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École des chartes » thèses » 2000

Rhétorique et liturgie en Gaule mérovingienne : l’exemple des rituels et des oraisons de l’offertoire de la messe


Introduction

Le regain d’intérêt qui se manifeste depuis plus de trente ans à l’égard de la période mérovingienne en France s’est étendu à de nombreux domaines de recherche, parallèlement aux travaux menés sur l’Antiquité tardive. Cependant, les sources liturgiques demeurent peu exploitées, alors que de grands pionniers, comme Henri-Irénée Marrou, Pierre Riché ou Jacques Fontaine, ont attiré l’attention sur leur importance historique et littéraire. Dans le corpus très large des textes liturgiques, les oraisons d’ « offertoire » (on emploie par commodité ce mot du xviie  siècle pour désigner les rites et les prières situés entre les lectures et la prière eucharistique, et qui accompagnent l’offrande du pain et du vin) sont les plus à même de témoigner de phénomènes historiques, car elles ont connu une évolution constante jusqu’à la fin du Moyen Age.

L’évolution longue et complexe de l’offertoire s’explique en grande partie parce que l’hybridation a été particulièrement forte entre les sources d’origine romaine et « gauloise » (cet adjectif prête moins à confusion que « gallican »). En effet, c’est à l’offertoire que les deux rits se distinguent le plus profondément. A l’époque tardo-antique, l’offertoire est très sobre à Rome, où il ne comporte qu’une seule prière variant à chaque messe (c’est-à-dire faisant partie du propre de la messe, par opposition au canon ou prière eucharistique invariable, qui fait partie de l’ordinaire de la messe). En revanche, il est beaucoup plus complexe en Gaule, avec ses quatre oraisons variables. Il est bien connu, notamment depuis les travaux de Cyrille Vogel, que Pépin le Bref puis Charlemagne ont voulu uniformiser la liturgie en suivant le rit romain. Mais il paraît nécessaire de vérifier à partir des premiers sacramentaires gaulois conservés quelle a été l’ampleur de cette romanisation avant 751.

Par ailleurs, l’ ordo missae romain a fait l’objet, en 1948, d’une magistrale étude de Joseph-Andréas Jungmann : un nombre grandissant de prières invariables, qui apparaissent à l’offertoire à partir des xe -XIe  siècles, résulteraient d’une « germanisation » du rit romain. Il semble donc important d’une part de situer les hypothèses du grand liturgiste sur l’origine gauloise de ces prières, et d’autre part d’étudier les textes des sacramentaires tardo-mérovingiens dans la perspective de l’Antiquité tardive, en tenant compte des acquis de la recherche qui a remis en cause, depuis une cinquantaine d’années, l’idée selon laquelle le christianisme aurait été « barbarisé » à la suite des « grandes invasions germaniques ».


Sources

Les manuscrits liturgiques les plus anciens de la Gaule comprenant les oraisons de la messe sont au nombre de sept. On distingue d’une part quatre célèbres sacramentaires de la première moitié ou du milieu du viiie  siècle, édités depuis la fin du XVII e  siècle (en premier lieu par le cardinal Tomasi et dom Mabillon) : le Missel de Bobbio(Bibliothèque nationale de France, lat. 13246), le Missale Gothicum(Biblioteca apostolica Vaticana, Reg. lat. 317), le Missale Francorum(Biblioteca apostolica Vaticana, Reg. lat. 257) et le Missale Gallicanum vetus(Biblioteca apostolica Vaticana, Palat. lat. 493). D’autre part, s’y ajoutent trois palimpsestes du viie  siècle : le libellus missarumédité par Franz Joseph Mone en 1850 (Karlsruhe, Badische Landesbibliothek, cod. Augiensis 253), et les sacramentaires conservés à Milan (Biblioteca Ambrosiana, cod. M12 sup) et à Munich (Bayerische Staatsbibliothek, lat. 14429), édités par Alban Dold en 1952 et 1964.

Ces manuscrits, pour la plupart écrits en onciale, sont difficiles à dater et à localiser. Ils sont tous plus ou moins cousins et n’ont pas de liens directs entre eux. Ils charrient des textes d’origines et de dates très variées, présentant une grande hétérogénéité tant sur le plan rhétorique que liturgique. Ce corpus très complexe est donc un témoignage original d’une époque en pleine transition, dont les formes littéraires comme la pensée religieuse sont encore très mouvantes.

La composition de ces textes a dû s’échelonner entre la deuxième moitié du iiie  siècle (débuts en Gaule du latin comme langue liturgique et de la conversion des élites au christianisme) et la fin du viiie  siècle (fin de la période de copie des manuscrits de ce rit tardo-antique et généralisation de la romanisation). Une répartition en trois groupes des oraisons d’offertoire (environ cent cinquante pièces) apparaît comme la plus à même de rendre compte de la complexité des sources et du phénomène de romanisation sur le temps long qui s’y dessine à partir du viie  siècle.


Première partie
L’offertoire gaulois (IVe -VIe  siècle)


Chapitre premier
Le cadre rituel de l’apport des offrandes

Les sources  — Il faut faire appel à Grégoire de Tours, à certains Ordines Romani(livrets servant de guides pour la célébration, conservés dans des manuscrits carolingiens) et surtout à la première expositio missae franque(ou explication allégorisante des cérémonies de la messe), conservée à Autun dans un manuscrit du ixe  siècle (BM 184) : longtemps attribuée à l’évêque Germain de Paris (mort en 576), on préfère la dater aujourd’hui de la fin du VII e  siècle (« Pseudo-Germain »).

L’apport des offrandes par les fidèles  — L’offrande est une obligation canonique, peut-être liée au précepte biblique de la dîme ; les fidèles l’apportaient très vraisemblablement avant la messe dans une dépendance de l’église réservée à cet effet et appelée sacrarium.

La procession du clergé  — Au début de l’offertoire, le clergé pénètre en procession dans l’église, en portant triomphalement les offrandes jusqu’à l’autel. Ce rituel a été comparé avec la « Grande entrée » du rit byzantin et avec la cérémonie civique antique de l’ adventus(ou entrée solennelle d’un haut dignitaire impérial dans une ville). Il est chargé de signification symbolique quant au sacrifice eucharistique, notamment par la grande révérence qui entoure les oblats : déjà désignés comme étant Corpus et Sanguis Christi, ils sont classiquement comparés au Christ crucifié mis au tombeau.

Chapitre II
Les oraisons et les rites qui suivent la déposition des offrandes sur l’autel

Par l’ampleur rhétorique et l’importance des figures de style, les oraisons qui suivent la déposition des offrandes sur l’autel se rattachent à la grande prose d’art de la Gaule de l’Antiquité tardive, que des aristocrates convertis et devenus évêques ont dû employer pour la composition de textes liturgiques. On constate de nombreuses similitudes avec les textes hispaniques, tant sur le plan littéraire que liturgique, même si les manuscrits de la péninsule sont généralement plus tardifs (XIe  siècle).

Les oraisons « praefatio missae » et « collectio »  — La fonction principale du couple d’oraisons praefatio missae et collectio n’est pas offertoriale : c’est une longue invitation générale à la prière suivie d’une invocation à Dieu. Les résultats de cette enquête confirment les conclusions de Manuel Ramos sur l’ oratio admonitionis hispanique et la praefatio gauloise (1964), tout en prenant en compte le témoignage du palimpseste CLM 14429 de Munich (édité la même année). C’est un corpus remarquable par la richesse rhétorique, l’importance des excursus sur la vie des saints, les centons de passages bibliques et les références doctrinales, comme dans la praefatio de Pâques du palimpseste de Milan (M12 sup.), qui semble comporter une trace d’aphthartodocétisme (Dominum Christum, credentium Salvatorem, qui pro redemptione fidelium solus ipse « solam incorruptam carnem » animamque mortalium suscepit, portavit, posuit et resumpsit...).

La lecture des diptyques et l’oraison « post nomina »  — Les noms des offrants et des personnes pour lesquelles l’offrande est présentée étaient inscrits sur des tablettes (diptyques) et récités en public, vraisemblablement à la suite d’une liste de saints. L’oraison post nomina qui suit, probablement d’abord adressée aux fidèles, est l’oraison gauloise la plus offertoriale : près d’une sur deux fait allusion à l’offrande du pain et du vin. Cette prière d’intercession de l’Eglise pour les vivants et les morts est en effet centrée sur le rit de l’offrande des dons (ce qui confirme pour une part la thèse de Santiago Jaramillo sur la post nomina hispanique, 1967). L’intérêt de ces textes réside notamment dans l’abondance des images et des réminiscences scripturaires, concernant les défunts (le sein d’Ahraham, la Prima resurrectio) et surtout l’offrande du sacrifice, souvent évoquée à l’aide des figures anté-mosaïques (Abel, Abraham, Melchisedech) et des victimes de la Loi (pinguis hostia, holocausta frangere). On note un grand réalisme pour désigner les offrandes (vera hostia, pura libamina), parfois nettement considérées dans leur destination sacrificielle (haec oblatio in Christi corpore et cruore conversa).

L’oraison « ad pacem » et le baiser de paix  — La proportion des oraisons offertoriales parmi les oraisons ad pacem est assez faible (une sur cinq), car la préparation au baiser de paix met davantage en relief les dispositions du cœur, nécessaires à l’offrande du sacrifice (Deus cui holocaustum pinguissimum est placata et pura conscientia). En outre, la moitié des ad pacem retenues ne font aucune allusion au baiser de paix et ressemblent à certaines post nomina, voire à des super oblata romaines par leur grande concision ( Deus sanctificatio atque benedicio, a te haec adsumatur oblatio et apud nos pergat in retributione devotio).

Les apologies  — Les apologies sont des oraisons au thème pénitentiel, encore peu nombreuses et réparties à différents endroits de la messe. Elles sont assez proches des oraisons d’offertoire, car ce sont souvent des supplications prononcées par le célébrant en son particulier pour être rendu digne d’offrir le sacrifice. On peut distinguer les apologiae sacerdotis que le prêtre récite pour lui-même, des apologies au pluriel, qui peuvent s’appliquer à l’ensemble des fidèles. Ces oraisons sont composées comme des poèmes en prose, influencés par le parallélisme binaire du style psalmique (Trepidatio mihi de meritis et de peccatis formido). C’est un type de texte original, apparu au moins dès le viie  siècle et destiné à connaître de nombreux développements au cours du Moyen Age. Il témoigne d’une mentalité nouvelle, par son insistance, plus grande que par le passé, portée au salut personnel, analogue à certains thèmes qui transparaissent dans les Dialogues de Grégoire le Grand.


Deuxième partie
L’hybridation romano-franque (VIIe  siècle)


Les oraisons regroupées dans cette partie montrent que la romanisation du culte, sans doute intervenue dès le début du VII* siècle en Gaule, est en fait une hybridation qui témoigne encore du dynamisme du rit gaulois.

Chapitre premier
Présentation générale de l’offertoire romain

Les sources  — D’après l’ Ordo Romanus I, dont le modèle romain a été mis au point à la fin du VII e  siècle, une collecte des offrandes des fidèles est faite par le clergé à l’offertoire. La collection privée de libelli dite « sacramentaire Léonien » (Vérone, Bibl. capit. 85), les sacramentaires « gélasien » ancien (Bibl. apost. Vatic., Reg. lat. 316) et « grégorien » (notamment Cambrai, BM 164) permettent de repérer les oraisons romaines présentes dans les manuscrits gaulois. Cependant, les manuscrits conservés ne sont probablement jamais la source directe des emprunts faits en Gaule : ils puisent sans doute indépendamment les uns des autres à une source commune.

La « super oblata » romaine  — A Rome, l’unique oraison qui conclut la collecte des offrandes est bien connue : elle s’appelle oratio super oblata. Une fois passée en Gaule, elle reçoit le titre de secreta(dans le « gélasien » ancien puis les sacramentaires carolingiens), sans doute parce qu’elle est désormais récitée à voix basse. A la différence de la post nomina gauloise, la super oblata romaine est uniquement une prière d’oblation. Le style très concis et le rythme (souvent métrique) sont typiques des oraisons romaines. La présente étude ne s’intéresse à la super oblata que dans la mesure où elle concerne l’évolution de l’offertoire gaulois.

Chapitre II
La pénétration des usages romains en Gaule

Les motifs de l’arrivée des influences romaines en Gaule mérovingienne sont sans doute d’ordre ecclésiologique. Il semble s’agir d’une volonté de certains évêques francs de se conformer au désir des papes, comme le suggère la présence de la décrétale d’Innocent I er à l’évêque Decentius de Gubbio (416) dans la Collectio vetus Gallica : le pape y condamne l’usage (notamment gaulois) de lire les diptyques et de donner le baiser de paix avant la prière eucharistique. S’il veut se conformer complètement à l’offertoire romain, l’évêque gaulois doit donc intégrer les diptyques à la prière eucharistique et déplacer le baiser de paix avant la communion : il aura dès lors tendance à adopter tout ou partie du canon romain, comme le confirme l’examen des sacramentaires gaulois des VII-VIIIe  siècles.

Chapitre III
Les textes inclassables du missel de Bobbio : des témoins de la romanisation du rituel

Le Missel de Bobbio(début du viiie  siècle) est un livre unique, résultat de la réduction d’un sacramentaire épiscopal et d’un lectionnaire, au contenu très hybride. C’est le premier témoin de l’adoption générale du canon romain (conservé en tête du manuscrit, dans la missa Romensis cotidiana), ce qui suggère l’abandon de la place gauloise des diptyques et de la paix, malgré des titres trompeurs (post nomina et ad pacem). Cependant, plusieurs messes votives, composées d’oraisons gauloises, peuvent témoigner d’un panachage des rits (double lecture des diptyques et double baiser de paix). Ces messes votives sont par surcroît d’une grande importance pour la connaissance du développement de la messe privée ( missa quam sacerdos pro se orare debet), dont les oraisons sont des apologies, souvent offertoriales ( sic me idoneum tibi ministrum efficias, ut sacrificium de manibus meis placite ac benigne suscipias).

Chapitre IV
Une hybridation très claire des deux rits dès la fin de l’époque mérovingienne

Une douzaine d’oraisons du Missale Gothicum et du Missale Gallicanum vetus témoignent de la capacité d’intégration d’éléments romains par le rit gaulois sans que ce dernier perde pour autant son identité : ces textes juxtaposent en effet une super oblata romaine et d’importants éléments de post nomina et d’ ad pacem gauloises, ce qui produit des oraisons systématiquement offertoriales. Par ailleurs, il est probable que plusieurs de ces messes emploient le canon romain car elles n’ont pas de prière eucharistique propre : il s’agit alors d’un panachage des rits. Cette hybridation est un bon exemple de l’esthétique du mélange des genres et du goût pour les réemplois, si courant à l’époque tardo-antique.


Troisième partie
Vers la romanisation carolingienne (première moitié et milieu du viiie  siècle)


Les emprunts textuels à la liturgie romaine dans les manuscrits gaulois semblent constituer une nouvelle étape vers la romanisation carolingienne, car ils témoignent de l’adoption du rit romain en bloc et font preuve de la mort du rit gaulois : l’offertoire est alors constitué par une ou deux super oblata. L’étude de ces oraisons romaines, mieux connues et moins intéressantes pour l’historien  est surtout utile pour rendre compte de l’ensemble de l’évolution des textes.

Chapitre premier
Les oraisons inclassables, inconnues des sources romaines

Une douzaine d’oraisons sont peut-être des emprunts directs à la liturgie romaine (mais dont on n’a pas retrouvé le modèle éventuel dans les manuscrits romains), ou bien des imitations de super oblata, plus ou moins centonisées. Il est improbable qu’il s’agisse de vraies oraisons gauloises, vu le style très sobre et l’absence de toute caractéristique du rit gaulois.

Chapitre II
Les oraisons romaines remaniées

Diverses retouches ont été apportées à une vingtaine d’oraisons romaines en particulier des assemblages de tout ou parties de super oblata entre elles  voire d´oraisons variées (collectes, super sindonem, postcommunions, ad populum) reemployées à l’offertoire. On constate des procédés de compilation très souples.

Chapitre III
Les oraisons transférées à une autre fête

Une vingtaine d’oraisons sont le résultat de divers réemplois. Les transferts de formulaires propres à un saint à des messes communes à une catégorie de saints, visibles dans le Missale Francorum et le Missale Cothicum, sont sans doute un témoignage de la multiplication des messes de saints. Les transferts de messes dominicales à des messes quotidiennes (Missale Francorum) attestent peut-être un essor des messes en semaine. Il est très probable que certaines oraisons soient simplement destinées à combler des manques.

Chapitre IV
Les oraisons romaines réemployées pour la même fête

Une vingtaine d’oraisons sont l’expression d’une fidélité scrupuleuse dans le réemploi des sources romaines, en particulier au cœur de l’année liturgique, à Pâques : c’est très net dans le Missel de Bobbio et plus encore dans le Missale Gallicanum Vetus. Au total, l’examen des quelques soixante super oblata conservées dans les manuscrits francs montre que l’adoption de cette prière d’offertoire romaine, au moins dans quelques diocèses, est bien antérieure aux sacramentaires issus de la réforme de Pépin le Bref (« gélasiens francs »).

Epilogue
Vers l’offertoire carolinigien

La romanisation du culte étendue à l’ensemble de la Gaule  — L’initiative de la romanisation échappe aux évêques et est désormais centralisée par le pouvoir royal, comme en témoigne l´ admonitio generalis de 789, en ce qui concerne la place des diptyques et du baiser de paix.

Amalaire de Metz (775-850)  — Cependant, l’influence de l’ancienne liturgie gauloise semble encore imprégner les expositiones missae d’Amalaire : à côté de la romanisation du rituel de l’offrande, il témoigne en même temps d’un offertoire sacrificiel (offerenda), analogue sur bien des points à l’offertoire gaulois. L’insistance sur l’offrande extérieure (l’offrande du pain et du vin en vue de leur consécration) et intérieure (l’offrande du cœur) rappelle, par exemple, le contenu des oraisons post nomina et ad pacem. Parallèlement, Amalaire semble puiser aux mêmes sources que les oraisons gauloises quand il fait référence à Melchisedech ou à l’autel des holocaustes pour figurer l’offrande eucharistique.

Les oraisons des premiers « ordines missae » des ixe -Xe  siècles — Par ailleurs, les sacramentaires carolingiens semblent confirmer cette influence durable de l’ancien offertoire gaulois. Certes, Charlemagne a cherché à imposer le sacramentaire « grégorien » que lui a envoyé le pape Hadrien Ier (entre 784 et 791), mais ce livre a été rapidement pourvu d’un supplément qui comprend certains éléments empruntés à la liturgie gauloise. En outre, ce nouveau type de sacramentaire romano-franc comporte de plus en plus souvent un certain nombre de prières d’offertoire invariables, insérées dans un ordo missae en cours de formation. Un grand nombre de ces textes, comme le Suscipe sancta Trinitas(influencé par les anciens diptyques gaulois) et le Suscipe sancte Pater(influencé par les apologies offertoriales), pourraient être rapprochés d’anciens textes gaulois, comme les oraisons votives du Missel de Bobbio. Cette confrontation permettrait d’estimer dans ces textes tardifs quelle est la part d’innovation et la part d’emprunt aux anciens matériaux gaulois, et comment ceux-ci ont été retravaillés.


Conclusion

Les textes liturgiques en général, et les textes de l’offertoire en particulier, constituent une source nouvelle, encore inexploitée, pour l’historien de l’époque mérovingienne, qui permet d’illustrer sur une longue durée divers phénomènes historiques et littéraires. L’offertoire semble ainsi s’enraciner profondément dans l’Antiquité tardive et apparaît très original, tant par la solennité du rituel et par sa grande virtuosité oratoire que par l’importance des thèmes évoqués. Les praefationes missae et les post nomina sont par exemple de bons témoins de la vie culturelle de l’époque, en particulier pour l’historien de la Bible et celui des doctrines.

Comme l’Eucharistie n’a suscité aucune controverse avant le ixe  siècle, il n’est pas étonnant que les importants développements sur la théologie de l’offertoire soient assez rares dans la Gaule tardo-antique et que les compositeurs laissent souvent libre cours au pur désir de bien écrire. Les oraisons gauloises expriment cependant un plus grand réalisme sacrificiel que les super oblata romaines, notamment par les références aux sacrifices de l’Ancien Testament. Par ailleurs, le genre des apologies paraît déjà bien pratiqué à l’époque mérovingienne et témoigne d’un souci de pureté rituelle au début du sacrifice eucharistique. Ces deux aspects du réalisme sacrificiel et de la pureté rituelle, généralement considérés comme des manifestations d’un retour à l’Ancien Testament opéré sous les Carolingiens, semblent donc déjà clairement présents dans l’offertoire de la Gaule tardo-antique.

Cet examen des oraisons d’offertoire permet donc de se faire une idée de la richesse de l’époque mérovingienne et de confirmer la réévaluation de cette période. Il semble qu’une fois de plus, les souverains carolingiens n’ont fait que généraliser des tendances que certains évêques mérovingiens avaient déjà promues avant eux.


Annexes

Index des cent cinquante oraisons traduites : par incipit et par manuscrits. ­Index des principaux thèmes évoqués.