourrage, les richesses des villes, les mœurs des populations, etc. Ces rapports étaient donc extrêmement précieux à l’époque et ils apportent aujourd’hui à l’historien des informations précises et chiffrées sur les régions traversées par les armées.

Chapitre III
La topographie de temps de paix

Une fois la guerre de Sept Ans terminée, les ingénieurs géographes des camps et armées continuèrent leurs travaux cartographiques mais leur métier évolua sensiblement. En effet, si leurs cartes conservaient un aspect militaire puisque y étaient représentés les forts, les batteries et les arsenaux, une nouvelle approche du territoire se fit jour petit à petit.
L’exemple de la carte des côtes du royaume témoigne de cette évolution puisque les ingénieurs géographes y travaillèrent sur une assez longue période, de 1772 à 1785. Le projet de cartographier cette partie des frontières était né de la peur des descentes anglaises sur le littoral français. Cette carte devait faire connaître au gouvernement l’état des défenses existantes. Grâce à cette connaissance de détail, l’on pourrait en conséquence programmer les travaux nécessaires et les nouveaux ouvrages à construire. Au final, si la carte possède tous les aspects d’une carte militaire, elle s’est transformée en un document prospectif permettant d’imaginer l’aménagement d’un territoire désormais maîtrisé. Parallèlement, les mémoires rédigés par les ingénieurs géographes du Dépôt de la guerre dénotent une attention scrupuleuse aux réalités et aux besoins ­ plus seulement militaires ­ des pays traversés. Ces officiers chargés au départ de lever une carte destinée à l’état-major deviennent des spécialistes du paysage et de ses ressources de telle sorte qu’ils proposent des moyens pour améliorer les rendements du sol ou le commerce entre les cités. L’on passe peu à peu d’une carte strictement militaire à la carte comme instrument de domination du paysage et outil pour le transformer. Dans cette évolution, les topographes du Dépôt, pourtant officiers, se rapprochent peu à peu des ingénieurs civils.


Troisième partie
Le groupe et les hommes


Chapitre premier
Etre ingénieur au xviiie siècle

Depuis le Moyen Âge, l’Etat s’était assuré le concours d’hommes formés aux mathématiques et capables de trouver des solutions aux problèmes posés par la nature. Peu à peu l’ingénieur s’était distingué du simple artisan ou de l’entrepreneur. Au XVIII e siècle, il a acquis une place à part dans la société et le gouvernement commence à se soucier de sa formation. C’est alors que sont mises en place les premières écoles dispensant un savoir scientifique formalisé à de jeunes gens ayant satisfait aux exigences d’un concours de haut niveau. Le savoir technique devient un enjeu que l’Etat entend bien exploiter.
Parallèlement et à cette même époque, une spécialisation accrue des ingénieurs se fait jour. Naguère polyvalents, ils sont désormais compétents dans un domaine particulier, tel que les ponts et les chaussées, les sièges de ville et la construction des fortifications ou encore les levers de cartes. C’est ainsi que, pendant le règne de Louis XIV, les ingénieurs géographes des camps et armées du roi se séparent peu à peu des ingénieurs du Génie.
Du fait de ce fractionnement croissant des compétences, ceux qui peuvent se nommer ingénieurs sont de plus en plus nombreux. Ce titre, jadis réservé à des militaires, se banalise et s’applique aussi dorénavant à des civils. Les ingénieurs du Génie y voient une usurpation de leur état et demandent au roi de légiférer en la matière pour qu’on ne confonde plus de simples ouvriers ou des dessinateurs avec des officiers ayant reçu une formation scientifique élevée et travaillant pour le bien de l’Etat. En 1776, les ingénieurs ordinaires obtiendront finalement le privilège d’être appelés officiers du corps royal du Génie et préféreront abandonner leur ancien titre, par trop dévalué.

Chapitre II
Le groupe des ingénieurs géographes militaires

Contrairement aux ingénieurs du Génie, les ingénieurs géographes militaires peuvent difficilement être assimilés à un corps. En effet, certaines conditions nécessaires à la naissance d’un esprit de corps n’apparaissent pas dans l’histoire des topographes du Dépôt de la guerre. Ils ne furent que très tardivement mentionnés dans un texte officiel ­ une ordonnance de 1775 ­ alors qu’ils existaient de facto depuis près d’un siècle. Leur existence officieuse ne fut que rarement mentionnée dans des annuaires officiels comme L’état militaire de France. Aucun d’entre eux n’a obtenu une renommée telle qu’elle dépassât le cadre du groupe, à l’instar de Vauban ou Cormontaigne pour le Génie. Enfin, leur formation était plus proche de celle d’artisans apprenant leur métier sur le tas que de techniciens ayant suivi une formation scientifique dans une grande école. En outre, le recrutement au coup par coup des topographes militaires était par essence opposé à la constitution d’une tradition corporatiste née de la succession de promotions reçues sur concours. D’autres liens, plus personnels, existaient cependant entre les membres du groupe, mais ils rappelaient davantage les relations que l’on pouvait rencontrer dans un atelier que celles soudant un corps de techniciens au service de l’Etat.
Jean Baptiste Berthier tenta de faire naître cet esprit de corps qui aurait permis de pérenniser le groupe des ingénieurs géographes. Il mit sur pied une formation commune et demanda à ses hommes de lui prêter un serment de fidélité. Cependant, il n’arriva pas à créer une véritable école qui aurait pu rivaliser avec celle du Génie à Mézières. La construction voulue par Berthier d’une identité corporatiste au sein du groupe des géographes était trop liée à sa propre personne pour lui survivre et elle s’effondra de fait avec la fin de son commandement.

Chapitre III
Etude sociale

L’origine géographique des ingénieurs du Dépôt de la guerre fait apparaître une forte proportion de Parisiens, de Versaillais et, d’une manière plus large, d’hommes issus de la généralité de Paris. Ce recrutement local s’explique sans doute par le lieu d’implantation du bureau des ingénieurs et le fait que sa renommée n’était guère importante. Il existe néanmoins d’autres foyers de recrutement, moins importants mais bien représentés comme l’Est du royaume et Grenoble. La cause est sans doute à chercher dans la présence d’ateliers topographiques dans ces régions, tels celui de Bourcet dans le Dauphiné ou de l’abbé Chappe à Bitche, en Lorraine.
Si l’on considère l’origine sociale des ingénieurs géographes, on note que beaucoup d’entre eux sont issus de familles d’officiers du roi. Un certain nombre sont des fils d’artisans et on retrouve aussi des dynasties d’ingénieurs géographes sur deux générations. Enfin, quelques-uns, moins nombreux, sont issus de familles de militaires. L’étude des liens familiaux des ingénieurs géographes montre que des relations assez étroites existaient avec les milieux des architectes du roi, des officiers de la maison du roi, du personnel des bâtiments du roi, ainsi qu’avec celui des arpenteurs. Les ingénieurs géographes étaient donc davantage liés à des milieux civils, que ce soit ceux des officiers ou des artisans spécialisés dans les levers de plans. Ils développaient aussi d’étroits liens matrimoniaux avec le personnel des bureaux ministériels, notamment ceux du département de la Guerre.
L’étude des niveaux de fortune des ingénieurs géographes révèle leur relative médiocrité. Leurs traitements n’étaient en effet guère élevés et constituaient bien souvent l’essentiel de leur fortune. Or, leur avancement était borné car ils n’accédaient guère au-delà du grade de capitaine. Ces conditions ne leur permettaient pas ­ sauf exception ­ de bâtir de grands patrimoines. Ils bénéficiaient certes d’une retraite, ce qui était une nouveauté à l’époque, mais cette indemnité n’empêchait pas certains de finir leurs jours assez misérablement comme l’attestent les inventaires après décès.
Les ingénieurs géographes participèrent au mouvement des Lumières à leur échelle : certains devinrent francs-maçons, le plus souvent dans des loges civiles. Leurs idées politiques transparaissent aussi dans le choix qu’ils firent face à la Révolution. La plupart de ceux qui étaient en activité en 1791 choisirent de continuer dans la carrière des armes et servirent dans les armées révolutionnaires, atteignant parfois des grades supérieurs. Le changement politique leur offrait enfin la possibilité d’accéder à des niveaux de responsabilité qui leur étaient auparavant interdits du fait de leur naissance modeste.


Conclusion

L’histoire des ingénieurs géographes militaires est sous-tendue par un paradoxe. Indispensables aux armées en temps de guerre, notamment par leurs travaux de reconnaissance, ils éprouvèrent des difficultés à redéfinir leur métier et leurs missions dans la longue période de paix qui suivit le dernier grand conflit du règne de Louis XV. Ils pâtirent sans doute aussi de leur manque de visibilité au sein de l’armée, leurs attributions étant souvent revendiquées par les ingénieurs du corps du Génie, dont l’excellence et la polyvalence étaient garanties par la formation scientifique de haut niveau reçue à l’école de Mézières. Leur formation empirique, sur le terrain, et le manque de textes fondateurs ne leur permettaient pas de rivaliser avec un corps aussi bien structuré que celui des ingénieurs ordinaires. Ils parvinrent néanmoins dans la seconde moitié du xviiie  siècle, et ce malgré les vicissitudes institutionnelles et une existence souvent contestée, à parfaire leurs méthodes de travail et à produire des cartes topographiques à la fois scientifiquement correctes et esthétiquement remarquables.


Annexes

Textes réglementaires concernant les ingénieurs géographes militaires. ­ Instructions pour les ingénieurs géographes des camps et armées du roi en temps de guerre et en temps de paix. ­ Extraits de la carte des côtes du royaume levée par les ingénieurs géographes militaires de 1772 à 1785. ­ Arbres généalogiques de quelques ingénieurs. ­ Notices biographiques des quatre-vingt-cinq ingénieurs géographes militaires actifs dans la seconde moitié du xviiie siècle.