Missionnaires et chrétientés en Chine dans la deuxième moitié du xviiie siècle.
L’exemple de la mission du Sichuan (1746-1769)
Introduction
Un sujet sur la mission du Sichuan de 1746 à 1769 n’est pas aussi limité dans le temps et dans l’espace qu’il n’y paraît de prime abord. Il permet de s’intéresser aux rapports de la Chine avec la France, aux rivalités entre missionnaires, et à l’histoire de l’empire de Qianlong. Il permet aussi de sortir des sentiers battus d’une historiographie missionnaire principalement axée sur les jésuites, pour étudier un nouveau point de vue, celui de la Société des Missions étrangères de Paris, à laquelle avait été attribué le Sichuan, vaste province de l’ouest de la Chine.
La Société témoigna d’une originalité novatrice en faisant de l’établissement d’un clergé autochtone, meilleur garant de la protection des chrétientés en temps de persécution, l’un de ses principaux objectifs. Or, l’histoire de la mission du Sichuan se distingue par la présence d’un clergé indigène actif et bien formé, dont le représentant le plus remarquable fut le prêtre chinois André Li.
Les archives mettent aussi en lumière la prépondérance de la province du Sichuan dans l’action de la Société au sein de l’empire, et ce depuis les véritables débuts de la mission, dans les toutes premières années du xviiie siècle. Malgré les persécutions et les difficultés, tout au long de la période 1746-1769, les missionnaires réussirent à maintenir cette mission.
Sources
La source principale de cette étude est le Journal d’André Li, conservé aux Archives des Missions étrangères de Paris. Ecrit en latin, ce document couvre la période 1747-1764. Il retrace tous les faits concernant l’apostolat des missionnaires, les conditions de leur existence ainsi que la vie religieuse des chrétiens du Sichuan et les persécutions dont ils furent victimes. Bien plus, il donne aussi des renseignements sur la vie économique et sociale de la Chine du xviiie siècle, ainsi que sur ses institutions. Ce document a été édité au début du xxe siècle sans notes aucunes ni traduction, de sorte qu’il n’a été que très peu exploité. Des extraits réédités et traduits de ce journal accompagnent cette étude de la mission du Sichuan.
Source essentielle, notamment pour la période 1746-1749, où le prêtre chinois fut le seul missionnaire présent au Sichuan, l’étude du Journal d’André Li doit être complétée par l’examen de la correspondance missionnaire. D’autres prêtres chinois et plusieurs missionnaires français menèrent l’apostolat au Sichuan durant les années 1746-1769. Leurs lettres, très nombreuses, offrent des thèmes aussi variés que ceux du Journal d’André Li. Elles sont elles aussi conservées aux Archives de la Société des Missions étrangères de Paris, dans les volumes 433 à 437.
Première partieDans la Chine des Qing, naissance de la mission du Sichuan
Chapitre premierLa découverte et l’apprentissage par le missionnaire de la Chine impériale et du Sichuan au milieu du XVIII e siècle
Un empereur lointain en un empire toujours plus vaste. – Le règne de l’empereur Qianlong (1735-1796), considéré comme l’apogée de la dynastie des Qing, marqua une difficile période pour les missions de Chine, dans la mesure où l’empereur poursuivit la proscription du christianisme commencée sous Kangxi (1662-1722). La Chine de Qianlon était un empire riche. Cependant, la prospérité n’était pas le lot commun puisque les habitants du Sichuan, en majorité ruraux, eurent à subir des famines et des épidémies dont le Journal d’André Li se fait l’écho.
Des Européens en Chine. – Dès le xviie siècle et, surtout, au xviiie siècle, l’essor des relations commerciales avec la Chine et l’implantation de missionnaires sur le sol de l’empire, ainsi que la rédaction et la publication, consécutives, de récits de voyages, donnèrent lieu, en France, à un véritable engouement pour la Chine. Réciproquement, les missionnaires jésuites reçus et logés à Pékin contribuèrent à introduire en Chine le savoir-faire européen en matière de sciences, d’architecture, de peinture. Cependant, il y avait assurément un fossé entre la Chine telle qu’elle était vue en France et l’expérience qu’en faisait le nouveau missionnaire, pour qui tout était à apprendre, notamment la langue chinoise, qu’il lui fallait parfaitement maîtriser pour entamer son apostolat.
Le Sichuan des missionnaires au XVIII e siècle. – Etant donné la fréquence des persécutions que les chrétiens du Sichuan subirent, les missionnaires eurent souvent à faire avec les autorités provinciales, et notamment la justice. S’ils devaient se familiariser avec des réalités institutionnelles très différentes de celles qui existaient en Europe, les missionnaires devaient aussi, et d’abord, s’adapter à une vie quotidienne assez rude. Sillonnant des routes difficiles de chrétienté en chrétienté, ils séjournaient peu souvent dans la principale demeure de la mission, située à Chengdu, capitale de la province.
Chapitre IIConstitution de la mission du Sichuan
Congrégations et nations en Chine aux XVII e et XVIII e siècles : une mosaïque complexe. – Au xviie siècle, dans les missions portugaises et espagnoles, le système du patronage garantissait au roi la nomination des évêques des missions, en échange du financement des missions. Mais cette administration devint de plus en plus superficielle. Le Saint-Siège décida de remédier à cette incurie en créant, en 1622, la Sacrée Congrégation de la Propagation de la Foi ou Propagande, destinée à délimiter les missions, régler les contentieux et maintenir l’unité des missions de Chine. De fait, des rivalités éclataient entre missionnaires de différentes nations et congrégations. Par ailleurs, pour contourner les patronages, la Propagande décida, en 1658, de l’institution de vicaires apostoliques, envoyés directs du pape dont l’autorité, sans annuler celle des évêques issus des patronages, s’y ajoutait. Enfin, la Propagande prit acte de l’absence de clergé indigène. C’est pourquoi elle soutint la création, au début des années 1660, de la Société des Missions étrangères qui, rapidement, instaura au Siam un Collège destiné à former les futurs prêtres asiatiques.
L’administration de la mission du Sichuan, enjeu d’une rivalité entre les Italiens de la Propagande et les Français des Missions étrangères de Paris. – L’action des premiers missionnaires du Sichuan fut presque annihilée par les troubles du changement dynastique, dans la deuxième moitié de xviie siècle. Le christianisme ne s’enracina vraiment dans la province qu’au début du xviiie siècle, grâce à l’action, d’une part, de Pierre Basset et Jean de La Baluère, prêtres de la Société des Missions étrangères de Paris, d’autre part, de Jean Mullener et Luigi Appiani, deux lazaristes envoyés en Chine par la Propagande. Le vicaire apostolique du Sichuan, Artus de Lionne, était membre de la Société. A la suite de la condamnation des rites par le pape, l’empereur de Chine fit expulser tous les missionnaires qui prêteraient allégeance au Saint-Siège. C’est ainsi que le Sichuan se dépeupla de ses missionnaires. Mullener parvint à rejoindre la province dès 1711. Les lazaristes (les “ Italiens ”) s’estimèrent alors les seuls possesseurs de la mission du Sichuan. La lutte qui les opposa, dans les années 1730, aux missionnaires français de la Société, qui voulaient recouvrer leur mission, s’inscrit dans la suite des rivalités entre congrégations et nations sur le sol de la Chine.
La position des missionnaires du Sichuan dans la querelle des rites : le respect des constitutions pontificales et leur difficile application. – Le temps que mit le Saint-Siège à régler la querelle des rites, ainsi que les contradictions de ses décisions successives, révèlent la complexité du problème. Les missionnaires, pris entre deux feux (la volonté d’obéissance au pape, d’une part, et le risque de persécution, de l’autre), se trouvaient dans une délicate situation. La Société se positionna très clairement contre les partisans des rites. Joachim de Martiliat, supérieur de la mission jusqu’en 1746, et François Pottier, pro-vicaire du Sichuan à partir de 1756, respectèrent la condamnation pontificale des rites, attitude relevant autant du parti-pris doctrinal des deux missionnaires que de leur pragmatisme. En effet, toute concession à la condamnation eût exigé la production par les chrétiens d’un écrit montrant qu’ils effectuaient les rites de manière purement civile et non pas superstitieuse. Or, cette attestation de chrétienté risquait d’apparaître aux païens comme une provocation. L’exemple du Sichuan, dont les missionnaires, dans les années 1770 encore, étaient taxés de rigorisme quant à leurs dispositions sur les rites, montre combien le problème, officiellement résolu depuis 1742, continuait à faire polémique dans les missions de Chine.
Deuxième partieLes conditions d’existence de la mission
Chapitre premierLe pouvoir contre les chrétiens : l’exemple du Sichuan
Les acteurs et leurs motivations. – La persécution fut décrétée en 1724 puis renouvelée. Au Sichuan, comme dans les autres provinces, les chrétiens n’étaient inquiétés que de manière sporadique. Les persécutions alternaient avec des événements que l’on qualifiera plus justement d’incidents antichrétiens, et qui avaient souvent pour origine la méfiance des païens envers les chrétiens. Du fait des rassemblements qu’occasionnaient la célébration de la messe ou les fêtes religieuses, les autorités assimilaient les chrétiens aux partisans d’une secte séditieuse.
La mission dans la tourmente : déroulement des persécutions au Sichuan. – En théorie, la peine de mort était requise contre tout chef d’une secte. Toutefois, aucun prêtre du Sichuan ne connut le martyre. La violence des arrestations et les tortures subies au cours des interrogatoires – l’usage en était courant en Chine – aboutissaient en fait à des châtiments assez modérés. Face à un danger permanent, missionnaires et chrétiens érigèrent une véritable stratégie défensive. Les premiers se faisaient passer pour marchands afin d’expliquer leurs fréquents déplacements. Les seconds faisaient preuve de beaucoup de solidarité envers leurs coreligionnaires captifs. Ces réactions montrent que les chrétiens du Sichuan formaient une vraie communauté.
Conséquences sur la mission. – Cette communauté demeurait toutefois fragile, les persécutions ayant pour principal effet de multiplier les apostasies. La position sévère de Martiliat et d’André Li à l’égard des apostats fut adoucie par Pottier. Les prêtres, en effet, savaient que la plupart des apostats avaient renié leur religion par peur des châtiments ou de la torture, faiblesse compréhensible quoique coupable, et qu’une trop grande sévérité risquait de les décourager de revenir dans le giron de l’Eglise. Par ailleurs, les missionnaires tinrent compte de la menace des persécutions pour organiser leurs conditions d’existence.
Chapitre IILe fonctionnement de la mission du Sichuan : les hommes
Les cadres de la mission. – Les cadres de la mission dépassaient les limites même de la province. La correspondance abondante des missionnaires avec les différentes institutions qui avaient droit de regard sur l’évolution de la mission, c’est-à-dire la Propagande, le Séminaire de Paris et le procureur de la Société, administrateur des affaires des missions depuis Macao, ainsi qu’avec d’autres missionnaires de Chine, montre que la mission du Sichuan ne constituait pas un monde clos mais, au contraire, se construisait en partie grâce à ces échanges avec l’extérieur. Ces échanges étaient d’autant plus indispensables que, de 1746 à 1769, il n’y eut pas de vicaire apostolique sur le sol de la province. Ainsi, la résolution des cas de conscience était presque toujours soumise au procureur. Cependant, les sources montrent aussi une certaine incompréhension entre le procureur ou “ ces Messieurs du Séminaire ”, hommes de théorie et d’administration, d’une part, et, de l’autre, les missionnaires eux-mêmes, qui éprouvaient sur le terrain des difficultés que les premiers avaient du mal à évaluer.
Les missionnaires. – La première de ces difficultés était le manque de missionnaires, tant européens que chinois – insuffisance d’autant plus criante que la province était vaste. Le risque constant de persécution faisant hésiter le Séminaire de Paris à envoyer de nouveaux missionnaires français, on tablait plutôt sur l’envoi de prêtres chinois. Or, les objectifs des Missions étrangères de Paris ne furent pas entièrement remplis car le Collège de Siam déclina quelque peu à partir des années 1740. André Li estimait indispensable l’apprentissage du latin par les écoliers chinois destinés à la cléricature car seule la connaissance de cette langue par les prêtres chinois pouvait les rendre, aux yeux des Européens, les égaux des missionnaires occidentaux. Le prêtre prit d’ailleurs en charge quelques écoliers pour les instruire.
Les auxiliaires des prêtres. – Au sein des chrétientés, certains notables chrétiens et catéchistes complétaient l’œuvre de missionnaires débordés de travail. Cependant, ces auxiliaires étaient eux aussi trop peu nombreux et, qui plus est, parfois de médiocres enseignants, mal préparés à leur fonction.
Chapitre IIIOrganisation matérielle de la mission
Des difficultés structurelles difficilement surmontables. – Les 6 à 8 000 chrétiens de la province ne représentaient pas, en eux-mêmes, une charge de travail trop lourde pour les missionnaires. Le véritable problème résidait dans la grande dispersion des fidèles à travers la province. Cet éparpillement conditionnait, lui aussi, l’organisation matérielle de la mission. Ainsi, une partie importante des viatiques, plus importante que dans la plupart des missions d’Asie, devait être consacrée aux déplacements. L’éloignement de la province rendait aussi les échanges avec Macao particulièrement lents. C’est pourquoi les missionnaires s’entouraient de courriers, hommes de confiance chargés de la transmission de la correspondance au procureur, et de toutes sortes d’autres courses à l’intérieur ou à l’extérieur de la province.
Insuffisance de l’aide extérieure. – L’étude des viatiques montre que les sommes accordées ne correspondaient pas toujours aux besoins exprimés par les missionnaires, et ce malgré l’attribution de suppléments au montant variable. Cependant, les persécutions incitaient les procureurs à ne pas faire parvenir de trop grosses sommes, dont l’acheminement périlleux constituait un risque pour la mission. C’est pourquoi, à la fin des années 1760, les missionnaires réfléchirent à l’établissement de la communauté de biens au Sichuan, système consistant à réduire voire supprimer les viatiques et, parallèlement, à recourir aux aumônes des chrétiens pour la subsistance des missionnaires. A cette époque, le procédé tendit à s’imposer dans plusieurs régions d’Asie, preuve d’une plus grande unité de l’administration des missions.
Environnement du missionnaire. – La vie itinérante des missionnaires ne devait pas dispenser la mission de la possession de plusieurs attaches foncières qui, sous la forme de demeures et terrains exploitables, permettaient d’ailleurs aux missionnaires de compléter leurs revenus. Toutefois, ces propriétés, une fois connues des autorités, risquaient de compromettre les prêtres qui, de ce fait, procédèrent à quelques ventes. La mission détenait un modeste mais nécessaire patrimoine, composé de quelques églises et d’un cimetière. Au Sichuan, les édifices de culte, peu nombreux, remplissaient souvent plusieurs fonctions pour mieux se dissimuler aux yeux des autorités. Le cimetière constituait au contraire un élément visible de la présence chrétienne dans le paysage de la province.
Troisième partieApostolat et vie des chrétientés
Chapitre premierLe missionnaire à la rencontre des chrétiens du Sichuan
La communauté chrétienne du Sichuan. – Quand on survole le Journal d’André Li et, dans une moindre mesure, la correspondance des missionnaires du Sichuan, on a l’impression d’un paysage très sombre, où la communauté chrétienne (de 6 à 8 000 fidèles), menacée par les apostats et les païens, se réduit à une poignée de pratiquants négligents, si ce n’est tièdes. En faisant une lecture plus détaillée, on réalise, d’une part, que les fidèles des missionnaires du Sichuan n’étaient pas moins catholiques que les chrétiens de Chine et d’Asie, d’autre part, qu’il existait des disparités de pratique et de ferveur religieuses d’une chrétienté à l’autre. De ce fait, les missionnaires adaptaient leur enseignement à leur auditoire. En majorité ruraux et peu instruits, les chrétiens du Sichuan, que les prêtres visitaient plutôt le soir, une fois achevés les travaux des champs, recevaient un enseignement en grande partie oral.
Différentes manières d’enseigner. – Il faut distinguer, au sein même du groupe socialement assez homogène que formaient les chrétiens du Sichuan, des catégories qui demandaient au missionnaire une catéchèse adaptée, dans son contenu comme dans son organisation : dans son contenu pour les catéchumènes et les enfants, qui recevaient en effet un enseignement plus suivi et plus strict, dans son organisation pour les femmes, que le missionnaire ne pouvait rencontrer aussi facilement que les autres chrétiens, pour des raisons inhérentes aux traditions sociales de la Chine.
Livres et instruments de travail. – Même si, parmi les chrétiens du Sichuan, rares étaient ceux qui savaient lire, les livres étaient un instrument indispensable de la catéchèse, et non pas seulement au cours des visites des missionnaires. En effet, distribués dans les chrétientés, ils étaient censés être lus, en l’absence du missionnaire, aux familles chrétiennes par ceux de leurs membres qui savaient lire ou par les catéchistes. De ce fait, le contenu des livres ne devait pas être figé, les missionnaires les remaniaient sans cesse pour les adapter à ceux qui en recevraient l’enseignement. Ils en complétaient l’action en distribuant des images pieuses, qui avaient parfois une valeur pédagogique plus directe.
Chapitre IIVie religieuse de la communauté chrétienne du Sichuan
Temps forts de la vie religieuse des chrétiens du Sichuan. – Dans une vaste province, évangélisée par des missionnaires en nombre insuffisant, le calendrier chrétien, en tant que document distribué aux chrétiens, pouvait seul (ou presque) rappeler les fidèles à leurs obligations. Or, parce que la mission du Sichuan était récente et encore fragile, les temps forts que représentaient les fêtes religieuses constituaient un enjeu plus élevé que dans des missions bien assises. Ils permettaient en effet de renforcer la religiosité des chrétiens et avaient une valeur catéchétique. Par ailleurs, les missionnaires avaient instauré, au moment du nouvel an chinois, des célébrations propres à la mission du Sichuan. En effet, les chrétiens pouvaient alors se rassembler sans crainte que l’administration, occupée aux festivités de la nouvelle année, ne les repérât. Tout en sachant tirer parti d’un contexte défavorable, missionnaires et chrétiens du Sichuan faisaient preuve d’originalité.
La pratique religieuse durant le reste de l’année. – Les missionnaires s’efforçaient de célébrer la messe chaque jour mais, naturellement, en une chrétienté chaque fois différente. Par conséquent, la plupart des chrétiens restaient longtemps sans avoir assisté à un office. Tous les moments de la vie chrétienne qui les impliquaient directement, par exemple la célébration de funérailles, revêtaient une grande importance aux yeux des missionnaires. Par ailleurs, ces événements renforçaient chez les chrétiens le sentiment de former une communauté.
Chapitre IIIRésultats de l’apostolat des missionnaires
Statistiques. – Le travail fastidieux de la collecte des statistiques dans les différents documents concernant la mission du Sichuan de 1746 à 1769 n’est pas récompensé par l’obtention de données complètes. Cependant, mêmes partiels, les chiffres trouvés permettent de suivre l’évolution globale de l’administration des sacrements. Au-delà de renseignements quantitatifs, ils révèlent l’attitude de chaque missionnaire vis-à-vis des fidèles, la sévérité de son jugement sur les chrétiens aptes à recevoir l’eucharistie et les chrétiens indignes de la communion, ainsi que l’évolution du comportement de chaque prêtre. L’arrivée du missionnaire François Pottier puis de nouveaux prêtres, tant européens que chinois, marqua le début d’un mouvement ascendant des statistiques à partir de 1757-1758.
Derrière les chiffres : les pratiques en usages dans la mission. – Le bilan quantitatif est l’occasion de revenir plus longuement sur l’administration des sacrements, quels qu’ils soient, et sur les pratiques en usage dans la mission du Sichuan à ce sujet. Dans le cas du sacrement de pénitence, l’examen attentif de chaque fidèle s’avérait indispensable. C’est pourquoi, dans cette province où les missionnaires enregistraient les statistiques sans complaisance et sans trop d’extrapolations, les chiffres se rapportant à ce sacrement illustrent un effort réel d’enseignement de la part des missionnaires. Dans le cas du mariage, l’action des missionnaires était compromise par l’incompatibilité entre les pratiques chinoises et les prescriptions chrétiennes, dans la mesure où les chrétiens du Sichuan étaient trop peu nombreux pour éviter de conclure des alliances avec les païens.
Efforts en suspens. – Inévitablement, la tradition chinoise inondait tous les aspects de la vie quotidienne. La communauté chrétienne, encore insuffisamment instruite, ne discernait pas toujours les usages à bannir de ceux qui n’étaient pas superstitieux. Ces tiraillements entre tradition chinoise et pratique de la religion chrétienne montrent les difficultés que rencontrait, au Sichuan, un catholicisme sur la voie de l’acculturation mais animé par une véritable dynamique.
Conclusion
A juste titre, l’histoire a retenu les noms de missionnaires français comme François Pottier. C’est à non moins juste titre qu’elle devrait retenir ceux des prêtres autochtones du Sichuan, au premier rang desquels figure André Li, dont l’action fut vitale pour la mission. Les années 1757-1758, avec l’arrivée de nouveaux missionnaires, marquèrent un tournant dans l’histoire des chrétientés du Sichuan. Entravée dans son essor par l’hostilité du milieu, la mission du Sichuan a survécu en s’adaptant aux conditions que lui imposait la société chinoise, donnant naissance à un catholicisme original à bien des égards.
Pièces justificatives
Lettres de missionnaires. – Édition et traduction d’extraits du Journal d’André Li.