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École des chartes » thèses » 2006

Léon Bourgeois, père spirituel de la Société des Nations

Solidarité internationale et service de la France (1899-1919)


Introduction

Entre 1899, date de la première conférence de la paix de La Haye, et 1919, date de la signature du Pacte de la Société des Nations, Léon Bourgeois (1851-1925), une figure éminente de la iiie République, a pensé une « Société des Nations civilisées » et conçu un système de sécurité collective original, dont on peut voir encore les traces aujourd’hui dans certains articles de la Charte de l’Organisation des Nations-Unies. Dans l’introduction sont mis en relief les principaux traits de sa philosophie politique et rappelés les éléments les plus importants de son activité avant et après la signature du Pacte de la Société des Nations. Cette étude a pour objet de rendre compte de l’évolution de sa pensée et d’éclairer son action en faveur de l’ancêtre de notre ONU actuelle.


Sources

Cette étude s’appuie pour l’essentiel sur les écrits et les papiers personnels de Léon Bourgeois. Ses archives constituent un fonds particulier dans la série des Papiers d’agents aux Archives du Ministère des Affaires étrangères.


Première partie
L’homme un personnage et un caractère


Chapitre premier
Une jeunesse faite d’ascension rapide et d’engagements précoces

Une enfance parisienne. — Léon Bourgeois grandit à Paris, au sein d’une famille de la petite bourgeoisie et de sympathie républicaine. Il participe en 1870, à l’âge de 19 ans, à la défense des forts de l’Est de Paris. Cette expérience de la guerre le marque.

Des études de droit et un peu de philosophie. — Léon Bourgeois a très jeune le goût des lois. Il obtient à 21 ans une licence de droit, puis soutient avec succès un doctorat. Inscrit au barreau de Paris, il devient très vite avocat à la Cour d’appel de Paris. La politique et le droit ne sont pas ses seuls centres d’intérêt. Il apprend le sanscrit et s’initie à la peinture.

Cursus honorum et reconnaissance. — Léon Bourgeois fait en 1876 un beau mariage avec une Châlonnaise. En 1877, il entre presque par hasard dans l’administration sous le parrainage d’Ernest Constans. Préfet à Albi, il reçoit à 31 ans la Légion d’honneur pour avoir rétabli le calme lors d’une grève. Sa carrière administrative est fulgurante. En 1888, il est élu député dans la Marne contre le général Boulanger.

Chapitre II
Léon Bourgeois, figure montante du radicalisme

Le rôle de Léon Bourgeois dans la constitution du parti radical. — Léon Bourgeois a joué un rôle moteur dans l’organisation structurelle du parti radical. De plus, à partir de la doctrine du solidarisme, il a eu une part importante dans la définition des thèmes politiques du radicalisme. Il se fit l’orateur des revendications unanimes et constantes des radicaux, telle que la laïcité, la révision de la constitution visant à limiter entre autres la place du Sénat, mais a eu ses propres thèmes de prédilection, l’éducation publique et la nécessité des réformes sociales.

Le ministre. — Entre 1890 et 1893, Léon Bourgeois est successivement ministre de l’Intérieur, ministre de l’Instruction publique et des Beaux-arts et ministre de la Justice.

Le président du Conseil. — Léon Bourgeois fut président du Conseil du 1er novembre 1895 au 23 avril 1896. Son gouvernement n’a guère fait progresser les thèses radicales, mais son affrontement avec le Sénat le rendit populaire, et l’impôt sur le revenu était de plus en plus réclamé. Léon Bourgeois avait-il ainsi fait l’expérience du gouvernement de la France, mais sans doute jugea t-il la tâche bien lourde et fastidieuse, puisqu’il se refusa toujours par la suite à assumer une telle fonction.

Chapitre III
Léon Bourgeois franc-maçon

Un maçon engagé. — Léon Bourgeois fut initié à l’âge de 31 ans dans une loge châlonnaise. Il reçut à 40 ans le grade élevé de Souverain Prince Rose-Croix. Le solidarisme de Léon Bourgeois rejoignait les préoccupations du Grand Orient de France qui, dans l’article premier de sa Constitution, déclare que : « la Franc-maçonnerie a pour objet... la pratique de la solidarité ».

Controverses et consécration. — L’engagement maçonnique de Léon Bourgeois n’a pas toujours fait l’unanimité et les critiques, venant des deux bords – les maçons et les cléricaux – n’ont pas manqué. Léon Bourgeois reste toutefois une figure marquante de la Maçonnerie française, tout spécialement au titre de son rôle sur la scène internationale. Le Grand Orient de France lui a rendu hommage en 2001 à l’occasion du 150e anniversaire de sa naissance.

Chapitre IV
Léon Bourgeois, le philosophe et théoricien de la solidarité

Le  « solidarisme » avant Léon Bourgeois. - Avant Léon Bourgeois, quelques théoriciens ont réfléchi sur le concept de « solidarité », avec l’espoir de grands changements structurels de la société, tout en cherchant à révolutionner les esprits et les mentalités.

Le « solidarisme » selon Léon Bourgeois. — Léon Bourgeois situe le solidarisme au-delà de la charité chrétienne, entre le libéralisme économique et les systèmes socialistes de l’époque.Mais sa caractéristique est encore d’être, dans l’idée de Léon Bourgeois, une doctrine positiviste. La « solidarité », telle que la percevait Léon Bourgeois, était la résultante de deux forces longtemps opposées : la méthode scientifique et l’idée morale.

Conditions et contraintes du solidarisme. — Dans la théorie de Léon Bourgeois, la solidarité exige autre chose que la charité. Elle abandonne moins à l’initiative privée, elle attend davantage de l’organisation collective ; elle est moins instructive et fait plus de place au jugement. De plus, la solidarité a sur la charité cet avantage d’autoriser les sanctions. « Devoir » et « sanction » étaient déjà intimement liés à la notion de justice et de respect du droit dans l’esprit de Léon Bourgeois : le devoir de bienfaisance pouvait dès lors justifier l’intervention de la force publique.

Portée du solidarisme de Léon Bourgeois. — Le solidarisme de Léon Bourgeois trouvait des applications aussi bien dans la résolution des maux sociaux que dans les relations internationales. Il devait se produire un passage de l’état de concurrence à l’état de solidarité, et c’est à cette cause que Léon Bourgeois s’est consacré entre 1899 et 1925.


Deuxième partie
Les conférences internationales de la paix de La Hay :
l’émergence d’un nouveau concept
et l’essor d’une nouvelle figure de la conciliation internationale.


Chapitre premier
Léon Bourgeois et la conférence de 1899

Peur d’un conflit généralisé et persistance des anciennes mœurs diplomatiques : les raisons de la convocation d’une conférence de la paix, les raisons de son peu d’ampleur. —  Le programme initial de la première conférence de la paix était le désarmement, ou plus exactement la réduction des armements à outrance pesant sur l’Europe. Mais le tzar dut se résoudre à modifier son offre et à mettre en avant moins un désarmement improbable que l’étude des moyens d’humaniser la guerre d’une part et de l’éviter par le recours à des procédures pacifiques, telles que la médiation, l’arbitrage, d’autre part.

Léon Bourgeois, nouvelle figure du concept de paix par le droit.— Léon Bourgeois fut choisi pour être le président de la délégation française à La Haye. Plus qu’un symbole du pacifisme, Léon Bourgeois devint au cours de la première conférence de la paix de La Haye le représentant d’une certaine idée de la solidarité des nations pouvant naître de la multiplication à venir des liens de tous ordres, et notamment juridiques, entre les États.

L’échec de la première commission : l’avenir de la Conférence entre les mains de la troisième commission de l’arbitrage. — L’impasse où se trouvait la première commission, chargée d’étudier le désarmement, et la modestie des travaux confiés à la deuxième, plaçaient la troisième commission sur le devant de la scène. Tandis que la limitation des armements, objet principal de la conférence de 1899, était ajournée quant à sa réalisation, l’étude des « moyens pacifiques dont peut disposer la diplomatie internationale pour prévenir les conflits armés », qui n’avait été placée qu’en seconde position, prit un essor particulier et fit de Léon Bourgeois, qui avait été nommé président de la troisième commission de la Conférence, chargée de l’arbitrage, un personnage de premier plan.

La naissance d’une Convention pour le règlement pacifique des conflits internationaux. — Sous la direction de Léon Bourgeois, la troisième commission élabore une Convention pour le règlement pacifique des conflits internationaux. Mais ni la médiation, ni les commissions d’enquête n’ont un caractère obligatoire.

L’impossible arbitrage obligatoire et la Cour permanente d’arbitrage. — En raison de l’opposition de l’Allemagne, la troisième commission se résolut à supprimer les cas d’arbitrage obligatoire mentionnés à l’article 10 de la convention. Elle obtint toutefois la création d’un tribunal permanent d’arbitrage.

Le devoir international, conséquence logique de la solidarité des nations. — La délégation française menée par Léon Bourgeois a insisté pour que soit insérée dans la convention, à l’article 27, la notion de devoir international. Les nations ne devaient plus rester indifférentes les unes aux autres : dès qu’un conflit menacerait de mettre aux prises deux d’entre elles, elles ne seraient pas des neutres impassibles, mais des voisins solidaires, ayant le devoir de rappeler l’existence du tribunal permanent d’arbitrage aux nations en conflit.

Le bilan mitigé d’une Conférence qui déçut l’opinion publique. — La troisième commission n’a pas établi le caractère obligatoire de la procédure pacifique pour le règlement des conflits internationaux, mais elle a fondé le tribunal devant lequel pourront être portés ces différends. Elle a fait adopter par la Conférence un ensemble de dispositions qui rendraient, espérait la délégation française, le règlement pacifique des conflits singulièrement plus facile et fréquent.

Chapitre II
Léon Bourgeois et la conférence de 1907

La convocation difficile d’une seconde assemblée de la paix. — Trois années s’écoulèrent entre le moment où les États-Unis soulevèrent la question de réunir une nouvelle assemblée de la paix et la réunion effective de la seconde conférence de La Haye.

L’organisation du travail de la Conférence et sa répartition entre quatre commissions. — Léon Bourgeois était nommé président de la première commission chargée d’étudier les questions liées à l’arbitrage, poursuivant ainsi en 1907 le travail commencé en 1899, comme président de la troisième commission de l’arbitrage

La première commission aux prises avec les questions des traités d’arbitrage obligatoire. — Le principe de l’arbitrage obligatoire était désormais admis par tous, mais les membres de la commission ne parvinrent pas à se mettre d’accord sur une liste de cas d’arbitrage obligatoire sans restriction. Léon Bourgeois voit toutefois dans les conférences de La Haye le premier visage de la Société des Nations.

La première commission et la justice internationale. — Pour développer le recours à l’arbitrage, la première commission créait une Cour de justice arbitrale. Mais aucun État ne voulant renoncer à son droit d’avoir un juge au sein de la future cour, on avait un texte, là où manquait l’institution elle-même, de sorte que le projet consacrait l’établissement paradoxal d’une cour sans juges.

La naissance d’un tissu d’obligations entre les États et l’espoir de la périodicité pour les assemblées de La Haye. — Les Français, dans la conclusion de leur rapport, d’inspiration très bourgeoisienne, notaient la progression de la notion d’obligation, liée à celle d’une solidarité qui donnait aux États un certain nombre de devoirs envers la communauté internationale. La délégation française constatait aussi qu’en 1907, on avait des solutions plus concrètes pour contraindre les nations à respecter leurs engagements. Enfin, elle était persuadée que ces conférences étaient appelées à devenir plus régulières et à entrer complètement dans les mœurs.


Troisième partie
Quinze années pour mûrir la théorie de la solidarité des peuples
et en définir l’expression la plus parfaite, la Société des Nations


Chapitre premier
Quelle suite donner aux conférences de La Haye ?

Léon Bourgeois conférencier. — Léon Bourgeois se fit en France le défenseur des travaux de La Haye, tant auprès de l’opinion qu’auprès du gouvernement. Contrairement à une première période de sa vie où il avait occupé de nombreuses fonctions ministérielles et gouvernementales, Léon Bourgeois connut après la première conférence de La Haye une activité politique plus modeste. Pour se consacrer davantage à la promotion et à la vulgarisation des idées de La Haye, Léon Bourgeois devait libérer du temps de loisir sur ses obligations habituelles. Il consacrerait ce temps libre, tantôt voulu, tantôt subi, à la préparation de ses conférences ou à la réflexion sur le moyen de faire émerger la jeune et frêle « société des nations ».

Faire entériner et observer les principes édictés à La Haye. — Faire appliquer les dispositions de La Haye, conseiller le gouvernement sur la meilleure manière de les faire passer dans les habitudes, dans ce combat pour imposer à l’État français les conclusions des conférences de La Haye, Léon Bourgeois fut mis à double contribution. Comme homme politique, il eut à défendre devant le gouvernement les résultats obtenus à La Haye ; comme conseiller influent, il était tenu au courant des moindres avancées de l’arbitrage.

La troisième conférence de la Haye n’aura pas lieu. — Léon Bourgeois a présidé en 1914, quelques mois avant l’éclatement du conflit, une commission interministérielle de préparation de la troisième conférence de La Haye. Mais la guerre interrompit ses travaux, mettant fin à l’espoir de voir se réunir une troisième assemblée de la paix.

Chapitre II
L’arbitrage international à l’épreuve des faits :
la conférence navale de Londres

Une initiative anglaise. — La convention de La Haye de 1907 relative à l’établissement d’une Cour internationale des prises prévoyait, à l’article 7, que cette Cour appliquerait les règles généralement reconnues du droit international relatives aux prises. Mais en raison des divergences d’opinions au sujet de ces règles, le gouvernement du Royaume-Uni décidait dès le mois de mars 1908 de convoquer une conférence, réunissant les principales puissances maritimes, pour mieux les définir

Léon Bourgeois président d’une « commission interministérielle pour l’étude de certains principes de droit international maritime ». — Chaque nation participante devait rédiger avant la Conférence un memorandum sur ce qu’elle était prête à consentir. Le gouvernement français confia la tâche à une « commission interministérielle pour l’étude de certains principes de droit international maritime », placée sous la présidence de Léon Bourgeois, qui n’était guère favorable à l’initiative anglaise.

La Déclaration de Londres : des efforts soutenus pour un improbable ratification. — La Déclaration de Londres constituait un petit corpus de droit maritime, mais la Grande-Bretagne refusa de la ratifier. Elle n’entra en vigueur qu’en 1914. Pour Léon Bourgeois cependant, la Cour internationale des prises constituait « le seul tribunal international à avoir le pouvoir de statuer en dernier ressort, d’une façon obligatoire, sur les jugements des tribunaux nationaux », et c’était la « première acceptation par les souverainetés nationales d’une certaine subordination à l’idée supérieure de justice et de solidarité internationale. »

Chapitre III
Une idée de plus en plus précise de ce que pourrait être la Société des Nations

L’apparition du terme de « Société des Nations ». — Dans ses premiers emplois du terme « Société des Nations », dès 1899 et plus encore après la seconde conférence de La Haye, Léon Bourgeois l’associe étroitement aux notions de solidarité, d’obligation et même – déjà — de sanction. Il convient d’opposer le terme français de « Société des Nations » et l’expression anglaise « League of Nations  », moins contraignante.

Vers la Société des Nations : la Société des Nations vue comme une version renforcée des conférences de La Haye ou le projet bourgeoisien d’avant-guerre. — Léon Bourgeois conçoit en 1909, date de la parution de « Pour la Société des Nations », cette Société comme une extension des conférences de La Haye. S’il avait encore une vision juridique et fort peu institutionnalisée de cette instance, Léon Bourgeois n’en voulait pas moins la voir armée face aux incertitudes des relations internationales, forte d’une juridiction reconnue par les nations civilisées, et pouvant éventuellement prononcer des sanctions à l’encontre des états rebelles au droit.


Quatrième partie
L’expérience de la guerre,
ou comment le conflit apporte sa dernière touche au projet de Société des Nations
conçu par Léon Bourgeois


Chapitre premier
Léon Bourgeois sur tous les fronts

Léon Bourgeois, spectateur du malheur français. — Dès 1914, Léon Bourgeois, politicien expérimenté, se vit proposer une multitude de fonctions ayant trait à la gestion de certains des aspects les plus notables du conflit : ministre d’État, membre du comité de guerre, président du groupe parlementaire des départements envahis, membre de la commission des dommages de guerre du Sénat, vice-président de la commission sénatoriale de l’armée, président de la sous-commission des formations nouvelles, vice-président de la commission sénatoriale des Affaires étrangères, président de la commission sénatoriale d’Alsace-Lorraine.

Léon Bourgeois, partie prenante dans la défense du territoire. — Quoique pacifiste dans l’âme et profondément humaniste, Léon Bourgeois s’est associé dès le début du conflit à l’intérêt des milieux parlementaires pour les opérations militaires et la bonne direction des offensives.

Chapitre II
Nationalisme et défense de la patrie

Léon Bourgeois président d’une commission interministérielle de droit maritime. — En ces années de conflit, Léon Bourgeois s’intéresse au droit de la guerre et aux mutations qu’il subit, correspondant aux nouvelles modalités de la guerre moderne. Il préside une commission interministérielle de droit maritime pour examiner la question du blocus économique, sujet de mésentente entre les Alliés et les États-Unis. Il étudie également le régime des sous-marins en eau neutre. Son but est de justifier l’action des Alliés aux yeux des neutres, de démontrer qu’ils respectent le droit international.

Un fervent patriote. — En plus d’œuvrer à la création de formations nouvelles et à la formulation du droit maritime international, Léon Bourgeois participa également aux travaux de la commission sénatoriale des Affaires étrangères. Il s’intéressa par ce biais aux questions de stratégie. Il se retrouva également à la tête en 1919 de la commission sénatoriale d’Alsace-Lorraine, au moment précisément où il était pleinement engagé dans sa bataille avec les Anglo-saxons pour imposer le point de vue français dans l’élaboration du Pacte de la Société des Nations. Deux fonctions qui, à coup sûr, ont renforcé son attachement à la nation et lui ont permis d’exprimer tout ce qu’il y avait de patriote dans son caractère. Léon Bourgeois s’affirmait pendant cette guerre comme le défenseur des intérêts nationaux.

Chapitre III
Que faire de l’Allemagne et des nations de proie ?

L’Allemagne, archétype des nations de proie. — Au sortir du conflit, Léon Bourgeois répartissait les nations en deux camps : celui des nations « civilisées », nations de bonne foi, dotées d’un gouvernement démocratique et d’institutions libres, et celui des nations de proie, nations prédatrices, impérialistes, dont l’Allemagne était l’archétype et contre lesquelles les nations du premier camp devaient se garantir par tous les moyens. Il était devenu essentiel pour Léon Bourgeois que la conférence qui allait instituer la Société des Nations tienne compte de cet état de fait et la dote de pouvoirs étendus

Pour une Société des Nations civilisées : sanctionner les nations de proie. Une question de survie pour la France, une question de crédibilité pour la Société des Nations. — Il fallait que la Société des Nations ait des bases solides pour s’inscrire dans la durée. L’appareil des sanctions devait être, dans la conception de Léon Bourgeois, l’instrument de sa crédibilité et donc de sa pérennité. Il devait aussi et surtout protéger la France de la volonté de revanche de l’Allemagne.


Cinquième partie
Concevoir concrètement la Société des Nations


Chapitre premier
Léon Bourgeois, président du comité interministériel d’études
pour la Société des Nations

La question de la Société des Nations à partir de 1916 : premiers gestes du gouvernement et premières inquiétudes. — Les gouvernants français, absorbés par la conduite de la guerre, sont longtemps réticents à l’idée de créer une Société des Nations. La mission d’un diplomate français aux États-Unis montre les divergences de conception des deux pays. Quand en 1917 Alexandre Ribot se décide à créer une commission d’étude, Wilson fait savoir qu’il trouve cela prématuré.

Sous la direction de Léon Bourgeois, les travaux de la commission interministérielle. — Léon Bourgeois était un fervent défenseur de la Société des Nations mais aussi un patriote sensible aux intérêts de son pays : il lui fallait travailler à une solution qui garantisse l’établissement des principes fondamentaux du droit international, protège les intérêts de la France et soit acceptable par les autres nations. Trois exigences à intégrer dans un même plan : telle était l’idée de Léon Bourgeois en cette fin de guerre. Il était exclu, d’une part, de froisser les autres nations en leur proposant une Société des Nations autoritaire et supra-nationale et, d’autre part, d’abandonner la lutte pour l’établissement de sanctions militaires et de pouvoirs étendus. Léon Bourgeois avait évolué sur un point. Prêt en 1916 à inclure l’Allemagne dans la Société des Nations pour mieux la maîtriser, il s’alignait en 1917 sur la politique officielle de la France et éliminait les nations ennemies du projet, renonçant à une Société des Nations universelle pour un système plus proche de celui des alliances.

Les principales caractéristiques d’un plan très bourgeoisien. — Le plan français prévoyait que la Société des Nations serait de « tendance universelle », mais ne comprendrait pas dans un premier temps les anciennes nations ennemies. L’accent était mis sur l’arbitrage, la limitation des armements et l’utilité de sanctions efficaces en cas d’agression. Le projet admettait la nécessité de former un « Conseil international » et une « Délégation permanente » pour coordonner l’action de la Société des Nations.

Chapitre II
Combattre pour une Société des Nations forte et efficace

Un climat défavorable. — Avant même que la Conférence de la paix ne s’ouvre, plusieurs éléments indiquaient que Léon Bourgeois rencontrerait les plus grandes difficultés à faire passer le plan français de Société des Nations. Une très forte inimitié existait entre l’auteur principal du projet français et Clemenceau, ce qui diminuait d’emblée les chances de réussite de la délégation française. Les Anglo-saxons, eux, étaient soudés et avaient élaboré un projet quasi définitif, beaucoup plus libéral, qu’ils étaient bien décidés à imposer.

L’affaire des amendements français. — Le plan anglo-saxon constituant la base du projet officiel de Société des Nations, Léon Bourgeois se voyait obligé de procéder par la voie d’amendements. Dans un premier amendement, la délégation française demandait que soit créé un organe chargé du contrôle des armements. Le deuxième amendement visait à ce qu’une organisation permanente soit instituée pour prévoir et organiser les éventuelles opérations militaires de la  Société des Nations. Ces deux amendements ardemment défendus par Léon Bourgeois étaient repoussés par la commission de la  Société des Nations de la Conférence de la paix, à l’initiative même de Wilson. Léon Bourgeois devait se contenter de la constitution d’une Commission permanente consultative chargée de conseiller le Conseil de la  Société des Nations pour toutes les questions militaires et navales.

Chapitre III
Quel avenir pour la Société des Nations ?

Un bilan mitigé.— Léon Bourgeois était satisfait que la Société des Nations voie le jour, il en approuvait les principes et jugeait qu’elle était apte à créer « un état de choses favorables à la paix ». Mais il avait de nombreux reproches à lui faire : le recours à la guerre n’était pas interdit, l’arbitrage n’était pas formellement obligatoire et la mise en œuvre de sanctions militaires restait soumise à la bonne volonté des membres. Il n’y avait ni état-major permanent, ni force internationale, ni organe de contrôle des armements.

Pour une paix de vigilance : la Société des Nations, une garantie parmi d’autres de la sécurité collective. — Pour Léon Bourgeois, la Société des Nations née du Pacte était un premier pas mais elle n’était pas en mesure de garantir pleinement la sécurité de la France. Il était devenu évident, à la suite de l’échec des amendements français, qu’il fallait revenir aux alliances défensives, qui seraient destinées à combler les lacunes du système international de sécurité. Léon Bourgeois accueillit favorablement la signature de deux traités d’alliance avec les États-Unis et la Grande-Bretagne. Il plaçait néanmoins de grands espoirs dans la jeune institution et reçut le titre de délégué permanent de la France à la Société des Nations. Il fut le premier président du Conseil de la Société des Nations.


Conclusion

Léon Bourgeois n’est pas parvenu à imposer pendant la Conférence de la paix sa vision d’une Société des Nations vigoureuse et armée, issue de vingt années de réflexion, d’observation et d’action comme acteur à la fois de la vie nationale et de la conciliation internationale. Il avait tenté de marier dans ce nouveau concept la promotion de la solidarité internationale et les impératifs de la sécurité collective. Plus de vingt-cinq ans plus tard, la Charte des Nations-Unies répondait à ses attentes, quoique le chapitre VII relatif à l’action en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d’acte d’agression soit encore loin d’être appliqué dans les faits.


Pièces justificatives

Les pièces justificatives ont été choisies pour éclairer les aspects les plus méconnus de l’activité de Léon Bourgeois et pour illustrer sa vision d’une Société des Nations vigoureuse et armée. À noter en particulier le procès-verbal d’une séance de la commission de la Société des Nations de Conférence de la paix, comprenant un échange très révélateur entre Léon Bourgeois et Wilson, et un extrait de la Charte des Nations-Unies venant à l’appui de notre thèse selon laquelle les idées de Léon Bourgeois ont transpiré dans la Charte de l’ONU.


Annexes

Liste des fonctions occupées par Léon Bourgeois. — Liste des discours de Léon Bourgeois. — Photographies de Léon Bourgeois, des lieux où il a vécu et travaillé, des institutions au sein desquelles ses idées ont eu une postérité.